La franc-maçonnerie et la conscience catholique/2

Imprimerie de l’Action Sociale Ltée (p. 9-15).

II

DÉNONCIATION DES FRANCS-MAÇONS


Sommaire : — Défense et protection. — Droit naturel. — S. Thomas et les théologiens modernes. — La Franc-Maçonnerie, force essentiellement destructive. — Prudence chrétienne. — Devoir impérieux.


Toute société, légitimement établie, possède le droit de se défendre contre toute agression injuste et de se protéger contre toute entreprise qui pourrait menacer son existence. C’est affaire de droit naturel et de droit commun. Donc, pour elle, nécessité de connaître ces agresseurs ; donc, pour tous ceux qui composent la société, obligation de dénoncer les noms de ces malfaiteurs qui complotent et préparent la désorganisation du corps social.

Le plus simple bon sens suffit pour dire à tous que l’on n’a pas le droit de se taire, qu’il y a même un devoir grave de conscience, de faire cette dénonciation, dût-on, de ce chef, encourir la haine des sectaires et s’exposer à leurs représailles : question préalable qu’il importe d’élucider dès maintenant, afin de bien faire voir à chacun l’étendue de son devoir vis-à-vis des francs-maçons.

Les théologiens s’accordent à reconnaître l’existence et la force coercitive de cette loi ; ils ne manquent pas non plus d’en préciser toute la rigueur.

S. Thomas, dans la Somme Théologique, nous dit : « Toutes les fois que le péché caché peut nuire au bien corporel ou spirituel d’autrui, il faut avertir l’autorité, car le bien public l’emporte sur le bien privé. Ce serait le cas, si un conspirateur essayait de s’emparer de la ville ou si quelqu’un voulait détruire la loi dans les âmes. »[1] L’exemple est typique. Un peu plus loin, dans l’article Ier de la question 68e de la même partie, il confirme cet enseignement. Billuart, dominicain du 18e siècle, et l’un des commentateurs les plus autorisés de S. Thomas, parle dans le même sens. Parmi les théologiens plus modernes, Konings, C. S. S. R., déclare que les particuliers sont tenus par charité, sous peine de péché grave, de dénoncer les malfaiteurs dangereux pour l’ordre public, qu’il s’agisse de l’état ou de l’Église, même s’ils devaient en souffrir. Bucceroni, S. J., dit encore que pour éviter un plus grand mal, il ne faut pas hésiter à dénoncer les fauteurs du mal qui se cachent. Une loi positive n’est même pas nécessaire, le danger public suffit pour justifier pareille démarche.

C’est clair, c’est simple, car c’est l’enseignement de l’Église donné par la plume de ses théologiens les plus compétents. Il n’y a donc plus d’hésitation possible.

Mais la franc-maçonnerie, et les sociétés secrètes en général, sont-elles un danger et une menace pour l’ordre public ?

La tolérance dont elles sont l’objet, et le crédit dont elles jouissent auprès de certains gouvernements constituent peut-être une sorte de présomption en leur faveur. Aux yeux des esprits ainsi prévenus, tous ceux qui les condamnent sont injustes, à tout le moins téméraires. Cependant, non seulement dans les siècles passés, mais encore dans le présent, elle a été et elle est encore l’instigatrice toute puissante et très écoutée de certains actes tout-à-fait nuisibles, et parfois désastreux pour l’Église comme pour l’état. Il est évident qu’elle s’est faite persécutrice.

Empruntons à Léon XIII les paroles qui résument le mieux, l’ensemble de la doctrine sur la franc-maçonnerie. Il a été vingt-cinq années durant, le docteur universel. Son génie puissant et inspiré lui a dicté, sur cette question, l’expression des pensées les plus exactes comme les plus clairvoyantes, tant au point de vue théologique et philosophique, qu’au point de vue social et politique.

Elle est, dit-il, dans son Encyclique : Humanum Genus, une institution essentiellement malfaisante, et elle constitue un péril permanent pour l’Église et pour la société civile elle-même, si bien que les peuples soucieux de leurs intérêts, à l’exemple de l’Église, devraient la condamner, la poursuivre partout où elle se cache, et la faire disparaître. Écartant d’abord d’une main ferme et vigoureuse les voiles du mystère dont elle s’enveloppe, et qui ne sont que la parodie et l’imitation de nos fêtes et de nos cérémonies, il dit ensuite la nature du serment des franc-maçons : serment odieux et criminel parcequ’il place ceux qui le prêtent au-dessus de tout tribunal, et leur défend même de dire la vérité au juge qui les interroge.

