La franc-maçonnerie et la conscience catholique/3

Imprimerie de l’Action Sociale Ltée (p. 16-23).


III

DÉNONCIATION DES CHEFS


Sommaire : — L’Église est sage. — Sanction rigoureuse. — Ce qu’elle n’est pas. — Ses conditions. — Encore la prudence. — Ceux qui doivent parler.


L’Église ne fait rien à la légère, l’expérience des siècles passés et l’assistance de l’Esprit Saint en sont de sûrs garants. Elle a ses motifs, et elle pèse mûrement ses décisions.

Comme nous le disions tout-à-l’heure, bien que l’odieux de pareilles mesures semble peser sur elle, nous n’en persistons pas moins à déclarer que la dénonciation des sectaires est un acte de charité chrétienne, car elle se doit à tous, et elle doit protection à la foi et aux mœurs de tous les fidèles. Ses membres à leur tour lui doivent cette marque de piété filiale.

Ainsi donc cette obligation de dénoncer les francs-maçons est grave comme on vient de le voir. Mais elle l’est bien davantage quand il s’agit des chefs et officiers qui tiennent dans leurs mains tous les fils de ces organisations, et les font marcher à leur guise. C’est pourquoi l’Église a imposé une peine très sévère contre ceux qui refusent de dénoncer ces sortes de personnes. On peut juger par là de l’importance qu’elle attache à cette démarche.

Voici cette peine, c’est une excommunication réservée au Souverain Pontife. Elle se trouve dans la célèbre Constitution : Apostolicae Sedis, donnée à Rome, par le Pape Pie IX, le 12 octobre 1869. Elle se lit comme suit : « Sont excommuniés : 1o. Ceux qui donnent leur nom aux sectes maçonniques, ou sociétés du même genre, qui conspirent contre l’État ou contre l’Église ; 2o. Ceux qui les favorisent et les protègent d’une manière quelconque ; 3o. Ceux qui ne dénoncent pas les chefs ou officiers cachés et occultes, aussi longtemps que la dénonciation n’est pas faite. »

Ainsi donc, la censure porte sur trois catégories de personnes : d’abord, les francs-maçons proprement dits, puis leurs protecteurs, puis enfin ceux-là que l’on pourrait aussi bien appeler leurs protecteurs indirects, puisqu’ils les protègent par le silence. Ce sont pourtant des catégories de personnes bien distinctes, mais toutes trois encourent la même peine, toutes trois sont excommuniées au même titre.

Il n’est donc permis à personne de garder pour soi les renseignements que l’on possède sur les chefs de ces sociétés, et c’est d’autant plus urgent que l’Église ajoute une sanction à la loi commune, dont nous avons parlé tout-à-l’heure, pour presser les détenteurs de ces secrets.

Puisqu’il s’agit d’une obligation grave de sa nature, nous l’étudierons avec soin. Disons d’abord ce qu’elle n’est pas :

1o. Il ne faut pas voir ici simplement une invitation ou un désir de l’Église priant les fidèles de parler s’ils le jugent à propos.

2o. Ce n’est pas, non plus, un avertissement charitable ou une correction fraternelle qui, dans les circonstances, aurait bien peu de chance de réussir, puisqu’il s’agit des chefs.

3o. Elle ne vise pas seulement ceux qui se retirent de la société, sur leur lit de mort ou autrement.

Mais il s’agit d’une dénonciation juridique, qui doit être faite à l’autorité supérieure, légitime, en vue de la correction du délinquant ou de la protection de la communauté, et cette obligation atteint tous les catholiques qui savent, de source certaine, que tel ou tel individu est officier dans une société défendue par l’Église.

Pour parler le langage de la théologie, nous nous trouvons en présence d’un précepte positif, grave, qui oblige en conscience tous les fidèles ayant l’âge de puberté. Les termes mêmes de la formule, qui est négative, indiquent encore plus clairement sa portée.

Non denunciantes, ceux qui ne dénoncent pas ; donc tous ceux qui savent, sans exception, quels qu’ils soient, s’ils ne parlent pas, sont excommuniés. (Konings, Theol. Mor. No. 1721, 30).

La dénonciation des coupables doit être faite dans l’intervalle du mois qui suit la connaissance de cette obligation, ou bien l’élection d’un catholique à un office ou à une charge quelconque dans les loges. (Const. Apost. Sedis).

Elle doit être faite à l’Ordinaire, de vive voix, par écrit, ou par l’intermédiaire du confesseur, s’il veut bien se prêter à ce ministère. (Konings, op. cit., ut suprâ.)

Un mois de grâce est donc accordé pour faire cette démarche, mais le mois écoulé, que ce soit négligence ou que ce soit mauvais vouloir, si on ne s’est pas exécuté, on encourt de suite, et par le fait même de l’abstention, l’excommunication avec tous ses effets et conséquences, qui sont la privation des sacrements, des mérites de l’Église et de la participation à la Communion des saints.

L’absolution de cette censure est réservée au Souverain Pontife. Cependant, une fois que le précepte est accompli, tous les prêtres approuvés peuvent en absoudre ; mais, n’oublions pas que ce pouvoir ne peut être exercé avant que le coupable n’ait été relevé de la censure. (S. Off., 1er  fév. 1871.)

