La duchesse de Bourgogne et l’Alliance savoyarde sous Louis XIV/08

LA DUCHESSE DE BOURGOGNE
ET
L'ALLIANCE SAVOYARDE SOUS LOUIS XIV

LE DUC DE BOURGOGNE A L’ARMÉE. — LE SIÈGE DE TURIN ET LES ACCUSATIONS CONTRE LA DUCHESSE DE BOURGOGNE[1]


I

L’armée dont le Duc de Bourgogne allait prendre le commandement nominal avait à défendre une ligne qui s’étendait depuis la mer jusqu’au Rhin, à la hauteur de Kayserswerth, petite place appartenant à l’Electeur de Cologne et située à peu de distance de Dusseldorff. La gauche, composée en grande partie des troupes espagnoles, sous les ordres du marquis de Bedmar, tenait la campagne entre Anvers et la mer. La droite, sous les ordres de Tallart, appuyait la résistance de Kayserswerth, que les Impériaux assiégeaient depuis le commencement d’avril, et que défendait avec fermeté un fils cadet de Colbert, le marquis de Blainville. Le centre, où se trouvait réuni le gros des forces, occupait le camp de Santen, non loin du Rhin, en face de Wesel.

Ce fut là que le Duc de Bourgogne rejoignit le maréchal de Boufflers, qui le reçut à la tête des troupes. Ses équipages, étant partis après lui, tardèrent assez longtemps en route. Aussi fut-il, pendant près de trois semaines, défrayé de tout par le maréchal, auquel le Roi alloua comme indemnité une gratification de 25 000 écus : « Grande grâce et si peu méritée, écrivait Boufflers à Chamillart, car j’ay fait faire la plus médiocre chère du monde à Monseigneur le Duc de Bourgogne, par l’impossibilité de la faire meilleure[2]. » Le Duc du Maine, qui servait, comme le Duc de Bourgogne, pour la première fois, arrivait au camp de Santen presque en même temps que lui[3]. Berwick, le futur vainqueur d’Almanza, Rosen, dont nous avons déjà parlé, d’Artagnan, que nous allons voir entrer en fonctions auprès du Duc de Bourgogne, y commandaient sous Boufflers, comme lieutenans généraux. C’était un brillant état-major, et on pouvait espérer favorablement du succès de la campagne. Comme nous n’écrivons point une histoire militaire, nous n’entreprendrons point ici le récit de cette campagne, sur la conduite de laquelle le Duc de Bourgogne eut en réalité peu d’influence. Mais nous voudrions le montrer livré pour la première fois à lui-même, se développant sans contrainte, et nous essayerons, à l’aide de quelques documens inédits ou nouveaux, de faire apparaître les trois hommes qui parfois se combattaient en lui : le prince, le dévot et le mari.

Le prince apparaît surtout dans les lettres que d’Artagnan, en mentor consciencieux, adressait tous les trois ou quatre jours à Chamillart et qui étaient destinées à passer sous les yeux du Roi. Le Duc de Bourgogne était à peine arrivé qu’aussitôt d’Artagnan rendait compte à Chamillart de ses impressions : « Il me paroît, Monsieur, qu’il a toutes les envies de bien faire, et m’a ordonné de luy dire en particulier tout ce que je croirois nécessaire à son instruction pour la guerre, qu’il auroit de la confiance à ce qu’il me permettroit de luy faire connoître. Je le trouve, pour le peu de temps que j’ay eu l’honneur de l’approcher, facile à aborder, écoutant avec douceur et bonté ce que j’ay l’honneur de luy proposer, voulant pourtant, avant que d’exécuter, savoir les raisons pourquoy… Il se montre ; ouvert au public, d’un visage gay, m’ayant dit que les Français sont capables de tout par la douceur et la présence de leur prince. Tous ces commencemens, Monsieur, sont heureux à un Prince doué de plus d’esprit et de pénétration que personne. Voilà jusqu’à présent tout ce que j’ay pu remarquer. Je vous supplie de dire à Sa Majesté que je ne luy dirai que la vérité, voulant me rendre digne de l’honneur infini qu’Elle m’a fait[4]. »

A travers les lettres de d’Artagnan, on voit la vie tout active et militaire que menait le Duc de Bourgogne. Ce prince auquel, à Versailles, on reprochait de demeurer toujours enfermé dans son cabinet, au camp, passait au contraire tous les jours plusieurs heures à cheval, témoignant ouvertement de l’impatience que lui causaient les lenteurs de Boufflers et l’inaction où il laissait son armée, mais profitant de ces retards pour s’initier à tous les détails du métier, veillant à la sûreté du camp, changeant par exemple les gardes de place, quand elles ne lui paraissaient pas judicieusement disposées, et sachant même, quand les circonstances l’exigeaient, faire preuve d’une fermeté sévère. C’est ainsi que, les habitudes de maraude s’étant répandues, il voulut y mettre un terme. Il fit arrêter un certain nombre de soldats qui étaient hors du camp, et il en fit désigner trois par le sort pour être pendus. Puis, « ayant considéré que c’étaient les premiers criminels qui se présentaient à sa justice, il sacrifia sa colère à sa bonté » et, les laissant aller jusqu’au lieu de leur supplice, il leur envoya leur grâce. Mais, les désordres ayant continué le lendemain, il en fit pendre résolument trois autres[5].

En même temps, rompant avec des habitudes de sauvagerie un peu morose qu’on lui reprochait avec raison, il témoignait une politesse infinie vis-à-vis des officiers de tout grade, marquant qu’il les voyait, et les saluant quand il passait sur le front de leurs troupes. Les officiers généraux, en particulier, étaient charmés des égards qu’il leur témoignait. Ils lui surent gré d’avoir un jour déclaré tout haut, à la suite de quelques difficultés qu’il y avait eu pour les logemens, « qu’il vouloit que le dernier officier général fut logé avant que son cheval fut à couvert. » « Vous pensez, bien, ajoute d’Artagnan, qu’il n’en est ni plus ni moins pour le respect qu’on doit à tout ce qui lui appartient ; mais les honnestetés et les parolles ont un grand charme dans la bouche de nos maistres pour gagner les cœurs[6] ». Il savait plaire également aux soldats, bien qu’au premier aspect, son extérieur, un peu contrefait, n’eût rien pour les enflammer. « De dos, écrivait assez méchamment Madame, les soldats le prendront pour feu le duc de Luxembourg, et croiront qu’il s’est relevé d’entre les morts, car du dos le Duc de Bourgogne ressemble tellement au maréchal de Luxembourg, qu’on jurerait que c’est lui ; » et elle ajoute : « Il serait à souhaiter qu’il eût son bonheur à la guerre[7]. »

Des lettres mêmes de d’Artagnan, il semble cependant résulter que le vieil homme n’était pas tout à fait mort dans le Duc de Bourgogne, qu’il était assez impatient des observations et des conseils, ou que du moins, pour les faire accepter par lui, il fallait les envelopper des formes du respect. « Je crois, écrivait d’Artagnan, qu’il y a manière de luy parler, surtout quand on veut qu’il fasse quelque chose ; mais, quand on s’y prend avec le respect qu’on luy doit et que ce qu’on luy dit ne ressemble point à une lesson, mais seulement à une manière de conversation, luy faisant connaistre qu’une telle chose luy a échappé parce qu’il n’y songeoit pas, il reçoit cela à merveille[8]. » Mais, sauf cette critique (et encore faut-il la deviner entre les lignes), l’éloge est complet, et Boufflers y ajoute son témoignage, quand il écrit à Louis XIV : « Je ne puis assés dire à Votre Majesté avec combien d’esprit d’application et de sens Monseigneur le Duc de Bourgogne entre dans tous les détails de l’armée. On ne peut rien mieux en tout, et il a tous les talens nécessaires pour réussir parfaitement. Il ne luy faut que l’expérience. Tous Messieurs les officiers généraux et particuliers sont charmés de ses bontés et de ses honnestetés, et tout le monde est parfaitement content. Votre Majesté peut compter sur ce que j’ay l’honneur de luy dire[9]. »

Nous allons retrouver au contraire le dévot dans les lettres à Beauvillier. Ce n’est pas cependant, que l’accent du prince n’y vibre aussi quelquefois. Il s’émeut d’un bruit qui lui arrive de Versailles. « Un des plus huppés qui soit à la Cour » aurait parié qu’avant le 15 juillet il serait de retour. Ce pari insolent l’indigne. Sans doute, bien que le Roi lui ait permis de demander à revenir quand il s’ennuierait, il est, en ce qui le concerne, résolu à ne point user de la permission et à rester tant qu’il verra qu’il y aura quelque chose à faire. Mais il craint un rappel prématuré, qui ferait de méchans effets et pour sa réputation et pour décourager les troupes du Roi[10]. Cette crainte le hante, et, à plusieurs reprises, il demande à Beauvillier de faire tout ce qui sera en son pouvoir pour prévenir ce fâcheux rappel. Se croit-il à la veille de quelque action importante, on sent la joie sincère qui l’anime. Il a passé la nuit au coin d’une haie ; il espère, au matin, que l’armée va reprendre sa marche en avant, et la pensée de voir le feu le lendemain n’a rien qui le trouble, au contraire, car il a en Dieu une confiance « semblable à celle des héros de l’Ancien Testament. » « Je montai à cheval dès six heures, écrit-il certain jour, croyant que nous pourrions avoir une action et attaquer un corps de 10 000 hommes commandé par le comte de Tilly. J’eus le temps auparavant d’entendre la messe et d’y faire mes dévotions, et je vous assure qu’ensuite, s’il y avait eu quelque combat, je ne crois pas que j’eusse craint grand’chose[11]. »

Cependant, c’est surtout de ses dévotions qu’il est question dans sa correspondance avec Beauvillier. Il entretient son ancien gouverneur de ses prières, de ses lectures, auxquelles il regrette de ne pouvoir consacrer plus de temps, de ses confessions, de ses communions, qui sont fréquentes, et parfois publiques. « Avant-hier matin, lui écrit-il, à la pointe du jour, et après que j’eus fait dire la messe, ne sachant encore si nous n’allions point attaquer les ennemis (qui, par parenthèse, étaient inattaquables), je me confessai devant tout le monde et ne fis point de difficultés de ce qu’on en pourrait dire, car Jésus-Christ ne veut pas qu’on rougisse d’être à lui. » Il fait également confidence à Beauvillier de ses inquiétudes sur l’état de son âme, de ses dissipations, de ses scrupules. Il craint, s’il lui arrive quelque bon succès, que l’orgueil et la vanité ne s’emparent de son cœur. S’il se réjouit de la victoire que le roi d’Espagne, assisté par Vendôme, vient de remporter à Luzzara, ce n’est pas seulement pour le bien de l’État, c’est aussi parce qu’il aurait pu avoir quelque secrète complaisance, s’il en avait eu une avant lui. Ce qui paraît dominer dans ces lettres, c’est la préoccupation du pénitent de ne rien celer de l’état de son âme à son confesseur laïque, ainsi que l’a dit excellemment M. le marquis de Vogüé, et c’est bien là le rôle que Beauvillier joue auprès de lui. Sans doute elles sont honorables et touchantes. On y voudrait cependant quelque chose d’un peu plus mâle et qui sentit davantage l’ardeur des vingt ans.

