La guerre des dieux, poème en dix chants (éd, 1808)/03

Chez Debray, Libraire, au Grand-Buffon (p. 46-69).

˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜ ˜˜˜

CHANT TROISIÈME.


Abandon et détresse des dieux païens. Combat. Samson vaincu par Hercule. Des saintes commandées par Judith forment une attaque séparée : elle ne réussit pas ; mais Judith y gagne quelque chose. Les païens se battent en retraite. Blocus de l’Olympe. Priape et les Satyres font une sortie.


Abandonnant la terrestre demeure,
Un jour, dit-on, six hommes vertueux,
Morts à-la-fois, vinrent à la même heure
Se présenter à la porte des Cieux.
L’ange paraît, demande à chacun d’eux
Quel est son culte ; et le plus vieux s’approche,
Disant : tu vois un bon mahométan.

L’ANGE.

Entre, mon cher, et tournant vers la gauche,
Tu trouveras le quartier musulman.


LE SECOND.

Moi, je suis Juif.

L’ANGE.

Moi, je suisEntre, et cherche une place
Parmi les Juifs. Toi, qui fais la grimace
À cet Hébreu, qu’es-tu ?

LE TROISIÈME.

À cet Hébreu, qu’es-tu ?Luthérien.

L’ANGE.

Soit ; entre, et va, sans t’étonner de rien,
T’asseoir au temple où s’assemblent tes frères.

LE QUATRIÈME.

Quacre.

L’ANGE.

QuacrEh bien, entre, et garde ton chapeau.
Dans ce bosquet les Quacres sédentaires
Forment un club, on y fume.

LE QUACRE.

Forment un club, on y fume.Bravo.

LE CINQUIÈME.

J’ai le bonheur d’être bon catholique ;

Et, comme tel, je suis un peu surpris
De voir un Juif, un Turc en paradis.

L’ANGE.

Entre, et rejoins les tiens sous ce portique.
Venons à toi ; quelle religion
As-tu suivie ?

LE SIXIÈME.

As-tu suivie ?Aucune.

L’ANGE.

As-tu suivie ? Aucune.Aucune ?

LE SIXIÈME.

As-tu suivie ? Aucune. Aucune ?Non.

L’ANGE.

Mais cependant quelle fut ta croyance ?

LE SIXIÈME.

L’âme immortelle, un Dieu qui récompense,
Et qui punit ; rien de plus.

L’ANGE.

Et qui punit ; rien de plus.En ce cas,
Entre, et choisis ta place où tu voudras.
Ainsi raisonne, ou plutôt déraisonne
Un philosophe, un sage de nos jours.

Sage insensé ! mais que Dieu lui pardonne,
Si Dieu le peut, cet étrange discours.
Français, croyez tout ce qu’ont cru vos pères
Femmes, aimez ce qu’ont aimé vos mères ;
Croyez, aimez ; et lorsqu’il vous plaira,
Du ciel pour vous la porte s’ouvrira.
Non, arrêtez : la guerre vient d’éclore
Dans ces hauts lieux ; le royaume d’azur
À Jésus-Christ n’appartient pas encore :
On va combattre ; attendre est le plus sûr.
Trop négligés dans leur petit domaine
Les dieux païens subsistaient avec peine :
L’encens manquait. Leurs rivaux plus heureux
Escamotaient les terrestres prières,
Les chants discords, les offrandes, les vœux
Et les parfums là-haut si nécessaires.
Gens affamés n’entendent pas raison.
Peu satisfaits de leur maigre pitance,
Quelques Sylvains d’un appétit glouton
Pleuraient un jour leur première abondance.
Leurs poings fermés, leurs regards menaçans,
Sur les chrétiens se détournaient sans cesse ;