Il ne peut donc y avoir aucun doute dans l’esprit de personne, tous ceux qui connaissent des officiers ou des chefs des sociétés secrètes, sont tenus de les dénoncer.


Cependant, il y a des réserves dont il faut tenir compte. Ainsi nul n’est tenu de se dénoncer lui-même. Nul, non plus, n’est tenu de faire la dénonciation par un autre, s’il ne peut la faire en personne. (Ferraris verb. Denunciatio.)

Dès que le coupable est connu de l’autorité religieuse, l’obligation cesse. Cependant une simple accusation portée par les journaux ne suffirait pas. (S. Off. ut suprà.)

En outre, comme il s’agit d’un précepte de loi positive, il n’oblige pas, si son exécution peut causer des torts considérables à la personne ou aux biens du dénonciateur. Toutefois, Berardi, S. J. nous met en garde contre toute illusion qui nous ferait prendre une crainte imaginaire pour une réalité. Il faut donc y aller cum grano salis, dit-il. Le précepte ne peut cesser d’obliger que si l’on est « sérieusement » exposé au danger de l’infamie ou de la mort ; ou encore exposé à subir des dommages graves, dans ses biens ou ceux de ses proches. (Praxis Conless, No. 1069, IV.)


Nous venons de faire très large la part des réserves, c’est vrai, mais nous croyons, en agissant ainsi, nous tenir dans l’esprit de l’Église et de son enseignement doctrinal. Odiosa sunt restringenda, a-t-on coutume de dire en théologie, ce qui ne signifie pas que tout devoir pénible doit être supprimé et frustré, mais que l’Église sait apporter des tempéraments à la rigueur de ses lois : concessions à la pitié et à la commisération en faveur de la faiblesse humaine. Cependant, cette réserve faite, la loi reste intacte et conserve toute sa force effective. Comme nous le verrons bientôt elle atteindra toujours son but, car ils sont nombreux ceux-là qui ne pourront pas s’y soustraire, sans encourir la censure édictée par le Souverain Pontife.

Il y a d’abord tous les membres actuels des loges. Ils ne cessent pas d’appartenir à l’Église, bien qu’ils soient excommuniés ; ils sont sans doute en état de péché mortel, mais quand même soumis à ses lois coercitives.

Il y a encore ceux qui se retirent, pour une raison ou pour une autre ; après avoir vécu dans la société de ces gens-là, ils les connaissent très bien, eux et leurs chefs, ils doivent donc parler.

Il y a encore les amis auxquels on fait des indiscrétions, comme il y a les accidents qui vous ménagent les surprises les plus inattendues.

Et, ceux-là que les zélateurs approchent, sollicitent et pressent de donner leur nom aux sectes maçonniques composent peut-être la catégorie qui est le plus à même de fournir les meilleurs renseignements. Nous concevons bien que ce ne sont pas les catholiques les plus fervents ni les plus dévots, nous osons croire cependant qu’ils auront assez d’esprit religieux, devant une obligation si grave, pour faire leur devoir en hommes sérieux et intelligent. Ils doivent être assez nombreux ces gens-là, auprès de qui on va faire du zèle : pour faire valoir la marchandise, on cite sans doute des noms ; cela doit suffire, si on a des raisons de croire qu’ils disent vrai. Qu’ils aillent donc sans crainte, comme sans remords, porter ces confidences à qui de droit. « Bas les masques ! disait Léon XIII. Montez à l’assaut de ces sépulcres blanchis ! »


Encore une fois, il ne peut être question de racontars, ni de confidences de bonne femme, ni de révélations de journal, mais de science positive et de certitude.


Nous rappelons maintenant, pour mémoire, les sociétés condamnées nommément par l’Église :

1o. Les Francs-Maçons proprement dits et les Carbonari.

2o. Les Oddfellows, les Fils de la Tempérance. S. off. 21 août 1850. Inq., 20 juin 1894.

3o. Les Féniens. S. Off., 12 janvier 1870.

4o. Les Solidaires, les Internationalistes et les Mazzinistes. S. Off., 5 juillet 1865.

5o. Les Chevaliers de Pythias. S. Off., 21 août 1850. Inq., 25 juin 1894.

6o. En général, tous les sectaires qui conspirent contre l’Église et les pouvoirs établis, soit en public, soit en secret, et surtout les officiers et les chefs occultes et cachés.

Voilà cette obligation. Beaucoup sans doute ne la connaissaient pas encore, et ne soupçonnaient pas la censure si sévère portée par l’Église ; désormais, ils n’auront plus le droit de plaider ignorance. Grâce à leur zèle, il sera plus facile d’atteindre la racine du mal, de connaître ses causes et de lui appliquer des remèdes énergiques et efficaces.

Ne soyons pas surpris des rigueurs de l’Église contre les coryphées de la franc-maçonnerie. Tant de ruines ont été accumulées par elle depuis plus d’un siècle ! Race de vipères et de serpents ! elle s’est montrée extrêmement habile et pleine de ressources dans ses entreprises. Mais… elle avait si bien organisé la conspiration du silence, et fait des ténèbres si épaisses autour d’elle !…