Cette ardeur, on la retrouverait probablement dans les nombreuses lettres qu’il adressait à la Duchesse de Bourgogne. Il n’est guère en effet de dépêche au Roi que Boufflers ne termine en disant qu’il y joint une lettre pour la Princesse. Malheureusement, ces lettres ont été perdues, ainsi que celles que la duchesse de Bourgogne elle-même lui adressait tous les jours, s’il faut en croire du moins ce qu’elle-même mandait à sa grand’mère ; mais cette régularité nous paraît peu vraisemblable et distillée surtout à excuser sa paresse épistolaire vis-à-vis de sa grand’mère. Des sentimens qu’inspirait au Duc de Bourgogne cette seconde séparation succédant à celle de l’année précédente, nous trouvons heureusement l’écho dans une lettre adressée par lui à Mme de Montgon, cette dame du palais, fille d’une amie de Mme de Maintenon, dont nous avons déjà parlé et qui inspirait aux deux époux une singulière confiance. Il date cette lettre, par plaisanterie probablement, de l’écurie de Santen. Il signe : Pyroïs, cheval du soleil, et cette plaisanterie lui permet de se livrer à une série de métaphores dont il est aisé de deviner le sens : « Dès que j’ai lu un certain endroit, lui dit-il entre autres, j’ai commencé à hennir d’une étrange manière, avec les narines plus ouvertes que jamais, j’ai respiré et soufflé le feu, et, si je n’avais été bien attaché à la mangeoire, je crois que j’aurais mordu et tiré des coups de pied sans regarder à droite et à gauche[12]. »

Sa sollicitude conjugale se traduit également, et d’une façon plus touchante, dans les lettres qu’il adressait à Mme de Maintenon. « Si je songe à me conserver de ce côté-ci, lui écrivait-il en post-scriptum d’une lettre qu’il lui adressait de Santen, songez aussi, je vous prie, à conserver une personne à qui vous savez que je prends quelque intérêt ; car j’aurois peur qu’elle ne se fit malade, et vous êtes la seule de qui elle pourra suivre les conseils là-dessus. » Mais la Duchesse de Bourgogne ne pensait point à se faire malade, et, comme c’était l’usage du reste dans un temps où la guerre ne suspendait les plaisirs ni à la Cour, ni à la ville, elle paraît n’avoir rien changé à sa vie de divertissemens pendant que son mari était à l’armée, ni fait le sacrifice d’une partie ou d’un bal.

Le Duc de Bourgogne ne trouva point, au cours de cette campagne, l’occasion brillante de se distinguer que sa jeune ambition avait rêvée. Il n’eut point, comme il le souhaitait, la joie d’écrire à son frère une lettre datée du champ de bataille, au lendemain d’une victoire remportée sur les ennemis. « La campagne de Flandres fut triste[13], » dit Saint-Simon, et il est certain en effet qu’assez brillamment commencée, elle se termina mal. La faute en fut aux incertitudes de Boufflers, qui, au début, ne sut pas profiter de ses avantages, et, à la fin, se laissa dominer par un adversaire devenu supérieur en nombre. Sans doute un jeune prince qui aurait eu le génie de la guerre aurait trouvé en lui-même les inspirations nécessaires pour suppléer aux défaillances du vieux maréchal, mais il ne se rencontre pas souvent de grand capitaine à vingt ans. Tout ce qu’on pouvait lui demander, c’était de payer bravement de sa personne. Il n’y manqua pas. A deux reprises différentes, il eut occasion de montrer qu’il était de bonne race.

La première fois, ce fut au début de la campagne. Après une trop longue période d’attente que d’Artagnan, Berwick, et le Duc de Bourgogne semblent avoir été d’accord pour blâmer, et qui fut due, partie à la nécessité d’attendre un convoi de vivres et de munitions, partie aux lenteurs de Boufflers, l’armée royale se porta en avant, et, par ce brusque mouvement, surprit l’armée ennemie qui, de son côté, s’était endormie dans l’inaction. Le comte d’Athlone, qui commandait les forces réunies de la Hollande et de l’Angleterre, prit le parti de décamper pendant la nuit. Il se réfugia sous les murs de Nimègue. Le Duc de Bourgogne s’attacha d’abord à le suivre, sans rien engager (nous résumons ici la dépêche de Boufflers au Roi)[14] en attendant son aile droite et son infanterie. La droite ayant rejoint, il ordonne qu’on poursuive l’armée ennemie avec un peu plus de vivacité. Elle est poussée et culbutée sur les glacis de Nimègue avec beaucoup d’audace. Le Duc de Bourgogne fit « alors canonner et harceler par l’infanterie toute l’armée ennemie d’une manière si vive qu’il l’obligea et força, au pied de la lettre, de se jeter dans les chemins couverts et les fossés de Nimègue et de passer au travers de la ville. » « Je ne crois pas, continue Boufflers, qu’il y ait d’exemple qu’une armée entière ait été poussée jusque sur la contrescarpe et les palissades d’une place, qu’elle y ait été actuellement attaquée et harcelée de manière qu’elle ait été forcée de se jeter dans les chemins couverts et dans les fossés, ne pouvant plus tenir contre la mousquetterie et le canon de l’armée opposée. »

N’aurait-il pas été possible de pousser plus loin l’avantage et d’enlever de vive force la place elle-même ? Berwick, le futur vainqueur d’Almanza, le donne à entendre dans ses Mémoires : « Quelques personnes proposèrent (il était du nombre probablement) d’attaquer l’armée ennemie dans le chemin couvert… Peut-être même que, dans la confusion, nous eussions entré pêle-mêle avec eux dans la place ; mais on fut si longtemps à délibérer sur cette proposition, qu’il n’y eut plus moyen de l’exécuter, car de pareils coups doivent être faits dans l’instant et sans donner à l’ennemi le temps de se reconnaître[15]. »

C’est au cours d’une délibération de cette sorte qu’un Duc d’Enghien eût, avec le coup d’œil du génie, jeté dans la balance le poids d’un avis décisif. Mais on ne saurait reprocher au Duc de Bourgogne de n’avoir pas été le Duc d’Enghien. S’il fallait en croire une chanson qu’on fit à l’époque sur l’air de « Tous les capucins du monde, » ce serait son propre mentor, d’Artagnan, qui aurait ouvert un avis trop prudent :


Esprits craintifs, loin de nos princes
Allez trembler dans vos provinces,
Laissez faire au sang de Bourbon.
Nimègue offrait une victoire,
Et, sans le conseil d’un poltron,
Bourgogne en auroit eu la gloire.


Cette chanson ne peut être l’œuvre que d’un ennemi personnel de d’Artagnan. En effet, ajoute dans une noie le chansonnier lui-même, « il n’estoit rien moins qu’un poltron[16]. » En tout cas, personne ne reprochait au Duc de Bourgogne le manque de hardiesse qui sauva peut-être l’armée ennemie[17]. Personnellement, il avait fait preuve d’entrain et de bravoure. C’était tout ce qu’on pouvait exiger de lui. « Ce qui ne se peut assez louer et admirer, écrivait Boufflers au Roi, c’est l’extrême désir que Mgr le Duc de Bourgogne a fait paraître de voir, de faire et de se porter partout, la sagesse et le sang-froid, et l’air libre et naturel qu’il conserve, sa gaieté, son coup d’œil et son bon esprit. En un mot, il met au jour toutes les qualités et parties qui font un grand homme et qui peuvent assurer qu’il sera un très grand et très bon général, el un très digne petit-fils de Votre Majesté[18]. » Il faut assurément, ici faire la part du courtisan ; mais Montrevel, un des lieutenans généraux, dans une lettre particulière à Chamillart, parle du jeune prince dans les mêmes termes : « Mgr le Duc de Bourgogne se porta partout. Il s’y est montré sous le feu des ennemis avec une fermeté et. une présence d’esprit dont tout le monde est charmé, et ce que le prince nous découvre chaque jour me donne personnellement de l’admiration et un ravissement véritable par rattachement que j’ay pour le Roy[19]. »

Le vieux roi était, lui aussi, dans le ravissement de ces témoignages qui lui arrivaient, de tous les côtés sur son petit-fils. La vivacité et la sincérité de son émotion se devinent à travers la dépêche qu’il adressait à Boufflers, en réponse à celle où le maréchal lui rendait compte de l’allaire de Nimègue. Peut-être son orgueil de grand-père s’exagérait-il même un peu la gloire qui devait résulter de cette affaire pour l’héritier de son trône. « Quoi qu’il n’ayt pas deffait les ennemis, ce qu’il vient de faire est si glorieux pour luy que la réputation de cette journée se présentera avec le même avantage dans les païs étrangers… Vous ne devés point douter, connoissant comme vous le faites la tendresse que j’ay pour luy, combien j’ai été sensible à tout ce qui s’est passé. Je ne devois pas être en doute de son courage. Ceux de son sang n’en ont jamais manqué ; mais la manière dont il s’est montré et la satisfaction des troupes m’en ont donné une que je ne puis exprimer. Vous y avés assés contribué pour que je témoigne celle que j’ay de votre attention continuelle à le faire valloir[20]. » La seconde fois que le Duc de Bourgogne fit parler de lui d’une façon avantageuse, ce fut à la fin de la campagne. Boufflers avait malheureusement perdu deux mois en marches, contremarches, campemens ou déeampemens inutiles, et, durant ces deux mois, la situation tourna peu à peu au détriment de l’armée française. Marlborough avait remplacé le comte d’Alhlone à la tête de l’armée anglo-hollandaise, et sa supériorité sur Boufflers se fit immédiatement sentir. Paralysé par le peu de bonne volonté du contingent hollandais, il ne put, comme cela était son habitude, prendre une offensive hardie. Evitant au contraire tout engagement décisif, il épuisa l’armée qui lui était opposée par des manœuvres habiles, prolongeant ainsi pour elle la difficulté de vivre sur un pays épuisé. Le service de l’intendance était défectueux, et il arrivait parfois que le pain et le fourrage manquaient au camp français.

En même temps, l’une des deux armées s’affaiblissait pendant que l’autre se fortifiait en nombre. Un important contingent que la prise de Kayserswerth, mal secourue par Tallart, avait rendu libre, venait grossir celle de Marlhorough. Au contraire, le Duc de Bourgogne recevait l’ordre de détacher douze bataillons et seize escadrons pour aller rejoindre en Alsace l’armée qui défendait Landau. Les Français se trouvaient inférieurs en nombre. Le Duc de Bourgogne prenait son parti de cet affaiblissement avec sa docilité coutumière, « regardant la volonté de Dieu dans celle du Roi[21]. » « Il me dit encore ce matin à la promenade, écrivait d’Artagnan à Chamillart, en visitant ses gardes, que, s’il étoit triste d’estre avec une armée inférieure, il en tireroit du profit pour mieux apprendre à faire la guerre que si elle estoit supérieure, par les précautions qu’il est obligé de prendre contre la supériorité des ennemis[22]. » Mais, malgré ces circonstances peu favorables, on n’admettait pas à Versailles que le rôle d’une armée commandée par l’héritier du trône pût se borner « à prendre des précautions contre la supériorité des ennemis, » ni surtout que Marlborough fût laissé libre, comme il semblait eu annoncer l’intention, de commencer la guerre de sièges et de s’emparer de places importantes. « Il seroit bien désagréable pour Mgr le Duc de Bourgogne de le voir réussir sans y mettre aucune opposition, » écrivait le Roi à Boufflers, et, dans une autre dépêche : « Vous connoissez avec moy l’importance dont il est pour la gloire de mes armes de ne pas souffrir que l’on fasse un siège en présence du Duc de Bourgogne sans qu’il y mette aucun empêchement, soit par une diversion ou de quelqu’autre manière que ce puisse être[23]. » Ainsi pressé, Boufflers essaya d’une diversion. Il porta son armée en avant, et, après lui avoir fait franchir, non sans péril, l’étroit défilé d’Hechtel, il déboucha, sur une bruyère découverte, offrant la bataille à Marlborough, qu’il trouva fortement campé à l’abri d’un ruisseau et d’un marais. Marlborough ne voulut pas abandonner cette position inexpugnable pour en venir aux mains. L’affaire se borna à une canonnade très vive. Le Duc de Bourgogne demeura toute la journée au feu, et courut même d’assez sérieux dangers. Dans l’après-midi, il mit pied à terre un instant pour prendre un léger repas. A peine avait-il terminé, qu’un boulet bien dirigé vînt renverser la table et briser le siège où il était assis, emportant la tête d’un des valets de chambre qui le servaient[24].