Ils déclamaient contre l’humaine espèce ;
Quand tout-à-coup un nuage d’encens
De leur humeur adoucit la tristesse.
« Bon ! dit l’un d’eux, celui-là vient à nous ;
De sa vapeur d’avance je m’enivre.
Comme il est gros ! Amis, rassurez-vous ;
Pour quelque tems nous aurons de quoi vivre. »
À bien dîner à tort il s’attendait.
Quarante saints, qu’un ange commandait,
Au paradis convoyaient ce nuage.
Il s’approcha des Sylvains étonnés,
Et passa juste à deux doigts de leur nez.
Ce qui n’était qu’un simple badinage
Au sérieux fut pris par ces pandours.
De Jupiter l’ordre est précis ; n’importe,
À coups de sabre ils tombent sur l’escorte.
L’escorte a peur ; elle crie au secours :
En attendant les coups pleuvent toujours.
L’ange, privé de ses ailes rapides,
À pied s’enfuit ; on houspille les saints ;
Tout se disperse, et déjà les Sylvains
Sur le convoi portent leurs mains avides.

Du paradis accourent par bonheur
D’autres chrétiens qui leur font lâcher prise.
D’autres païens arrivent par malheur,
Qui des premiers soutiennent l’entreprise.
Trente contre un ces chrétiens combattaient ;
Plus aguerris, ces païens les frottaient,
Et la victoire est encore indécise.
Mais j’apperçois Samson. Tremblez, faquins !
L’arme fragile, instrument de sa gloire,
Vaincra toujours : cette heureuse mâchoire
Brisa cent fois celle des Philistins ;
Fuyez, vous dis-je, ou c’en est fait des vôtres.
Et toi, Samson, prends garde aux sept cheveux
Qui font ta force : invincible par eux,
Défends-les bien ; laisse arracher les autres.
Le casque en tête, il s’élance d’un saut
Au premier rang. Un Sylvain téméraire
Pour le combat se présente aussitôt.
« Attends, dit-il, attends ; mon cimeterre
Va chatouiller cet énorme derrière,
Et de ce dos mesurer la largeur.
Je veux… » Soudain la mâchoire funeste

Sur la mâchoire atteint ce discoureur,
La pulvérise, et supprime le reste
De sa harangue : alors chaque païen
Se défendit sans parler, et fit bien.
Samson triomphe, et le parquet céleste
Des dents qu’il brise est déjà parsemé.
Par un courrier intelligent et preste,
De ce dégât Hercule est informé.
À ce récit le vaillant fils d’Alcmène,
Répond : J’y cours ; et, quittant les remparts,
D’un pas rapide il traverse la plaine,
Et des chrétiens étonne les regards.
Lorsqu’en hurlant une hyène sauvage,
De qui la faim augmente encore la rage,
Du Gévaudan abandonne les monts,
Le feu jaillit de sa rouge prunelle ;
L’effroi, la mort descendent avec elle
Sur les troupeaux épars dans les vallons ;
Tout fuit, enfans, chiens, berger et moutons.
Des Philistins le vainqueur intrépide,
Se promettant un triomphe de plus,
Seul attendit le vainqueur de Cacus.

Impunément on n’attend pas Alcide.
De prime abord, au héros des Hébreux
De sa massue il porte un coup affreux.
Brave Samson, ton casque est mis en pièces ;
Ton crâne saint, frappé si rudement,
Est ébranlé sous ses croûtes épaisses ;
Ton large front s’incline forcément ;
Ton œil se trouble et voit mille étincelles ;
Sur tes grands pieds un moment tu chancelles ;
Un seul moment. « Ce n’est rien, ce n’est rien. »
Il dit ; ce mot fait rire le païen.
Ô du Très-Haut assistance imprévue !
De la mâchoire un coup miraculeux
En mille éclats a brisé la massue.
Le fier Samson relève un bras nerveux ;
Le fier Alcide au visage lui lance
Le court tronçon qui formait sa défense,
Et brusquement le saisit aux cheveux.
À cet aspect tous les chrétiens pâlissent,
Et leurs clameurs dans les airs retentissent :
« Maudit païen ! il va les arracher.
Laisserons-nous dans sa main furieuse

