La folie érotique/Introduction

Librairie J.-B. Baillière et Fils (p. 5-9).

LA
FOLIE ÉROTIQUE



Messieurs,


Si j’entreprends aujourd’hui de vous parler de la folie érotique, ce n’est point assurément pour complaire à une vaine curiosité.

Mon but est tout différent.

Je veux d’abord vous montrer par un mémorable exemple combien les délires les plus nettement limités plongent profondément leurs racines jusqu’au fond de notre individu.

Je veux ensuite vous faire sentir combien il est difficile de fixer nettement la ligne de démarcation entre la raison et la folie.


Parmi les instincts réguliers et normaux dont la nature nous a pourvus, il n’en est certainement aucun qui exerce une aussi puissante influence sur nos sentiments et notre caractère que l’instinct génital ; et par cela même il n’en est aucun qui se prête à des perversions plus étranges même chez les sujets qui paraissent sous tous les autres points de vue avoir conservé l’équilibre de leurs facultés.

Par ses rapports avec l’un des sentiments les plus puissants et les plus légitimes de la nature humaine, cette étude présente autant d’intérêt pour le philosophe que pour le médecin.

Par ses connexions intimes avec la médecine légale, elle offre au point de vue pratique une importance hors ligne.

Tous les jours, les tribunaux ont à s’occuper d’affaires scandaleuses, dans lesquelles la part du crime et de la folie est presque impossible à déterminer. Et c’est ici que les habitudes d’esprit de chacun jouent un rôle de premier ordre dans la décision qui intervient. La sévérité est la règle chez les uns, l’indulgence prédomine chez les autres.


Il est donc absolument indispensable de s’appuyer sur des connaissances solides et pratiques pour arriver à une saine appréciation des faits de ce genre.

Mais il existe à cet égard une division profonde et fondamentale. Esquirol, à qui nous devons une excellente description de la folie érotique[1] a établi une distinction entre l’érotomanie ou folie de l’amour chaste et la nymphomanie ou folie avec excitation sexuelle.

« L’érotomanie, dit Esquirol, diffère essentiellement de la nymphomanie et du satyriasis. Dans celle-ci le mal naît des organes reproducteurs, dont l’irritation réagit sur le cerveau ; dans l’érotomanie, l’amour est dans la tête. Le nymphomane et le satyrisiaque sont victimes d’un désordre physique ; l’érotomaniaque est le jouet de son imagination. »

Cette distinction est à mon avis pleinement justifiée.

Mais elle est insuffisante et doit être complétée par l’histoire de la dépravation sexuelle qui conduit souvent les malades à ces excès immondes que les tribunaux sont appelés à réprimer.


On peut donc, je crois, formuler au point de vue didactique la classification suivante :


Folie érotique.
1o Érotomanie ou folie de l’amour chaste.
2o Excitation sexuelle.

1. Forme hallucinatoire.

2. Fore aphrodisiaque.

3. Fore obscène.

4. Nymphomanie.

5. Satyriasis.

3o Perversion sexuelle.

1. Sanguinaires.

2. Nécrophiles.

3. Pédérastes.

4. Intervertis.


C’est donc dans cet ordre que nous allons étudier successivement les différentes questions qui se rattachent à la folie érotique.


  1. Esquirol ; Des maladies mentales, Paris 1838