Toute la journée fut employée ainsi. Le lendemain, le Duc de Bourgogne, après avoir reconnu lui-même la position des ennemis, tint un conseil de guerre, dont le Duc du Maine rend compte brièvement dans son journal[25]. L’avis unanime des généraux fut qu’il était impossible d’attaquer Marlborough dans la position où il était retranché, et que la retraite s’imposait. Elle eut lieu la nuit, par le même défilé, et l’opération n’était pas sans difficulté. Le Duc de Bourgogne y fit son devoir, se tenant tout le temps à l’arrière-garde, et ne descendant de cheval qu’à minuit pour souper d’un morceau de pain et coucher sur la bruyère, enveloppé dans son manteau. Aussi les rapports militaires ne tarissent-ils pas en éloges sur son compte. « On ne peut rien adjouter, écrivait Boufflers, à, tout ce que Mgr le Duc de Bourgogne a coutume de faire de grand, de noble, de hardy et de sage dans tout ce qui s’est passé depuis trois jours devant l’armée ennemie et sous un feu très considérable de canon auquel il s’est exposé plus qu’il ne devoit. » D’Artagnan, de son côté, écrivait à Chamillart : « Rien n’est plus remarquable que la gayeté de notre prince quand il crut indispensablement à une bataille dont il mouroit d’envie ; mais rien n’est plus beau à luy de voir avec quelle tranquillité il écouta le sentiment des officiers généraux, et avec quelle raison et quelle docilité il se rendit à leur sentiment, après nous avoir déclaré que la gloire ne lui estoit chère que par rapport au Roy et à l’Estat, et que chacun parla librement[26]. »

Ce n’en était pas moins un gros échec que cette retraite sans combat d’une armée commandée par un maréchal de France et un prince du sang. Marlborough en profita immédiatement pour mettre le siège devant plusieurs places dont la chute paraissait certaine. On était mécontent à Versailles, et l’expression de ce mécontentement se retrouvait dans les lettres et les dépêches qu’on recevait à l’armée. Mais, à l’armée, où l’on se rendait mieux compte des difficultés, on rejetait sur Versailles une partie de la responsabilité, et ce n’est pas sans étonnement que nous avons trouvé sous la plume du Duc de Maine, ce bâtard si soumis, même à sa femme, un jugement dont la liberté et les termes mêmes sentent déjà l’esprit du XVIIIe siècle. « Je comprends à merveille, écrivait-il à Chamillart, que l’honneur souffre un peu de voir un siège entrepris par les ennemis, dans le temps que Monseigneur le Duc de Bourgogne est à la teste d’une armée de Sa Majesté. Il s’en faut pourtant bien que ce soit un affront, et, comme c’est toujours l’Estat qu’on sert et que le Roy lui-mesme n’en est que son premier serviteur, l’on ne doit pas faire une attention totale à l’agrément particulier d’un chef quel qu’il soit ou le mettre en estat d’empescher les choses qu’on ne veut pas voir arriver, et voilà ce qui est fort douteux présentement[27]. »

Le Roi était plus sensible, sinon à l’agrément, du moins à l’honneur de son petit-fils que ne le paraissait être le Duc du Maine. Jugeant que la campagne était perdue, il le rappela quelques jours après, pour lui éviter l’affront de voir Marlborough s’emparer sous ses yeux de toutes les principales places des Pays-Bas. Le Duc de Bourgogne quitta l’armée le 6 septembre, et, après une nouvelle, mais non moins courte entrevue avec Fénelon à Cambrai, il fut de retour à Versailles le 8, ayant par sa diligence gagné un jour, car on ne l’attendait que le lendemain. Nous avons déjà raconté qu’il se rendit chez le Roi, mais que la Duchesse de Bourgogne prévenue accourut, « quoique fort en désordre, car elle allait se mettre au lit, » et qu’il témoigna beaucoup d’impatience « de se voir en liberté avec elle[28]. »

La campagne, qui dura encore deux mois, finissait tristement. Assurément il y eut de la faute de Boufflers, mais on ne saurait néanmoins lire sans émotion cette dépêche du vieux maréchal à Chamillart : « Je ne puis quasi plus, Monsieur, écrire sur tout ceci sans avoir la larme à l’œil. Je sais mieux qu’un autre combien il est triste de n’avoir à mander que des impossibilités, des misères et des faiblesses. Je n’ai point été élevé à cela, et d’ailleurs mon naturel y répugne fort. Cependant il faut le faire dès à présent ou mentir, ce qui ne sera jamais en moi[29]. »

Quant au Duc de Bourgogne, la Cour et Paris s’accordaient pour ne lui rien imputer et pour faire son éloge. Aussi les poètes, collaborateurs habituels du Mercure, allaient-ils leur train. L’un d’eux s’écriait :


Vous avez battu, Dieu mercy,
Les troupes de Hollande ;
Nous vous disons grand mercy,
Notre joie en est grande.


Un autre lui promettait même une récompense qui, aux yeux du Duc de Bourgogne, aurait été la plus douce :


Continuez, jeune guerrier,
La princesse s’appreste
A joindre le myrte au laurier
Pour votre jeune teste.
N’ayez nulle appréhension,
La faridondaine, la faridondon,
D’estre reçu dans ce pays,
Biribi
A la façon de Barbari, mon ami[30].


En effet, une prompte grossesse de la Duchesse de Bourgogne fut la conséquence de ce retour. Mais, comme il arrivait souvent avec elle, tout se termina par une déception, et la Duchesse de Bourgogne fit une fausse couche quelques mois après.

II

Plus juste envers le Duc de Bourgogne qu’elle ne devait l’être quelques années plus tard, l’opinion publique ne s’en prit point à lui de ces résultats médiocres. Toutes les rumeurs venues du camp lui avaient été favorables. On lui savait gré de sa bonne tenue et de sa belle humeur au feu, de l’affabilité qu’il avait montrée dans ses rapports avec les officiers généraux, des soins qu’il prenait du bien-être des troupes et on ne le rendait point responsable de l’échec final. La flatterie même s’en mêlait, et le graveur Picault profitait de la circonstance pour lui dédier sa planche de la sixième bataille d’Alexandre. Tous ceux qui l’aimaient étaient dans la joie. « Toute l’armée en est charmée, écrivait la duchesse de Beauvillier à Louville. Il est aimé et estimé généralement de tout le monde. C’est un changement à ne pas le reconnaître… Je ne sais comment M. de Beauvillier peut être malade avec cela. Il en a une joie que je ne puis exprimer[31]. » Mais le plus heureux était encore Fénelon. « Ce que j’ai appris par des voies non suspectes, écrivait-il au duc de Chevreuse, marque que M. le Duc de Bourgogne fait au-delà de tout ce qu’on auroit pu espérer, et qu’il est soutenu contre ses défauts naturels par l’esprit de piété. Au nom de Dieu, tachez de faire qu’il soutienne ces commencemens merveilleux[32]. » Dans une lettre à Beauvillier, il donnait à l’ancien gouverneur de judicieux conseils sur la conduite à tenir vis-à-vis d’un élève émancipé et sur la manière de conserver influence sur lui. « Ne gardez aucune autorité à contre-temps. Ne le gênez point. Ne lui faites point de morale importune. Dites-lui simplement, courtement, et de la manière la plus douce, les vérités qu’il voudra savoir. » Et, prévoyant déjà les nuages qui pourraient s’élever un jour entre les deux époux, il ajoutait : « Tenez-vous à portée de pouvoir être un lien de concorde entre Mme la Duchesse de Bourgogne et lui, si la Providence y dispose les choses. »

Il prévoyait également, avec une perspicacité singulière, les retours d’opinion dont le Duc de Bourgogne pourrait avoir un jour à souffrir, mais ce qu’il craignait pour l’instant, c’était que cette faveur passagère ne le détachai de Dieu. « Je ne lui compte pas tant, disait-il à Beauvillier dans une autre lettre, d’avoir méprisé le monde quand le monde était contre lui, que je lui compterais de vivre détaché du monde quand le monde lui applaudit et le recherche avec empressement. Si ce prince était livré à son propre cœur, loin de Dieu et de l’ordre des grâces qu’il a éprouvées, tout se dessécherait pour lui, et le monde même qui lui aurait fait oublier Dieu servirait d’instrument à Dieu pour le venger de son ingratitude[33]. »

Ce n’était pas pour avoir oublié Dieu que le Duc de Bourgogne devait connaître un jour la défaveur du monde. Mais ce moment n’était pas encore venu, et le monde l’avait eu gré. Louis XIV lui donnait même un témoignage public de sa confiance. Jusque-là le Duc de Bourgogne n’avait fait partie que du Conseil des Dépêches. Au mois de décembre, le Roi lui annonça que désormais il ferait partie non seulement du Conseil des Finances, mais du Conseil d’État ou Conseil d’En-Haut qui était le plus important de tous. Cette marque de confiance était d’autant plus frappante que le Duc de Bourgogne n’avait que vingt ans, et que son père, Monseigneur, n’était entré au Conseil d’État qu’à trente. Aussi le Duc de Bourgogne reçut-il publiquement les félicitations des courtisans. Bouffi ers, qui venait d’arriver à la Cour, lui ayant offert les siennes, le Duc de Bourgogne, avec bonne grâce, « affecta de le remercier de ce qu’il avait beaucoup contribué à lui valoir ce témoignage de la gratitude et de l’estime de son grand-père[34]. » La Duchesse de Bourgogne, plus sensible à la gloire qu’à l’amour de son mari, en manifestait publiquement sa joie.

Au printemps de 1703, la question dut se poser à nouveau dans l’esprit de Louis XIV de savoir quelle armée il confierait à son petit-fils. Moins que jamais il pouvait être question de l’envoyer en Italie avec Vendôme. L’association avec Boufflers n’avait pas été assez heureuse pour qu’il fût tenté de le renvoyer en Flandre. Restait l’Allemagne, où l’armée royale était divisée en deux corps, l’un sous les ordres de Villars, l’autre sous les ordres de Tallart. Certes, pour achever de former le Duc de Bourgogne, l’école de Villars eût été bonne. Il avait terminé la campagne précédente par la brillante victoire de Friedlingen, à la suite de laquelle il avait été nommé maréchal de France. Nul mieux que lui n’aurait su donner de bonnes leçons d’offensive à un jeune prince chez qui paraissaient faire défaut, sinon le courage personnel, du moins la hardiesse et le coup d’œil. Mais Villars avait conçu pour la prochaine campagne un projet audacieux. C’était, à la tête de l’une des deux armées du Rhin, de franchir le fleuve, de traverser la Forêt-Noire et d’aller donner la main à l’Electeur de Bavière, qui occupait avec son armée les environs de Munich. Vendôme, passant par le Trentin et par le Tyrol, l’aurait rejoint à la tête de l’armée d’Italie, et les trois généraux, réunissant leurs forces, auraient marché sur Vienne par la vallée du Danube, pendant que l’autre armée du Rhin aurait retenu et contenu celle commandée par le prince de Bade.

Le plan était grandiose et digne du futur vainqueur de Denain. Mais il était hasardeux. Le succès en pouvait être éclatant, comme il pouvait se terminer par un désastre. Il n’entrait pas dans les desseins de Louis XIV d’associer l’héritier du trône à une expédition aussi aventureuse. La lente et sûre guerre de sièges, qui était dans les traditions de sa jeunesse, et où il avait cueilli, autrefois, de faciles lauriers, lui paraissait préférable. Il résolut de l’associer à Tallart, qui commandait l’armée destinée à manœuvrer le long du Rhin. Le choix n’était pas heureux. Tallart, qui s’était montré bon diplomate dans son ambassade auprès de Guillaume III, était un assez pauvre général, et il devait être plus que malheureux, l’année suivante, à Hochstaedt. L’honneur de commander sous le Duc de Rourgogne paraît avoir été médiocrement ressenti par lui. Il répondait assez froidement à la dépêche par laquelle la prochaine arrivée du Prince lui était annoncée, et nous verrons tout à l’heure qu’il n’eut qu’une idée : celle de le renvoyer le plus tôt possible à Versailles.

Le Duc de Bourgogne partit pour rejoindre l’armée qu’il devait commander, le 28 mai. Le marquis de Villacerf, qui était attaché à la maison de la Duchesse de Bourgogne, aurait voulu qu’il s’arrêtât chez lui ; mais, dit Sourches, « n’ayant d’autre objet que la gloire, il refusoit tout ce qui pouvoit le retarder un moment en chemin[35]. » Il atteignait Belfort le 2 juin, et en repartait immédiatement pour Strasbourg, où il arrivait la veille de la Fête-Dieu. Dès le lendemain de son arrivée, il suivait publiquement la procession du Saint-Sacrement.