De notre ami la tête précieuse ?
Défendons-la. Ferme ! osons approcher. »
D’un épervier quand la serre sanglante
Vient de saisir l’alouette tremblante,
Qui s’élevait en chantant jusqu’aux cieux,
Aux sons plaintifs que pousse la pauvrette,
Du bois voisin le peuple harmonieux,
Moineau, pinson, sansonnet, et fauvette,
S’élancent tous sur le tyran des airs
Que n’émeut point leur impuissante rage,
Suivent son vol, et de leurs cris divers
Font vainement retentir le bocage.
Tel des chrétiens le courage discret
Défend Samson ; mais sourd à leur colère,
L’autre tirait sur l’épaisse crinière,
Tant et si fort, qu’il emporte tout net,
Et montre aux siens le bienheureux toupet.
Ce fut alors que les cris redoublèrent.
Du gros Samson la factice vigueur
S’évanouit, et ses genoux tremblèrent.
Il voulut fuir ; l’intraitable vainqueur
D’un coup de poing acheva sa défaite.

De nos héros l’ame était stupéfaite.
Leurs ennemis s’élancent de nouveau
Pour se saisir du nuage en litige.
À reculer d’abord on les oblige,
Car nous tenions à ce friand morceau :
Mais l’appétit chez eux se tourne en rage.
Revenant donc en vrais déterminés,
Ils forcent tout, et s’ouvrent un passage.
Il fallait voir sur l’odorant nuage
Les combattans follement acharnés.
En sens contraire on le pousse, on le tire ;
Chacun y met la griffe : on le déchire,
On le dépèce ; et les flocons épars,
Chargés d’encens, volent de toutes parts.
On court après. Notre milice entière
Du paradis débouche en ce moment.
Du grand Michel tonne la voix guerrière ;
Il marche, avance, et crie : Alignement !
La Trinité, qu’escortaient six mille anges,
Se place ensuite au quartier-général,
Bénit trois fois ses nombreuses phalanges,
Et de l’attaque arbore le signal.

Pauvres païens, la résistance est vaine,
Vous le voyez ; que peut une centaine
De combattans, que peut l’Olympe entier
Contre une armée innombrable et chrétienne !
Le parti sage est de vous replier.
C’est ce qu’ils font, non pas sans quelque peine.
Serrés de près, les coups hâtent leur pas.
De poste en poste on les pousse, on les chasse.
Mars et Bellone arrivent, et leur bras
De l’ennemi réprime un peu l’audace.
Des rangs entiers sont renversés par eux.
On voit bientôt sur le pavé des cieux
D’anges, de saints, un abattis immense.
Mais d’autres saints, d’autres anges tous frais,
Que prudemment d’autres suivent de près,
Du fougueux Mars fatiguent la vaillance.
« Morbleu ! dit-il, c’est à ne plus finir. »
Las de frapper, mais toujours formidable,
Le dieu s’arrête, et soutient sans pâlir
Des bataillons le choc épouvantable.
Laissons-le faire, et sur le paradis
Tournons les yeux ; on n’y voit que les saintes,

Qui, babillant, se confiaient leurs craintes
Sur le combat livré par leurs amis.
De ce troupeau dédaignant la cohue,
Plus loin Judith se promène à l’écart.
La tête basse, elle marche au hasard,
Elle est rêveuse, et semble très-émue.
Aux demi-mots qu’elle laisse échapper,
À son regard, à son geste on soupçonne
Qu’un grand dessein occupe l’amazone,
Et qu’elle trouve une tête à couper.
Judith revient, et fortement s’écrie :
« Morbleu ! j’enrage ; au lieu de babiller,
Que n’allons-nous en silence étriller
De ces païens au moins une partie ?
Secondez-moi dans ce projet heureux ;
Que d’entre vous les plus braves se lèvent ;
Prenons en flanc ces brigands peu nombreux ;
Déjà battus, que nos bras les achèvent.
Sa tête haute et son air triomphant,
D’un poing fermé le geste renaissant,
Son autre main sur sa hanche placée,
Sa jambe droite avec grace avancée,