De là, montant plus haut, jusqu’aux principes suprêmes connus d’un petit nombre seulement, bien que l’on soit moins discret de nos jours, il montre que le but ultime de ces organisations, c’est la destruction de la croyance en Dieu et de tout l’ordre surnaturel. Le péché originel, la grâce, nos rapports avec l’autre monde, soit durant la vie présente soit après la mort, tout cela, disent les adeptes, ce n’est que ténèbres ; on ne les a jamais percées et on ne les percera jamais. Ce n’est pas évidemment ce qu’elle enseigne à tous les siens, ceux des rangs inférieurs, les naïfs, les badauds, les initiés des premiers degrés, elle s’en garderait bien, mais comme le dit le Souverain Pontife, c’est vers ce but qu’elle fait porter tous ses efforts. Grâce à la dissimulation, l’hypocrisie et le mensonge, elle réussit à tromper un grand nombre de personnes qu’elle enrégimente dans ses bataillons éblouis et flattés, qu’elle lance à droite et à gauche, comme des rideaux de troupes qui couvrent le corps principal, chargé des assauts les plus décisifs et les plus meurtriers.

Il va sans dire que le principal objectif de ces assauts, c’est l’Église, la gardienne ici-bas du surnaturel et la semence des vertus chrétiennes. Tout est bon contre elle : le mensonge, la calomnie, la falsification de l’histoire, comme l’interprétation scandaleuse de sa loi et de sa discipline.

Pour atteindre plus sûrement son but, elle corrompt les mœurs par la production et la propagation d’œuvres littéraires ou artistiques qui bravent l’honnêteté. L’obscène est en grande faveur chez elle.

La société civile elle-même, organisée avec une sollicitude si grande, au cours du moyen-âge, armée d’une force de résistance si remarquable, ne pouvait trouver grâce devant elle. Malgré l’ébranlement qu’elle a déjà subi, ses ennemis sentent bien que les lois sur lesquelles elle repose ont encore un parfum trop fort d’essence chrétienne. C’est pour cela que les lois qui régissent le mariage, comme son inviolabilité et son indissolubilité, sont dénoncées par elle, tournées en ridicules sur la scène ou dans le roman sans mœurs, ou menacées par des lois iniques. Elle s’empare de l’enfance qu’elle arrache aux bras et à la foi des parents et qu’elle entasse dans ses écoles où on lui enseigne autre chose que les traditions chrétiennes.

Elle ne sera satisfaite que le jour où ces bases sociales n’existeront plus, et qu’elle dictera à la société des conditions d’existence conformes à sa doctrine, c’est-à-dire le jour où elle la conduirait infailliblement à la banqueroute, si la Providence n’était là pour lui dire comme jadis à son maître : Vade retro !

Inutile d’insister d’avantage : il est certain que la franc-maçonnerie constitue un danger permanent que tout homme d’honneur et de cœur devrait combattre ; bien plus aucun gouvernement ne devrait en tolérer l’existence ni l’admettre dans ses conseils.


Dans tous les cas, pour ce qui concerne le catholique, le chrétien et le philosophe qui veulent être sérieux, ce qui précède suffit pour leur indiquer leur devoir et nous n’en demandons pas davantage aujourd’hui.

Désormais, que tous les francs-maçons et les membres des sociétés organisées sur la même base, et qui leur sont sympathiques, nous soient suspects, n’ayons aucuns rapports avec eux, et n’hésitons pas à les faire connaître au grand jour.

Il est vrai que l’Église a supprimé l’excommunication qui atteignait jadis ceux-là qui ne dénonçaient pas même les simples francs-maçons, mais l’obligation de droit commun reste toujours.

Cependant n’oublions pas les droits de la charité chrétienne. Soyons sages et prudents ! Nous savons ce que veut l’Église, elle a besoin de connaître ses ennemis, mais n’oublions pas non plus que la calomnie et l’injustice lui font horreur. Dans une matière aussi grave, nous dirons simplement avec la théologie :

« Si l’on n’a pas de preuve de ce qu’on soupçonne ou de ce qu’on a entendu dire, la charité et la justice exigent que l’on garde le silence. »

Mais à celui qui possède la preuve et la certitude, il n’est plus permis d’hésiter ni de se taire.


  1. S. Thom. 2 da, 2 dae. Q. 33, art. VII, o.