Pour cette campagne, Louis XIV lui avait attaché Marcin, comme, pour la précédente, il lui avait attaché d’Artagnan. Mais, soit que Marcin ne comprît pas son devoir comme d’Artagnan, soit que sa correspondance avec Chamillart ait été perdue, il ne se trouve pas au Dépôt de la Guerre une seule lettre de lui, relative à cette campagne. Aussi, pour nous renseigner sur les mouvemens du Duc de Bourgogne, en sommes-nous réduits aux dépêches que Tallart et le Duc de Bourgogne lui-même adressaient au Roi, et aux lettres du Duc de Bourgogne à Beauvillier[36]. Les dépêches de Tallart n’ont point, quand il parle du Duc de Bourgogne, l’accent de déférence émue que nous avons trouvé dans celle de Boufflers. Parfois même il semble qu’elles soient un peu railleuses. « M. le Duc de Bourgogne a fait ses dévotions aujourd’hui, écrit-il, dans l’une d’elles. Celle où il est augmente tous les jours. Il joue quelquefois, monte à cheval, quand il y a un objet à la promenade, du reste est très souvent enfermé tout seul, et, quand il est en public, il en use fort honnêtement avec tout le monde[37]. »

Les lettres du Duc de Bourgogne à Beauvillier sont plus longues et plus militaires que celles qu’il lui adressait de Flandre l’année précédente. Il lui donne d’assez mauvaises raisons pour soutenir auprès du Roi les plans médiocres de Tallart, par les yeux duquel il voit uniquement. Mais il l’entretient souvent aussi de ses dévotions et de ses scrupules. « J’ai été un peu dissipé ces derniers jours, lui écrit-il, mais je me calme un peu aujourd’hui… Dites-moi, je vous prie, ce que vous croyez que je doive faire, cette campagne à propos des jeûnes qui se rencontreront de temps en temps, car vous savez qu’ils me seront bientôt d’obligation. » Et dans une autre lettre : « J’ai été un peu tourmenté ces jours-ci par des scrupules sur mes devoirs et des choses dont je pouvais être la cause par omission, ce qui m’a quelquefois jeté dans des troubles. Mais, quand je suis de sang-froid, je n’ai point d’envie de me décourager et me jette entre les bras de la miséricorde divine pour fortifier ma faiblesse et suppléer à mon insuffisance, car lui seul peut me soutenir et le jus de tout serait de perdre courage. » Souvent aussi il parle à Beauvillier de la Duchesse de Bourgogne et cherche à avoir par lui des nouvelles de cette épouse négligente. N’oublions pas en effet que c’est la période, si dure pour lui, où la Duchesse de Bourgogne, toute à son manège avec Nangis, ne faisait même pas l’effort de lui écrire et le réduisait, pour avoir de ses nouvelles, à adresser à Mme de Montgon les lettres à la fois bizarres et touchantes que nous avons autrefois citées[38]. Cette absence de nouvelles, dont il ne connaît pas la cause, le jette dans l’inquiétude. Parfois « l’ardeur de la poudre, le bruit du canon, la vue des morts et des blessés, » ne servent qu’à lui donner de noires idées. Il craint que la Duchesse de Bourgogne ne soit malade, et qu’on ne lui en fasse un mystère. C’est alors à Mme de Montgon qu’il s’adresse : « S’il étoit arrivé quelque chose de conforme à mes noirs pressentimens, lui écrit-il, j’établirois ma promenade sur les palissades du chemin couvert pour y trouver la fin de mes ennuis, et m’estimerois heureux, si elle étoit malade, d’attraper quelque coup de mousquet qui me réduiroit dans le même état[39]. »

Quant à ses dépêches, elles sont bien tournées, sans être brillantes. Pas plus au reste que Tallart, il ne semble se rendre un compte exact de la partie périlleuse qui se joue en Allemagne et de l’intérêt qu’il y aurait à prendre une offensive vigoureuse pour retenir le prince de Bade et l’empêcher de porter son armée sur les derrières de Villars. Pendant tout juin et tout juillet, des dépêches incessantes s’échangent entre Versailles et l’armée du Rhin sur la question de savoir s’il est préférable de mettre le siège devant Landau, devant Neuf-Brisach ou devant Fribourg. Le Roi tient pour Landau et surtout Fribourg. Tallart et le Duc de Bourgogne tiennent pour Brisach. Tout en soutenant son sentiment, qui n’est que celui de Tallart, le Duc de Bourgogne s’excuse d’entrer en contestation avec le Roi. « Je dois demander, écrit-il, encore une fois pardon à Votre Majesté, de la liberté de mes raisonnemens sur des choses qu’elle connoist beaucoup plus à fond que moi. Je profiterai des avis qu’elle a la bonté de me donner et surtout sur la patience pour ne rien risquer par une précipitation de jeune homme qui pourroit estre mal à propos[40]. » Mais cette question l’absorbe uniquement. Il voudrait que Vendôme reçût l’ordre formel de détacher quelques bataillons de son armée d’Italie pour venir grossir celle que lui-même commande, et il laisse sans réponse les dépêches pathétiques que Villars lui adresse des bords du Danube pour le presser de coopérer à son plan et d’entrer en communication avec son armée[41].

Chamillart, qui n’était pas un grand stratégiste, écrivait cependant de son côté à Tallart : « La communication avec l’Allemagne, c’est le salut. » Mais à Tallart comme au Duc de Bourgogne manquaient les vues d’ensemble. Tous deux ne pensaient qu’à prendre Brisach, et, vaincu par leur insistance, car il aurait, avec raison, préféré Landau et surtout Fribourg, le Roi leur accorda la permission de tenter ce siège. Le Duc de Bourgogne, toujours désireux d’agir personnellement, témoigne sa joie de voir arriver « le terme tant désiré où il ne pourra se compter inutile au service de Sa Majesté[42]. » Mais deux mois ont été perdus, durant lesquels le bruit s’est même répandu à la Cour que rien d’important ne serait tenté cette année. Aussi le prince de Bade, ne se sentant pas vigoureusement attaqué, s’est-il dérobé, ne laissant devant le Duc de Bourgogne qu’un rideau de troupes, et, en allant joindre son armée à celle des Impériaux, il va contribuer à l’échec du plan audacieux de Villars, auquel, de son côté, Vendôme n’apportait point le secours attendu. Tallart et le Duc de Bourgogne, tout entiers à leur siège, se réjouissent de ce départ et ne semblent point se rendre compte des difficultés avec lesquelles ils laissent Villars aux prises. Partout se faisait sentir l’absence d’une volonté forte, sachant faire tout converger au même but. Mais c’était à Versailles, comme au temps de Louvois, que cette volonté aurait dû se trouver, et il n’est pas étonnant qu’elle ne se rencontrât pas à la tête d’une armée commandée par un jeune prince et un maréchal incapable.

La tranchée était enfin ouverte devant Brisach, le 23 août. Cette ville avait été autrefois fortifiée par Vauban. Ce fut Vauban qui se chargea de la reprendre. Avec son ordinaire grandeur d’âme, il avait accepté, bien qu’il fût, comme maréchal, de la même promotion que Tallart, de ne point se mêler du détail de l’armée et de ne s’occuper que de ce qui concernait la tranchée. « Il faut, monsieur le Maréchal, lui avait dit le Duc de Bourgogne en plaisantant, que vous perdiez nécessairement votre honneur devant cette place. Ou nous la prendrons, et l’on dira que vous l’avez mal fortifiée, ou nous échouerons dans notre siège et on dira que vous m’avez mal secondé. » « On sait assez, Monseigneur, aurait répondu Vauban, comment j’ai fortifié Brisach et mon honneur est à couvert de ce côté-là, mais on ignore si vous savez prendre les villes que j’ai fortifiées, et c’est de quoi j’espère que vous convaincrez bientôt le public[43]. »

Le Duc de Bourgogne fit bien à ce siège. Il avait voulu assister à l’ouverture de la tranchée, et la première fascine fut posée sous ses yeux. « Tous les jours, il visitoit, dit Proyart, les travailleurs ; il se trouvoit sur le passage des troupes qui montoient et descendoient la tranchée ; il consoloit par des gratifications les soldats blessés qu’il rencontroit ; il alloit les visiter dans les hôpitaux et il recommandoit publiquement qu’on prît d’eux les plus grands soins[44]. » En un mot, il remplissait tous les devoirs d’un bon chef d’armée et se faisait aimer des soldats et des officiers. Il maintenait en même temps parmi les troupes une exacte discipline. Un espion ayant été découvert dans le camp, il lui fit cependant grâce, et, comme on voulait le détourner de cet acte de clémence en lui disant que cet espion était huguenot : « C’est à cause de cela, répondit-il. Il a besoin de temps pour se convertir. » Quant aux opérations du siège, il en laissait naturellement la direction à Vauban ; mais il payait de sa personne avec sang-froid et se mollirait de belle humeur au feu comme il l’avait fait l’année précédente devant Nimègue et à la canonnade d’Hechtel. Souvent il visitait la tranchée la nuit, et il advint plusieurs fois que des soldats furent tués sous ses yeux. Même chose pouvait lui arriver. Aussi eut-on quelque peine à empêcher son confesseur de l’accompagner pendant ces visites périlleuses. « Je ne saurais m’empescher, écrivait Tallart à Chamillart, d’avoir l’honneur de vous rendre compte d’une chose que je vous supplie Humblement, Monsieur, qui reste secrète. Le Père Martineau, confesseur de Mgr le Duc de Bourgogne, qui a un crédit infini auprès de luy, pour luy marquer son zèle, vouloit, à ce qu’il m’est revenu, l’accompagner à la tranchée ! Je n’ay pas cru que cet appareil-là convînt à Mgr le Duc de Bourgogne et, pour le prévenir sans avoir à en parler sérieusement, je me mis à plaisanter M. l’abbé de Pomponne sur ce qu’on disoit qu’il vouloit aller à la tranchée, et j’adjoutai, la conversation étant devant Mgr le Duc de Bourgogne, ce qu’il falloit pour tourner cela en ridicule. Mon discours est revenu au Père confesseur, qui se l’est approprié. Soyez, je vous en supplie, Monsieur, en garde pour moy contre les méchans offices secrets. Mais en vérité ? , quand j’en devrois essuyer, j’aime mieux quasy en courir le risque que de laisser aller Mgr le Duc de Bourgogne à la tranchée avec un confesseur à ses côtés[45]. »

Treize jours après l’ouverture de la tranchée, la place de Brisach, laissée sans secours et mollement défendue, battait la chamade. Le Duc de Bourgogne accorda aux défenseurs une capitulation honorable et invita le soir à souper avec lui le commandant de la place, le comte de Marsigli, qui était un Italien. C’était lui faire peut-être un peu plus d’honneur qu’il ne méritait, car sa conduite fut jugée sévèrement par l’empereur Léopold. Un procès lui fut intenté ainsi qu’au gouverneur, le comte d’Arco. Le premier vit son épée cassée par la main du bourreau, et le second eut la tête tranchée. Les vaincus étaient donc pour quelque chose dans cette facile victoire ; mais la rapidité avec laquelle une place réputée très forte avait été prise n’en faisait pas moins impression en France et même en Europe. L’année précédente, les Allemands avaient mis quatre mois à prendre Landau aux Français. Les Français avaient pris Brisach aux Allemands en treize jours, et ce contraste inspirait les poètes de Cour. Après avoir raillé la lenteur du siège de Landau, l’un d’eux s’écriait :


Prendre Brisach en treize jours,
C’est une plus belle besogne.
Ces exploits vigoureux et courts
Sont du goût du Duc de Bourgogne.
Convenez, Allemands jaloux,
Que nous attaquons mieux que vous[46].


Brisach avait capitulé le 6 septembre. Le 18, le Duc de Bourgogne quittait son armée victorieuse pour retourner à la Cour, où il arrivait le 26, ayant fait en route une telle diligence qu’il arrivait à Versailles un jour avant celui où il était attendu. D’après Saint-Simon, il n’aurait quitté l’armée que sur les ordres réitérés du Roi[47], et, d’après Saint-Hilaire, la témérité avec laquelle il se serait exposé durant le siège, malgré les observations inutiles de Marcin, n’aurait pas été étrangère à ce rappel[48]. La raison serait des plus glorieuses pour le Duc de Bourgogne, mais nous savons aujourd’hui que ce n’est point la véritable. Sa propre correspondance nous apprend en effet qu’il pensait au retour et qu’il avait sollicité son congé, avant même que le siège ne fût terminé. Cela ressort en effet des lettres adressées par lui à Beauvillier, à Chamillart, à Mme de Montgon[49]. À la vérité, il y met une condition : c’est qu’on lui permettra de revenir, avant la fin de la campagne, si l’armée tente de nouveau quelque chose d’important. Si cette permission ne doit pas lui être accordée, il priera le Roi de le laisser à l’armée. Mais on sent néanmoins que le désir du retour va grandissant chaque jour et nous en savons aujourd’hui la raison.