Mais plus encor la nouveauté du fait,
De son discours assurèrent l’effet.
À ces côtés trois cents femmes se rangent,
Et prudemment leurs habits elles changent.
Pour éviter tout accident fâcheux
On prend des Saints la jaquette légère,
Le bouclier, le casque, et la rapière,
Et l’on promet de se battre comme eux.
Du ciel Judith connaissait les passages :
Son bataillon derrière les nuages
Se glisse, avance, et se croit bien caché.
Mais sur l’Olympe en ce moment perché,
L’aigle attentif le découvre sans peine :
À Jupiter il en fait son rapport.
Au même instant le dieu du Pinde sort,
Et de soldats il prend une centaine.
Au pas de charge il marche à ces hussards,
Et brusquement se montre à leurs regards.
Qui fut penaud ? Ces vaillantes donzelles
S’arrêtent court, délibèrent entre elles,
Et la moitié déjà tourne le dos.
Le général, que leur faiblesse irrite,

Gronde, pérore, et jurant à propos,
Tant bien que mal au combat les excite.
De son côté l’intrépide Apollon
À sur deux rangs formé son bataillon.
Du fourreau d’or sa lame était tirée.
« Qu’est-ce ? dit-il : ce maintien indécis,
Ces blanches mains, ces genoux arrondis,
Ces petits pas, cette marche serrée,
Annonceraient de faibles ennemis.
De ces guerriers l’allure est malheureuse.
Voyons pourtant, car la mine est trompeuse. »
Sur le plus proche il s’élance aussitôt,
Et pour frapper son bras nerveux se lève.
Notre héroïne, au seul aspect du glaive,
Pâle d’effroi, raisonne ainsi tout haut :
« Après le coup immanquable est ma chute ;
Pour abréger, je tombe avant le coup. »
Et sur l’arène une prompte culbute
Étend la belle. Apollon rit beaucoup ;
Mais remarquant sous la courte jaquette
De sa frayeur une excuse complète :
« L’avez-vous vu ? dit-il à ses soldats ;

C’en est bien un, je ne m’abuse pas.
Tant mieux ! levons ces trompeuses casaques ;
Ne tuons rien ; mais des claques, des claques. »
Ce mot heureux circule promptement.
Sur l’ennemi chacun tombe gaîment ;
Gaîment encore aux claques l’on procède.
Le jeu s’échauffe, et malheur à la laide !
Toujours sur elle on daube fortement.
Sur la beauté la main aussi se lève ;
Prête à frapper, jamais elle n’achève :
On la voyait retomber doucement,
Du blanc satin caresser la surface,
Et quelquefois la bouche prend sa place.


La Bataille des Claques.


Les unes donc à grands pas détalaient ;
Avec lenteur les autres reculaient.
On les rattrape, et l’assaut recommence.
Il plaisait fort ; c’était un jeu de main,
Qui ne fut pas pourtant jeu de vilain.
Des culs de lis restaient en évidence :
De la victoire on voulut profiter ;
On les retourne ; ils y contaient d’avance.
Quelle attitude ! et quel profond silence !

On entendrait une souris trotter.
Des généraux doivent se battre ensemble,
Et la Judith appartenait de droit
Au dieu du Pinde. À l’écart il la voit.
« Viens, dit tout bas la Sainte, viens, et tremble.
Je ne veux point disputer, tu m’auras ;
Mais cet honneur, bien cher tu le paieras. »
Par Apollon aussitôt entreprise,
Sa chasteté résiste faiblement ;
À ses desirs elle est bientôt soumise,
À tout se prête, et hâte le moment
Où de ses sens il va perdre l’usage.
Mais prenant goût à ce charmant ouvrage,
Elle oublia de conserver les siens.
Dans le plaisir Apollon la devance,
Au but arrive, et soudain recommence.
« Bon ! dit Judith, à présent je te tiens. »
Sa main alors subtilement ramasse
Le fer tranchant auprès d’elle placé.
Le dieu la voit, et son bras avancé
Retient en l’air le coup qui le menace.


Apollon et Judith.