Il est bien difficile en effet de ne pas attribuer au désir de revoir cette épouse négligente et adorée l’impatience qu’il témoigne, impatience dont, tout à la fois, il s’accuse et se défend. Il allègue, — et c’est la vérité, — que Tallart a été le premier à le presser de partir[50]. Il a gagné quatre jours sur le maréchal, qui voulait le faire partir, sitôt le congé arrivé. Il est prêt à demeurer comme à s’en aller, si sa présence doit entraver les mouvemens de l’armée et il ne regarde en tout que le bien du service[51]. Mais son humilité ne méconnaît pas cependant que l’attache excessive aux créatures influe sur sa disposition intérieure, et il demande à Beauvillier le secours de ses prières pour corriger « ce qu’il y a de trop en lui sur ce chapitre. » Il se rend bien compte qu’à la Cour, c’est le motif auquel on attribuera son retour, et il va au-devant de cette interprétation dans une lettre à Mme de Maintenon : « Je n’ai demandé mon retour, lui écrit-il, qu’en alléguant des raisons solides et en me justifiant par là de celles qu’on auroit pu trouver de quelque autre côté, peut-être aussi touchant, mais pas si juste en pareille occasion. J’espère que vous entendez ce demi-mot[52]. »

Au moment où il allait fixer le jour de son départ, il reçut de la Duchesse de Bourgogne une lettre qui paraît bien avoir eu pour but d’empêcher son retour. Il n’est pas malaisé de deviner pourquoi elle se souciait peu de voir revenir ce mari trop amoureux. « Le Roi, lui mandait-elle, a été fort surpris que vous vous pressassiez si vite de demander à revenir, la campagne n’étant point encore avancée, et vous étant encore au siège, ce qui lui fait croire que vous n’aimez pas plus que les autres la guerre, ce qui l’a fort fâché, ce que vous verrez apparemment par la lettre qu’il vous a écrite. » Cette lettre, peu obligeante en effet, l’émeut et le trouble. « L’amour-propre a souffert, écrit-il à Beauvillier, lorsque j’ai vu le peu de fondement de cette opinion, pendant que je ne demande qu’à demeurer et que j’ai demandé aussi instamment à marcher que je l’ai fait dans ces deux dernières années[53]. » Il n’a trouvé du reste rien de semblable dans les lettres du Roi, mais il n’en expédie pas moins, le même jour (12 septembre), une longue lettre évidemment destinée dans sa pensée à passer sous les yeux de son grand-père et où il fait part à Chamillart de son émotion.

« Il m’est revenu, lui écrit-il, quelque chose qui m’inquiète beaucoup, c’est le bruit qui court que je suis déjà parti pour m’en retourner. Je croy cependant que, d’après la manière dont j’ay écrit au Roy en luy demandant mon congé, après ce qu’il m’a dit de ne point me servir avec précipitation de la permission qu’il m’en donne, il me fait la justice de n’estre point de ceux qui me croyent déjà parti, ce qui m’affligeroit sensiblement. J’ay trop d’envie de luy plaire et j’ose dire aussy que je ne compte pas ma réputation et ma gloire pour si peu que de ne pas remplir tous mes devoirs et la volonté du Roy mesme avec surabondance. Je n’ay osé lui faire part de cette peine que j’avois, n’ayant rien vu de semblable dans ses lettres, et je me flatte qu’il ne m’attend que lorsqu’il n’y aura plus rien à faire qu’à subsister avec le plus de commodité possible, pendant tout le reste de la campagne. S’il avoit quelques pensées pareilles sur moy, j’espère qu’elles seront entièrement effacées de son esprit quand il sçaura la conduite que je tiens ici où je n’ay encore pris et ne prendray de quelque temps aucunes mesures pour user de sa permission[54]. »

C’était le 12 septembre que le Duc de Bourgogne écrivait cette lettre. Il n’en quittait pas moins l’armée le 18, bien qu’il sût que la campagne n’était point terminée et que Tallart avait été autorisé par le Roi à entreprendre le siège de Landau. Mais, à la Cour, on ignorait ce projet et l’on croyait la campagne terminée. Aussi fut-il bien accueilli. Il avait pris Brisach, comme autrefois Louis XIV avait pris Namur. Il s’était fait aimer du soldat et il avait montré de la vaillance au feu. C’était tout ce qu’on demandait à un jeune prince ; on peut ajouter : tout ce qu’on était en droit de lui demander, car, lorsque ni Chamillart, ni Tallart, ni Vendôme, ni Vauban lui-même ne comprenaient la nécessité de tout combiner, de tout sacrifier pour venir en aide à Villars, il aurait fallu un coup d’œil militaire singulièrement exercé pour deviner que du côté de Villars était la conception de génie.

Une prompte grossesse de la Duchesse de Bourgogne achevait bientôt de mettre tout le monde en joie. De nouveau les chansons circulaient sur :


la bonne besogne
De M. le Duc de Bourgogne.


et personne ne lui savait mauvais gré de ce retour précipité, sauf peut-être, en secret, le Roi. En effet, la condition que le Duc de Bourgogne avait mise à son retour ne fut pas remplie. Il ne lui fut pas permis de repartir pour rejoindre l’armée qu’il avait quittée un peu prématurément, et qui, au mois d’octobre, entreprenait le siège de Landau. Tallart ne se souciait pas de partager avec lui la gloire de ce second siège comme celle du premier. Aussi paraît-il avoir fait son possible pour le tenir éloigné de l’armée, alléguant dans plusieurs de ses dépêches les incertitudes et les difficultés de l’entreprise et le danger d’exposer l’héritier du trône à un échec. Le Duc de Bourgogne, soit charité, soit défaut de clairvoyance, ne lui garda pas rancune de ce mauvais vouloir, car il lui écrivait : « Je suis très fâché que le peu de troupes que vous avez et la situation des affaires s’opposent à me retrouver avec vous à ce siège dont vous allez avoir l’honneur tout entier. Vous sçavez peut-estre déjà qu’il n’y a pas de ma fautte si je ne suis pas en chemin pour m’y rendre, mais, après une proposition réitérée et appuyée des meilleures raisons qui m’avoient passé par la teste, je ne peux que m’en tenir à la volonté du Roy et espérer que cecy me vaudra quelque chose de meilleur pour l’année prochaine. Vous sçavez de quoy je veux parler[55]. »

Quelle que fût sa soumission à la volonté du Roi, il dut cependant lui être pénible de n’avoir pas assisté à la victoire que Tallart remporta à Spire sur les Impériaux commandés par le prince de Hesse, et à la prise de Landau, qui fut la conséquence de cette victoire. Mais il en prenait son parti avec la résignation dont il était coutumier toutes les fois qu’il croyait entrevoir dans quelque événement la volonté de Dieu et celle du Roi, qui ne faisaient qu’une à ses yeux, ou encore le bien de l’Etat. « Le Duc de Bourgogne, dit Mlle d’Aumale dans ses Souvenirs inédits, à la nouvelle de la prise de Landau, marqua une grande affliction de n’avoir pas esté à ce siège et à la bataille ; mais, à part cela, il dit que ce qui le consoloit, c’estoit que, s’il eût esté dans l’armée, M. de Tallart auroit peut-estre balancé à donner la bataille ; qu’ainsi il croyoit qu’il valloit mieux pour le bien de l’Etat qu’il n’y eût point esté, et que l’intérêt de sa gloire devoit céder à la gloire du Roy et à l’honneur de la nation. »

Il est assez difficile de démêler quels avaient été les motifs du Roi pour ne pas obtempérer au désir légitime exprimé par son petit-fils et pour lui refuser ce surcroît de gloire. Peut-être (et nous inclinons à le penser d’après les termes mêmes de la réponse qu’il lui avait faite,[56], y eut-il quelque mauvaise humeur d’une demande de congé qu’il avait jugée un peu prématurée. Peut-être, et c’est l’opinion de Saint-Simon, estimait-il que « le rôle des premières têtes de l’Etat » devait être borné « à des sièges et à des campemens, exempts du hasard des batailles[57]. » Peut-être enfin ne voulait-il pas lui donner l’occasion de s’exposer de nouveau avec autant de témérité qu’il l’avait fait au siège de Brisach. C’est la version qu’adopte Proyart d’après une lettre que le Duc de Bourgogne aurait écrite à Tallart[58]. « Denonville, à force de crier que je me mettois à l’embouchure du mousquet, et que c’est par miracle que je suis revenu de l’armée, a fini par le persuader au Roi et à la Duchesse. Je crois néanmoins n’avoir fait que mon devoir et je ne voudrois jamais paroître dans une armée pour faire moins. Il ne me reste qu’à regretter de n’être pas auprès de vous. » Adoptons aussi cette version, la plus glorieuse pour le Duc de Bourgogne, et puisque, (au début de la campagne, nous l’avons vu bon soldat et vaillant au feu, pardonnons-lui de s’être montré’ à la fin trop mari et trop amoureux.


III

On ne saurait dire quelles considérations déterminèrent Louis XIV à tenir le Duc de Bourgogne à l’écart et à ne lui donner aucun commandement pendant quatre ans. Avait-il discerné qu’en dépit de sa bravoure personnelle, il manquait des qualités qui font un bon général en chef ? Obéit-il, au contraire, à ce sentiment de méfiance qu’il avait gardé de sa jeunesse troublée par la révolte de Condé, et qui lui fit tenir à l’écart de l’armée des princes du sang, tels que Monsieur, son propre frère, ou le prince de Conti, précisément parce qu’ils avaient fait preuve de qualités militaires ? Cela est peu probable. Quoi qu’il en soit, il lui rendit service. La présence du Duc de Bourgogne en Allemagne ou en Flandre n’aurait vraisemblablement empêché ni le désastre d’Hochstaedt, ni celui de Ramillies, et la bonne renommée qu’il s’était acquise demeurait du moins intacte. Cette période de la vie du Duc de Bourgogne n’est pas celle où il apparaît le plus à son avantage. C’est celle, au contraire, où il s’enfonçait de plus en plus dans une piété que Mme de Maintenon elle-même qualifie de sauvage, prenant de moins en moins part aux plaisirs de la Cour, et faisant, par son attitude, la leçon à son grand-père lui-même. Voici comme, précisément à cette époque, s’exprime sur son compte l’auteur anonyme des Nouveaux Caractères de la Famille Royale[59] : « Il paroît d’un air grave, sombre, atrabilaire, d’un tempérament violent, et d’un vif à n’être jamais content de ceux qui l’approchent. Sa piété l’emporte, et souvent très mal à propos. Il passe pour avoir de l’esprit. Il est à craindre que la pratique ne l’emporte chez lui sur la spéculation. Le temps expliquera ce mystère, et c’est ce qui nous fait suspendre notre pinceau. »

C’était aussi le temps, où, suivant le même judicieux témoignage de Mme de Maintenon, la passion furieuse qu’il ressentait pour sa femme le rendait insupportable aux autres et peut-être à elle-même. Fénelon, de loin, s’inquiétait de ces excès, et avec son esprit toujours si judicieux dans la direction des âmes, il faisait parvenir à son ancien élève, par l’intermédiaire de Beauvillier, des conseils dont la mesure contraste avec ce qu’il y avait parfois en lui-même d’un peu ardent et excessif. De même qu’il lui conseillait, lorsqu’il était à la tête de l’armée, de « donner des ordres généraux pour réprimer les désordres de mœurs, mais de ne point descendre dans les détails pour n’être point accusé de tomber par scrupule dans la rigidité et la minutie, » de même il s’efforçait discrètement, autant qu’un directeur le pouvait faire, de tempérer les excès de sa piété, le détournant « des pratiques extérieures qui ne soûl pas d’une absolue nécessité, » combattant ses habitudes de sauvagerie un peu morose, et lui marquant l’attitude qu’il devait prendre vis-à-vis de son grand-père et surtout de son père, que sa dévotion rebutait. Mais c’est dans les conseils qu’il lui donne sur sa manière d’être avec la. Duchesse de Bourgogne qu’il se montre admirable de finesse et de sagacité. Le Duc de Bourgogne aurait voulu que la Duchesse observât le carême comme lui-même, et qu’elle se privât pendant tout ce temps de tous les spectacles. « Je crois, écrivait à ce propos Fénelon, que M. le Duc de Bourgogne ne devrait pas gêner Madame la Duchesse de Bourgogne. Qu’il se contente de laisser décider son médecin sur la manière dont elle doit faire le carême, » et il ajoutait : « Si ce Prince veut inspirer de la piété à la Princesse, il doit la rendre douce et aimable, écarter tout ce qui est épineux, lui faire sentir en sa personne le prix et la douceur de la vertu simple et sans apprêt, lui montrer de la gaieté et de la complaisance dans toutes les choses qui ne relâchent rien dans le fond, enfin se proportionner à elle et l’attendre. »

On ne pouvait parler plus sagement, et, mieux que le mari, le prêtre savait comment il fallait s’y prendre avec une jeune femme. Le Duc de Bourgogne ne profita guère de ces judicieux conseils. Si nous n’appuyons pas davantage sur ses maladresses et ses fautes, c’est que déjà nous les avons mises en relief. Mais, s’il put souffrir, moins qu’il n’aurait dû peut-être, de l’indifférence de sa femme, et, d’une certaine malveillance de la Cour, cependant la vie ne lui faisait pas sentir encore ses épines, et les années d’épreuve n’avaient pas commencé pour lui.

Il n’en est pas de même pour la Duchesse de Bourgogne. Pour elle, au contraire, les années d’épreuve commencent. Nous ne reparlerons pas, pour l’avoir déjà fait longuement, des chagrins qu’elle s’attira d’abord par ses légèretés avec Nangis, puis par ses imprudences avec Maulevrier, et ses coquetteries avec Polignac. Ou se rappelle les larmes qu’elle versa à la mort de l’un, au départ de l’autre[60]. Nous parlons d’autres épreuves qui n’étaient pas de celles qu’elle aurait pu s’épargner.

Epreuves domestiques d’abord. Sa grossesse de 1704 fut laborieuse. « Elle est, écrivait la duchesse du Lude à la Duchesse de Savoie, dans des craintes d’accoucher terribles, ce qui lui donne des vapeurs et la met dans un état très triste[61]. » Ses couches ne le furent pas moins, et l’enfant dont la naissance, achetée au prix de tant de souffrances, donna lieu à de grandes démonstrations de joie ne devait pas vivre longtemps. Au bout de quelques mois, il fut emporté par une convulsion, et cette mère de vingt ans faisait pour la première fois connaissance avec les douleurs réelles de la vie. La sienne fut non seulement vive, mais, pour elle, durable. « Madame la Duchesse de Bourgogne, écrivait Mme de Maintenon, a une douleur si grande, si sainte, si sage, et si douce, qu’il ne lui est pas échappé un mot qui n’ait charmé tout le monde ; » et dans une autre lettre, postérieure de plusieurs mois : « Madame la Duchesse de Bourgogne pleura hier Monsieur son fils comme le jour de sa mort, parce que c’était celui de sa naissance[62]. » La perte, il est vrai, fut réparée en 1707 par la naissance d’un second Duc de Bretagne, mais il naissait dans des circonstances si tristes que sa venue au monde ne donna lieu à aucune réjouissance, au moins publique. Mlle d’Aumale dit, en effet, dans ses Souvenirs inédits : « Madame la Duchesse de Bourgogne accoucha d’un second fils, qui fut, comme le premier, nommé Duc de Bretagne. Le Roi, de plus en plus sensible aux calamités de son peuple, fit donner ordre à Monsieur d’Argenson, alors lieutenant général de police à Paris, d’empêcher qu’on y fît aucune dépense extraordinaire. Il fit faire la même défense aux habitans de Versailles, et ajouta hautement « qu’il souhaiteroit fort que la joie de ses sujets ne se montrât que par leur empressement à prier. »

Ce second Duc de Bretagne devait finir prématurément comme le premier. Il semble bien qu’il dût survivre de quelques jours à sa mère, que la Duchesse de Bourgogne en ait eu le pressentiment, car elle écrivait à son sujet, à sa grand’mère, une lettre singulière. Après avoir dit « qu’il n’est pas beau jusqu’à cette heure, mais fort vif et beaucoup mieux qu’il étoit en venant au monde, » elle ajoute : « Je ne le vais voir que très rarement pour ne m’y point trop attacher, et aussi pour y trouver quelque changement, car l’on ne sauroit encore s’y amuser, et, pourvu que je le sache en bonne santé, je suis contente, et c’est tout ce qu’il faut souhaiter sur cela. »

Elle eut aussi de cuisans chagrins, qu’elle dut au plus touchant et au plus respectable des sentimens : la tendresse qu’elle avait conservée pour sa famille. Nous avons vu qu’elle était restée singulièrement attachée à sa grand’mère, à sa mère et même à son rude père, avec qui elle se bornait cependant à échanger une lettre en fin d’année, et encore ne lui répondait-il pas toujours. Elle aimait aussi sa sœur, la reine d’Espagne, qu’elle s’était réjouie de voir épouser le frère de son mari et monter sur un trône avant elle. S’il n’y a point trace, aux archives d’Alcala, de correspondance directe entre les deux sœurs (on sait que la Duchesse de Bourgogne n’aimait guère à écrire), on voit, par ses lettres à sa mère, à sa grand’mère, à Philippe V, l’intérêt qu’elle ne cessait de témoigner à cette jeune sœur. « Je voudrois, écrivait-elle, savoir ce qu’elle fait depuis le matin jusqu’au soir. » Elle s’inquiétait de ses toilettes, de sa santé, de ses grossesses, et lui envoyait tantôt des ajustemens, tantôt une garde et un accoucheur. A sa grand’mère, à sa mère, elle n’avait jamais cessé d’adresser des lettres rares et courtes, mais toujours d’un tour ingénieusement tendre. Il était impossible que ces relations affectueuses et paisibles ne fussent pas troublées par la guerre et ses hasards. Malgré la rupture des relations diplomatiques entre la France et la Savoie, Louis XIV n’avait interdit, ni à la reine d’Espagne, ni à la Duchesse de Bourgogne, de correspondre avec leur famille. Lui-même leur donna l’exemple en écrivant de sa main à Victor-Amédée pour lui faire part de la naissance de leur commun petit-fils, « et il y eut, dit Sourches, beaucoup de ses bons serviteurs qui furent fâchés qu’il eût poussé l’honnêteté si loin à l’égard du duc de Savoie, appréhendant que ce prince n’y répondît pas comme il le devait[63]. » Mais les échanges de communications n’en devenaient pas moins rares et difficiles. Sans être complètement interrompu, le service des ordinaires fonctionnait mal, et souvent n’apportait point à la Duchesse de Bourgogne les nouvelles qu’elle attendait. Elle s’en affligeait, et l’on devine à la lecture de ses lettres qu’elle est préoccupée surtout de la crainte que la mésintelligence survenue entre sa patrie d’origine et sa patrie d’adoption ne diminue la tendresse des siens. C’est ainsi qu’elle écrivait à sa grand’mère, le 17 décembre 1703, c’est-à-dire deux mois après le désarmement des troupes du duc de Savoie :

« Votre lettre, ma chère grand’mère, m’a fait un sensible plaisir, d’autant plus que je ne m’attendois pas et que je craignois beaucoup de n’avoir de bien longtemps de vos nouvelles qui me sont très chères. Je vous conjure, ma chère grand’mère, de m’en donner le plus souvent qui vous sera possible, car je suis très sensible au marque de vostre souvenir et à l’amitié que vous me témoignez. Ce m’est une consolation dans la situation où nous nous trouvons de voir que vous vous souviendrez toujours d’une petite-fille qui vous aime très tendrement[64]. »

Dans presque toutes ces lettres, elle insiste sur cette consolation et supplie sa grand’mère ou sa mère de continuer à lui donner des marques de cette amitié. « Ne me privés pas plus longtemps, dit-elle à sa grand’mère, de la consolation de recevoir de vos nouvelles un peu plus souvent : dans la situation présente, j’ai besoin de tout. » Mais elle fait souvent allusion à la réserve que la guerre déclarée entre les deux pays l’oblige à conserver : « Nous sommes malheureusement, dit-elle, dans un temps où l’on ne saurait mander tout ce qu’on voudroit ; » et dans une autre lettre : « L’on n’est occupé que de l’affaire d’Ecosse, et je crois, ma chère grand’mère, que, dans la situation où nous sommes, il est tout aussi bon de n’en point parler[65]. » Mais, si ces lettres sont courtes, « fautte de matières », elle ne veut pas qu’on puisse douter de ses sentimens, et elle termine ainsi une lettre à sa mère : « Cette lettre n’auroit point de fin, si je voulois vous exprimer toute ma tendresse pour vous. Mais il n’y a pas de terme ; assez fort pour vous dire tous mes sentimens. J’espère que vous me rendés assez de justice pour n’en point douter et pour les connoître tels qu’ils sont[66]. » Aussi prend-elle une vive part aux épreuves « de ce qu’elle a de plus cher au monde, » et elle voit, par tout ce qu’elle sent, « jusqu’où va son amitié pour sa famille. » Elle ne peut savoir sa mère et sa grand’mère « dans une situation aussi malheureuse, sans avoir les larmes aux yeux, » et elle est au désespoir d’apprendre les épreuves de sa sœur. Aussi est-elle dans une tristesse « qu’aucun amusement ne peut diminuer et qui ne s’en ira plus[67]. » On lui sait gré de ces sentimens et de cette tendresse. Nous l’avons assez montrée enfant frivole et affamée de plaisirs, pour faire apparaître chez elle la femme de cœur qui commençait à prendre au sérieux les choses.

Les malheurs publics l’affectaient également. Mme de Maintenon le fait observer sans cesse dans ses lettres, avec un peu d’étonnement. « Elle est plus inquiète sur la guerre qu’il ne convient à une personne de son âge, » écrivait-elle en 1705 au duc de Noailles, et dans un entretien avec les dames de Saint-Louis[68] : « Quoiqu’elle soit encore bien jeune, elle est déjà trop sérieuse. Elle est sur les affaires de l’Etat comme si elle avait quarante ans. » Elle analyse avec une grande finesse les sentimens divers qui se combattent dans le cœur de la jeune femme : « Sa tristesse est extrême, écrit-elle à la princesse des Ursins ; elle a de l’amitié pour Monsieur son père et un grand ressentiment contre lui ; elle aime tendrement Madame sa mère ; elle prend un intérêt aussi vif aux affaires d’Espagne qu’à celles de la France ; elle aime le Roi et ne peut le voir un peu plus sérieux qu’à l’ordinaire sans avoir les larmes aux yeux[69]. »

Aussi avait-elle grande pitié de cette jeune douleur. « Madame la Duchesse de Bourgogne, qui a des chagrins épouvantables, me les vient tous apporter. Elle vint, par exemple, hier, comme je me couchois, n’en pouvant plus d’excès de fatigue. Elle se jeta sur moi et me tint très longtemps à me compter ses peines. Elle a la bonté de me demander si elle ne m’incommode point ; mais, avec toute la liberté qu’elle me donne, et quoiqu’elle me prie d’en user avec elle comme avec une fille, il m’est impossible de la compter pour rien et de n’avoir pas pour elle toute sorte d’attentions[70]. » Cette jeune princesse que nous avons vue si ardente au plaisir semblait comprendre, mieux que le Roi lui-même, que le temps des fêtes était passé. « Je me souviens, de Mlle d’Aumale, que, le lendemain de l’arrivée du courrier de M. le maréchal de Villars à la Cour, on proposa à Mme la Dauphine (Duchesse de Bourgogne) de faire une partie, et qu’elle répondit avec vivacité : « et avec qui voulez-vous que je joue ? Avec des dames qui ont leurs maris et des pères qui ont peut-estre leurs enfans à la bataille. Vous n’y pensez pas, ajouta-t-elle. Puis-je être tranquille moi-même, quand il s’agit de la plus grande affaire de l’Etat ? » L’Etat ! C’était un mot bien nouveau dans la bouche de notre princesse, et, telle que nous l’avions dépeinte jusqu’à présent, on a quelque peine à se l’imaginer à ce point transformée.