Peste ! dit-il, je remplis vos souhaits,

Je recommence, et votre main cruelle
Veut m’égorger ! Que feriez-vous, la belle,
Si ma faiblesse eût manqué vos attraits ?
Seriez-vous point la Judith ? Oui, vous l’êtes ;
Et votre zèle en veut toujours aux têtes.
Moi, je suis bon ; loin de vous imiter,
À vos appas je prétends ajouter. »
Le traître alors touche d’un doigt perfide
Le point précis où naît la volupté,
Ce point secret, délicat et timide,
Dont le doux nom des Grecs est emprunté.
En même tems quelques mots il prononce,
Des mots sacrés sans doute ; et pour réponse,
Le point touché subitement s’accrut.
En frémissant Judith s’en apperçut.
On lui donnait trop ou trop peu ; la belle
S’écria donc : Suis-je mâle ou femelle ?
Elle s’élance, et frappe à tour de bras
Le dieu malin qui riait aux éclats.
Tout en riant, adroitement il pare.
La foule alors arrive et les sépare.
Vous avez vu des duègnes le troupeau

Mal figurer dans ce combat nouveau,
Et par la fuite aux claques se soustraire.
De tant courir il n’était pas besoin ;
À les poursuivre on ne s’empressait guère.
Elles font halle à six cents pas plus loin,
Et tristement regardent en arrière.
À cet aspect, lecteur, figurez-vous,
Et leur surprise et leur dépit jaloux.
Que n’ose point une femme en colère !
La frayeur cesse ; on revient sur ses pas,
Et l’on retombe en écumant de rage
Sur les pécheurs qui ne s’en doutaient pas.
Beaucoup avaient terminé leur ouvrage ;
Mais il restait encor quelques traîneurs ;
Et ces derniers se prêtaient à merveille
Au châtiment infligé par les vieilles.
D’une main sèche on claque ces claqueurs ;
Et leurs amis, qu’amuse un tel spectacle,
À la leçon bien loin de mettre obstacle,
Disaient : il faut leur apprendre à finir.
Ceux-là punis, les prudes implacables
Fondent soudain sur les saintes aimables.

Qui du combat s’étaient fait un plaisir.
Pour préluder d’abord on s’invective ;
Aux coups de poing par degrés on arrive ;
La rage augmente ; on se prend aux cheveux,
Au nez, au sein, à la jaquette, aux yeux,
Ailleurs encore ; et la troupe acharnée,
Que des païens animent les propos,
S’en va tomber sur les deux généraux.
Que fit alors l’héroïne étonnée ?
D’une voix forte elle cria : « Holà !
Séparez-vous. Quel excès d’indécence !
Vit-on jamais pareille extravagance !
Quoi ! vous veniez combattre ces gens-là !
Et sous leurs yeux… Le trait est impayable !
Au corps, au cœur, vous avez donc le diable ?
Séparez-vous, coquines, ou ces mains
Vont arracher le reste de vos crins. »
Déjà l’effet a suivi la menace.
À droite, à gauche, elle frappe et terrasse.
Lors Apollon et ses heureux soldats,
Gais et contens retournent sur leurs pas.
Ce lieu, témoin de leur folles attaques,

Fut surnommé la Chapelle des claques.
De vrais combats les attendaient ailleurs.
Leurs compagnons affaiblis, hors d’haleine,
Pliaient déjà ; la foule des vainqueurs
Entourait Mars ; Mars résistait à peine.
« Que voulez-vous, brigands du paradis ?
S’écriait-il, quel démon vous travaille ?
N’approchez pas, sotte et vile canaille,
Ou de nouveau, moi, je vous circoncis. »
Malgré les traits qui pleuvent comme grêle,
Sur les vaincus entassés pêle-mêle
D’un pied barbare il monte et s’affermit.
Frappé cent fois, son bouclier gémit :
N’importe, à fuir il ne peut se résoudre.
Seul contre tous il reste insolemment,
Comme un rocher que battent vainement
Le vent, les flots, et la grêle, et la foudre.
De son palais le souverain des dieux,
Voit des chrétiens le triomphe rapide.
Sa main saisit la redoutable égide,
Et sur son aigle il monte furieux.
« N’écoutez pas une aveugle colère,