IV

Jamais ces émotions diverses n’agitèrent si vivement l’âme de la Duchesse de Bourgogne que durant l’année 1706. On sait que cette année fut particulièrement calamiteuse pour la France, déjà durement éprouvée en 1704 par le désastre de Tallart à Hochstaedt. Le printemps de cette année vit la honteuse défaite de Villeroy à Ramillies. Tessé échoua devant Barcelone, et le trône de Philippe V, fugitif dans ses propres États, pressé par l’archiduc Charles, obligé de rentrer en Espagne par la France, parut un moment singulièrement ébranlé. Il y avait déjà dans ces malheurs de quoi contrister singulièrement la Duchesse de Bourgogne, qui portait un intérêt passionné à la destinée de sa sœur, réduite à quitter Madrid pour se réfugier à Burgos. Mais ce chagrin n’était rien auprès de celui que devait lui causer la résolution prise par le Roi d’entreprendre le siège de Turin.

Son pays natal était depuis trois ans foulé aux pieds par l’armée française. Les principales villes de la Savoie et du Piémont étaient déjà tombées en leur pouvoir. Victor-Amédée venait d’être vaincu par Vendôme à Calcinato. La prise de sa capitale, celle de sa famille et peut-être de sa propre personne, auraient consommé sa ruine. Si bonne Française qu’elle fût devenue, suivant sa propre expression, la Duchesse de Bourgogne ne pouvait voir sans douleur accabler ainsi une famille qui lui était chère et un pays qui était le sien. Ces sentimens si naturels, dont elle ne se cachait nullement, qu’elle épanchait, ainsi que nous l’avons vu, dans le sein de Mme de Maintenon, n’en donnèrent pas moins naissance à une légende calomnieuse qui, d’abord murmurée à voix basse, grossit peu à peu après sa mort, que les historiens étrangers ont recueillie sans y ajouter foi, mais que nos historiens nationaux ou soi-disant tels se sont fait une joie d’accréditer. Ecoutons, en effet, Michelet : « Duclos, très informé, dit que la princesse nous trahissait, informait de tout le Duc de Savoie. On a peine à le croire, mais il est bien probable que, dans une si pénible occasion (le siège de Turin) où il s’agissait de sa vie, elle l’avertit. » Nous renvoyons à sa date, c’est-à-dire à la mort de la Duchesse de Bourgogne, de démontrer l’absurdité de cette histoire, inventée par Duclos, de pièces découvertes dans les papiers de la Duchesse de Bourgogne et qui auraient révélé sa trahison. Mais il nous faut, dès à présent, dénoncer la frivolité de cette autre légende d’avertissemens utiles que la Duchesse de Bourgogne aurait fait parvenir à son père et qui auraient aidé Victor-Amédée à sauver sa capitale. Cette légende a eu cours dès le XVIIIe siècle. D’après Voltaire, qui cependant la rejette, les officiers de l’armée elle-même qui avait été battue à Turin en furent longtemps persuadés, et ces bruits, injurieux pour elle, ont trouvé un écho ailleurs encore que dans le Siècle de Louis XIV. « Un noble Piémontais, dit le comte d’Espinchal dans des Mémoires inédits, faisait visiter à un jeune gentilhomme français l’église construite près de Turin en souvenir de la victoire de 1706. Il lui montrait une statue de la Vierge, l’église lui étant vouée. — Comment la trouvez-vous ? demanda le Piémontais. — Très ressemblante, répondit froidement le visiteur, et, comme son guide le regardait ahuri : — Oui, reprit le gentilhomme, je ne connais pas de meilleur portrait de la Duchesse de Bourgogne[71]. » L’historien très consciencieux et impartial qui rapporte cette anecdote se fait également l’écho de l’imputation dirigée contre la Duchesse de Bourgogne. « Elle est, en effet, ajoute-t-il, fortement soupçonnée d’avoir fait passer à son père des renseignemens militaires. L’échec que les armées françaises subirent en 1706 sous les murs de Turin lui a été attribué en partie. » Le chevalier de Quincey, dans ses Mémoires en cours de publication, rapporte un propos d’après lequel Villars, visitant Turin en 1733, se serait fait l’écho de la même légende. Quincey lui-même pense que ces avertissemens utiles auraient été adressés à Victor-Amédée, non par la Duchesse de Bourgogne, mais par Mme de Maintenon, qui aurait voulu lui complaire. C’est sur l’autorité et les propos d’un rebouteur surnommé Boute-en-Cuisse que s’appuie son opinion[72]. Il est donc nécessaire d’aller au fond de cette imputation et, tout en montrant qu’elle n’a rien de fondé, d’expliquer ce qui a pu lui donner naissance.

Faisons d’abord remarquer que, dès l’année précédente, il était ouvertement question de ce siège de Turin. « L’épuisement des troupes, dit Saint-Simon, en racontant la campagne de 1705, n’empêcha pas de proposer le siège de Turin, même de le résoudre et, qui pis fut, de le publier, dont on ne se trouva pas bien[73]. » En effet, des divergences entre Vauban, qui s’offrait avec désintéressement au Roi pour diriger le siège « en mettant son bâton derrière la porte, » La Feuillade, qui commandait l’armée de Piémont, et Vendôme, qui commandait l’armée de Lombardie, firent différer le siège. Mais Victor-Amédée se trouvait ainsi prévenu, et le temps lui était laissé de mettre sa capitale en état de défense. Le siège, en effet, demeurait résolu en principe. La Duchesse de Bourgogne s’en préoccupait. Elle devait d’autant moins douter du succès que les armées françaises avaient été jusque-là victorieuses en Italie, et, dans la pensée d’épargner à son père cette extrémité, elle s’efforçait de l’amener à un accommodement. N’osant s’adresser directement à lui, c’était à sa mère qu’elle s’adressait, dans une lettre peu comme et trop honorable pour qu’il ne vaille pas la peine de la citer presque en entier[74].

«… J’avoue la vérité, ma très chère mère, que ce seroit le plus grand plaisir que je pourrois avoir dans cette vie si je pouvois voir revenir mon père à la raison. Je ne comprends point comment il ne fait point quelque acomodement, sur tout dans la malheureuse situation où il se trouve et sans aucune esperence de pouvoir estre secouru. Veut-il encore se laisser prendre Turin ? Le bruit cour icy que l’on ne sera pas longtemps sans en faire le siège. Jugé, ma très chère mère, sensible comme je la suis, sur tout ce qui vous regarde, de lestat où je dois estre. Je suis au déssespoir de lestat ou se réduit mon père par sa faute. Est-il posible qu’il croi que nous ne lui fissions pas un bon acomodement ? Je vous assure que tout ce que le Roy souhaitteroit, ce seroit de voir son royaume tranquille et celluy du roy son petit-fils aussy. Il me semble que mon père devroit désirer la mesme chose pour luy, et, quand je songe qu’il en est le maître, je suis toujours estonnée que cella ne soit point. Je croy, ma très chère mère, que vous me trouvés fort estourdie de tout ce je vous mande, mais je ne puis plus me tenir pour le déssespoir où je suis de lestat ou ce trouve mon père. Malgré tout ce qui qu’il fait, je sent (qu’il) est mon père et un père que j’aime fort tendrement. Ainsi, ma très chère mère, pardon nés-moi si je vous écrit trop librement. C’est l’envie que j’aurois que nous ne lussions pas dans des interest différant qui me fait parler comme je fais. Aimés moi tousjonrs et ne me saché point mauvais gré de tout cecy, car vous voyez à quelle intention je parle et quel motif me fait agir. Je vous envoie une lettre de ma sœur, qui est aussy fâchée que moy de tout ce qui se passe. »

On reconnaîtra qu’il est impossible d’exprimer d’une façon plus touchante des sentimens plus naturels, surtout à un moment où elle pouvait savoir que le Roi n’était pas éloigné d’entrer en négociations avec ses ennemis et d’acheter la paix au prix de durs sacrifices[75]. Elle est au désespoir de l’état où son père est réduit, mais ce qu’elle souhaite, c’est un bon accommodement. Elle n’aspire qu’à une chose : la paix, et, dans toutes les lettres qu’elle écrit à sa grand’mère, à sa mère, à son père lui-même, jamais elle ne demandera ni ne conseillera autre chose. Qui pourrait le lui reprocher ?

Victor-Amédée demeura sourd aux objurgations de la Duchesse de Bourgogne, comme à celles, non moins pathétiques et non moins touchantes, que lui adressait son autre fille, la reine d’Espagne, ce qui faisait dire avec raison à Mme de Maintenon, dans une lettre à la princesse des Ursins : « Monsieur le Duc de Savoie est un grand prince. Il laisse aux bourgeois la tendresse pour leurs filles. Convenons, Madame, que les siennes mériteroient d’autres sentimens. » Aussi le siège de Turin était-il entamé à la fin de mai, dans les conditions militaires les plus fâcheuses. En effet, les deux seuls hommes qui eussent pu mener à bien une opération aussi difficile que de prendre une ville, fortifiée, en partie du moins, par Vauban, défendue par Victor-Amédée, secourue par le prince Eugène, c’étaient Vauban lui-même, et Vendôme, qui avait des parties de grand capitaine. Mais l’offre généreuse de Vauban n’avait pas été acceptée, et, au mois de juin, Vendôme était rappelé en Flandres pour réparer les fautes de Villeroy. La conduite de l’entreprise était laissée à La Feuillade. On connaît bien par Saint-Simon (et ses sévérités n’ont cette fois rien d’outré) ce général incapable, non moins courtisan que son père dont les adulations avaient lassé Louis XIV lui-même. Il dut les plus hautes faveurs, jusqu’à son bâton de maréchal, à sa situation de gendre de Chamillart, et ne s’en montra jamais digne. Dans ses nombreuses lettres à son beau-père qui ont été publiées[76] ou qui sont aux Archives de la Guerre, il étale à la fois sa présomption et son incapacité, sur laquelle Chamillart semble au reste ne s’être fait aucune illusion. L’accusation a été portée contre lui de s’être, dans toute la conduite de cette affaire, laissé influencer par le désir de plaire à la Duchesse de Bourgogne en ménageant son père. À propos de cette accusation, voici ce que nous avons trouvé dans les Souvenirs inédits de Mlle d’Aumale.

« Il est bien vrai que Mme la Duchesse de Bourgogne prit des précautions pour évitter que M. le Duc de Savoye son père ne fist pas entièrement dépouillé de ses états, mais ce qu’elle fist pour cela ne ressemble en rien à ce que les deux auteurs dont je viens de parler en ont rapporté[77]. Voicy comme la chose se passa, et je peux dire qu’on peut compter sur la vérité de mon récit. Mme la Duchesse de Bourgogne auroit inutilement tenté de séduire Mme de M… et de se faire instruire par elle des secrets de l’État, supposé qu’elle les seul : ce ne fut point la routte qu’elle prit, mais ce que je sais d’une personne qui le tient de M. de La Feuillade même, c’est que M. de La Feuillade, nommé pour l’expédition du siège de Turin, avoit envie de plaire à la Duchesse de Bourgogne, et, avant de partir pour l’armée, esfant venu prendre congé d’elle, ses charmes qu’elle redoubla par les manières les plus flatteuses firent prendre à ce seigneur le dessein de ne la pas chagriner en dépouillant le Duc de Savoye. « Ne pousse/ pas mon père à bout, » lui dit-elle entre haut et bas. Ce peu de paroles, prononcées avec un air touchant, firent tout l’effet qu’elle désiroit. M. de La Feuillade partit, mit le siège devant Thurin, attaqua romanesque nient la citadelle de Thurin (ayant esté résolu de commencer par le siège de la citadelle), ne la prit point, fut au contraire forcé de lever le siège, pendant lequel il disoit en lui-même : « Si l’on réussit, ce sera double gloire, et ce ne sera pas manque d’avoir fait tout ce qu’il falloit pour ne pas réussir. » Il avoit pris la précaution, avant de partir, de parler à M. de Chamillart, son beau-père, et lui avoit très bien montré combien il seroit désagréable à Mme la Duchesse de Bourgogne qu’on prist Thurin pour assurer le succès de l’expédition. Ce fut là les seuls ressorts qui servirent la tendresse de Mme la Duchesse de Bourgogne pour son père et sa vanité pour ne le pas voir rabaissé par la France. »