Lui dit Minerve, et cédez au destin.
De vos efforts qu’espérez-vous enfin ?
Ainsi que vous, ces gens ont leur tonnerre ;
Il est tout frais, et le vôtre a vieilli.
Pourquoi lancer au Christ énorgueilli
De vains pétards ? cachons notre impuissance ;
De la douceur donnons-lui l’apparence.
Vous le voyez ; nos braves champions
Font éclater un courage inutile.
Qu’ils rentrent tous ; ils sont à peine mille,
Et les chrétiens comptent par millions.
Que de ces murs la force nous protége ;
Nous y pouvons soutenir un long siége.
Moi cependant, chez les dieux étrangers,
J’irai conter notre mésaventure,
Notre faiblesse et nos pressans dangers :
De leur appui leur intérêt m’assure. »
Cette leçon, mais sur-tout cet espoir,
Calma du dieu la fureur indiscrète.
À la prêcheuse il donna plein pouvoir,
Et sans délai fit battre la retraite.
Il eut raison ; ce combat inégal

À ses guerriers allait être fatal.
Bellone et Mars, affamés de carnage,
N’obéissaient qu’en frémissant de rage.
Plus furieux à ce dernier moment,
Ils se pressaient d’assommer et d’abattre ;
Puis en arrière ils marchaient lentement,
Et quelquefois revenaient brusquement
Sur les chrétiens qui tombaient quatre à quatre.
On les eût pris de loin pour les vainqueurs.
En ordre ainsi les païens se retirent,
De la montagne ils gagnent les hauteurs,
Et renfermés dans leurs murs ils respirent.
L’ardent Michel se présente aussitôt,
Et des remparts il veut tenter l’assaut.
Mais tous n’ont pas son courage héroïque.
Le jour fuyait, et l’ombre pacifique
Au doux sommeil invitait le soldat :
Pour murmurer chacun ouvrait la bouche
Quand le Trio, qui jamais ne découche,
Au lendemain renvoya le combat.
Devant le mur, autour de la colline,
Vingt bataillons par Michel sont placés ;

Au paradis le reste s’achemine,
Sur des brancards emportant les blessés.
On n’entend plus le fracas de la guerre ;
Après la gloire on cherche le repos ;
Et le poltron ainsi que le héros,
Au doux sommeil a livré sa paupière.
Priape et Mars, aux portes du palais,
Étaient de garde avec tous les Satyres.
« Eh quoi ! dit Mars, tu rêves ? tu soupires ?
De ces brigands tu crains donc le succès ?
— Moi ? point du tout ; mais l’ennui me consume.
— Je m’en doutais. Aux Satyres vraiment
Ce métier-ci ne convient nullement.
Veiller sans fruit n’est pas votre coutume ;
La continence est pour vous un tourment :
Que je vous plains ! — Mal-à-propos tu railles.
Dans ce moment je songeais aux batailles ;
Un grand projet occupait mon esprit.
— Qu’est-ce ? Voyons. — Je voudrais à profit
Mettre ce temps qu’au sommeil on enlève.
— Par quel moyen ? — J’en connais un. — Achève.
— Tu sais la guerre ; ainsi tu conviendras

Qu’il n’est jamais de siége sans sortie ;
C’est une règle au Parnasse établie.
Sur ces messieurs qui sommeillent là-bas,
J’en veux faire une ; et ne t’oppose pas
À mon projet. Mes Satyres fidèles,
Ainsi que moi connaissent les chemins ;
La nuit est sombre ; il faut qu’à ces gredins
J’aille couper le sommeil et les ailes.
— Embrasse-moi, mon ami ; tes soldats
Doivent aimer les nocturnes combats ;
Hâtez-vous donc, et partez pour la gloire. »
La porte s’ouvre ; aussitôt ces pandours,
Enveloppés de l’ombre la plus noire,
Quittent l’Olympe, hélas ! et pour toujours.


FIN DU TROISIÈME CHANT.