La scène est joliment racontée, mais le propos a-t-il été tenu, et La Feuillade, qui, par-dessus le marché, était un fat, n’a-t-il pas un peu arrangé les choses ? Remarquons, en tout cas, qu’il ne put l’être au moment où le place Mlle d’Aumale. En effet, La Feuillade ne partit point pour l’expédition de Turin. Il était à La tête de l’armée de Piémont depuis le mois de février de l’année précédente. Ce fut au cours de cette année 1705 que le siège de Turin fut décidé en principe, puis différé. De tout l’hiver et de tout le printemps de 1706, La Feuillade n’apparut point à la Cour. La Duchesse de Bourgogne n’aurait donc pu lui faire au moment de son départ qu’une recommandation générale, et La Feuillade, qui devait au contraire se montrer ardent partisan du siège de Turin, n’a certainement pas entretenu son beau-père des inconvéniens de ce siège. Il y aurait loin, en tout cas, on en conviendra, de cette discrète prière à des avertissemens utiles qu’elle aurait fait parvenir à Victor-Amédée. Ajoutons que de cette recommandation, si elle lui fut adressée, La Feuillade n’aurait tenu aucun compte. En effet, une des fautes qui lui furent le plus justement reprochées pendant le siège de Turin, ce fut de ne pas avoir employé toutes ses forces à investir complètement la ville, et d’avoir à plusieurs reprises abandonné ses lignes de circonvallation pour s’attacher à la poursuite du Duc de Savoie qui tenait campagne aux environs de Turin avec une petite armée, dans l’espoir chimérique de le faire prisonnier. « Il étoit, dit Saint-Simon, follement buté à la capture du Duc de Savoie et n’en vouloit pas laisser l’honneur à un autre[78]. » S’il avait réussi, s’il avait amené Victor-Amédée prisonnier dans le camp français, c’eût été singulièrement le pousser à bout, et l’humiliation en aurait été grande pour celle à qui il voulait plaire.

Quant à l’accusation d’avoir romanesquement attaqué Turin par la citadelle, afin de diminuer les chances de succès, elle n’est pas davantage fondée, car il ressort d’une lettre de La Feuillade à son beau-père que le plan lui était imposé par Versailles et par Vendôme. « Je voudrois bien, écrivait-il à Chamillart, estre le maistre d’assiéger la ville de Turin avant la citadelle, mais ce changement ne peut venir que de la Cour. Je n’oserois m’opposer à l’opinion de M. de Vendosme. Faites-y réflexion, je vous en prie. C’est une entreprise bien difficile d’attaquer la citadelle avant la ville. L’honneur de votre gendre y est compromis[79]. » Ce ne fut que plus tard, avec sa légèreté ordinaire, qu’au mépris des sages avis de Vauban, il se rallia au plan obstinément soutenu par Vendôme et qu’il entreprit de le mettre à exécution. La petite scène rapportée par Mlle d’Aumale au bout de quarante-six ans est donc tout à fait invraisemblable.

Pas n’est besoin du reste, pour expliquer le désastre de Turin, d’avoir recours à la trahison. Pour démêler les causes de ce désastre, il suffit de lire les nombreuses relations françaises et étrangères du siège et de la bataille, et surtout de feuilleter au Dépôt de la Guerre les volumineuses dépêches échangées entre Versailles et l’armée[80]. Elles y apparaissent clairement. La Feuillade était présomptueux autant qu’incapable. Il croyait n’avoir pas besoin de Vauban et se vantail de prendre Turin « à, la Cohorn[81]. » Lorsqu’il écrivait à son beau-père : « Je veux périr devant Turin ou ne me monstrer que quand je l’auray pris ; ayés assés bonne opinion de moy pour ne pas douter de l’alternative[82], » c’était pure vantardise, car il ne fit ni l’un ni l’autre. Vendôme, qui s’était obstiné, contre Vauban, à imposer l’attaque par la citadelle, avait été remplacé par le Duc d’Orléans, et c’est encore une accusation injuste que celle portée, quarante ans plus tard, par le duc de Luynes et qui rend la Duchesse de Bourgogne responsable de ce rappel, « parce qu’il aurait parlé de son père avec mépris et poussait aux dernières rigueurs[83]. » Vendôme en effet, qui avait affaire à forte partie, avec le prince Eugène sur ses derrières et Victor-Amédée devant lui, sentait les affaires tourner mal en Italie et fut heureux d’aller prendre le commandement de l’armée de Flandre où il espérait mieux. Le Duc d’Orléans avait non seulement de la bravoure, mais, ce qui manquait au Duc de Bourgogne, du coup d’œil militaire. Malheureusement son « noviciat de commandement, » suivant sa propre expression, ne lui assurait pas une autorité suffisante, et de plus il était bridé par Marcin, auquel il avait donné sa parole d’obéir en fait. Celui-là était un autre incapable, que Saint-Simon appelle, non sans raison, « une manière de linotte, intrigant qui sestoit poussé en faisant sa cour à tout ce qui estoit en quelque place de crédit, par tous les moyens[84] » mais qui du moins, mortellement Messe à Turin, comme il en avait eu le pressentiment dès le début de la campagne, sut mourir avec courage et piété, en « héros chrétien, » écrivait, avec quelque peu d’emphase, son secrétaire Duchesnoy[85].

Suivant Michelet, ce serait Marcin et non pas La Feuillade qui serait la cause de tout le mal. Confident de Mme de Maintenon, « c’est lui qui aurait apporté la pensée des dames, ses craintes, et surtout celles de la Duchesse de Bourgogne ; celle-ci aurait redouté une bataille rangée où l’on aurait peu ménagé son père. Elle aurait chapitré Marcin à son départ, et lui aurait fait promettre qu’il émettrait l’avis, le moins dangereux pour son père, » et Michelet ajoute : « Grande Histoire et très simple. Nous lui avons rendu son unité. C’est la direction qui part du seul Versailles. On croit lire des faits militaires. Non, ce sont des événemens de Cour, ceux du gouvernement, féminin personnel. Les dames y sont les Parques. De leur main délicate, elles font la destinée[86]. » Or, il est constant que Marcin était à l’armée du Rhin quand il reçut l’ordre d’aller rejoindre l’armée d’Italie, et qu’il se rendit, en Piémont par la Suisse, sans passer par Versailles. La Duchesse de Bourgogne ne put donc pas le chapitrer avant son départ ; mais, quand il s’agit d’accuser quelque prince ou princesse, Michelet n’y regarde pas de si près.

La vérité, c’est que Marcin, aussi incapable que La Feuillade, ne comprit point la hardiesse et la justesse du plan du Duc d’Orléans, qui, au lieu d’attendre dans ses lignes l’attaque du prince Eugène, voulait se porter en avant et empêcher la jonction des troupes impériales avec, celles de Victor-Amédée. Les dissentimens des trois généraux, qui éclatent dans leurs dépêches, arrivèrent à un éclat public, en plein conseil de guerre, trois jours avant la bataille. Ces dissentimens firent tout le mal. Il n’en fallut pas davantage, suivant la forte expression de Saint-Simon, pour « égorger la France, » et il n’est pas besoin d’avoir recours à ces explications de trahison qui sont, suivant la juste expression d’un auteur italien, l’habituelle consolation des vaincus[87]

Si cette justification de la Duchesse de Bourgogne ne paraissait pas suffisante, nous trouverions encore la preuve de sa complète innocence dans une lettre assez longue, surtout pour elle, qu’elle adressait à son père l’année suivante. Nous croyons devoir publier en entier cette lettre peu connue. On jugera si c’est la lettre d’une complice, et si ce mélange d’assurances affectueuses, de tendres reproches et presque de supplications est bien le ton sur lequel une fille l’aurait, pris avec un père à qui elle aurait fait parvenir en secret, l’année précédente, d’utiles avis.

A Versailles, le 31 décembre 1701.

« Les assurances, mon cher père, que ma mère m’a donné de la continuation de vostre amitié mon fait un trop grand plaisir pour ne vous pas témoigner moy mesme ma reconnaissance, et combien je suis sensible à vostre souvenir. Rien ne diminuera jamais mon respect et ma tendresse pour vous. Le sang, mon cher père, ce fait sentir bien vivement dans touttes les ocations, et, quoique ma destinée soit malheureuse puisqu’elle me fait estre dans un parti contraire au vostre, vos intérest sont si fort imprimé dans mon cœur que rien ne me fera jamais souhaitter contre. Mais celle mesme tendresse ne fait qu’augmenter ma douleur quand je songe que nous sommes au nombre de vos ennemis. J’avoue que l’amitié pourroit estre un peu blessée de voir que vous estes contre vos deux filles, mais pour moy je ne la serai jamais contre vous et je ne vous regarde que comme un père que j’aime plus que ma vie. Mes ce n’est point dire assés puisque je la sacrifirois volontier pour vous, et que vostre intérest et lunique but de mais désirs presans. Permettés moy donc, mon cher père, que j’avance d’un jour ce premier de l’année pour souhaiter que celle où nous allons entrer voie la fin de mon malheur en nous réunissant en semble d’une manière qui me comble de joie, vous dire qu’il ne tiendra qua vous, qua vous, de me rendre la plus heureuse personne du monde. Mais je crains de vous estre importune par la longueur de cette lettre. Mais pardonnés-moy la liberté que je prends. Je ne puis mempêcher de vous assurer une fois au moins par ans de ma tendresse et de mon respect, et de vous demander en mesme temps la continuation, mon cher père, de vostre amitié. Je croy la mériter et ne men rendre jamais indigne. »

Peut-être trouvera-t-on qu’elle va un peu loin lorsqu’elle dit, fût-ce à un père, « qu’elle ne souhaitera jamais rien contre ses intérests. » Mais ne faut-il pas faire la part d’une certaine exagération dans les termes inspirés par la tendresse et par l’espoir qu’elle pouvait toujours conserver de ramener un prince qui ne se piquait point de fidélité à ses engagemens, puisque deux fois déjà il avait changé d’alliance. D’ailleurs, lorsque la France soutenait la guerre à la fois en Flandre, en Espagne et en Savoie, était-il si criminel à une princesse d’origine savoyarde de souhaiter que la France triomphât plutôt aux dépens de Marlborough ou de l’archiduc Charles que de son propre père ? Dans les rapports de la Duchesse de Bourgogne avec Victor-Amédée à l’époque de la bataille de Turin, il nous est donc impossible de voir rien qui sente la trahison, ni qui soit indigne d’une princesse devenue Française. Il faut que ce singulier personnage de Victor-Amédée, qui nous paraît à distance si peu attrayant, eût cependant quelque chose en lui par quoi il sut se faire aimer, car, sans parler de la comtesse de Verrue, de la comtesse de Saint-Sébastien, et de bien d’autres encore, il fut chéri passionnément de sa femme, la pauvre Duchesse Anne, et fidèlement de ses deux filles, la Duchesse de Bourgogne et la reine d’Espagne, que (lui-même en convenait) il avait singulièrement négligées durant leur enfance, qu’il avait mariées, l’une à douze ans, l’autre à treize ans et demi, et qu’il n’avait jamais revues depuis. Cette persistance de tendresse liliale montre qu’il n’est pas toujours exact de dire, comme l’a soupiré depuis longtemps la poésie, comme le théâtre s’efforce de le démontrer, que :


L’amitié, comme les fleuves,
Descend et ne remonte pas.


Il serait hors de notre sujet de parler des relations de Victor-Amédée avec son autre fille, cette sœur cadette de la Duchesse de Bourgogne, non moins séduisante qu’elle, mais plus virile, plus capable, et qui, malgré sa jeunesse, sut se montrer à la hauteur des événemens presque tragiques auxquels elle fut mêlée. Mais ce n’est point cependant trop nous en écarter que de rapprocher la lettre citée par nous tout à l’heure d’une autre lettre, adressée, presque à la même date, par la reine Marie-Louise à ce même Victor-Amédée[88]. Cette lettre, qui est du 31 janvier 1708, n’est pas moins tendre et moins suppliante :


De Madrid, le 31 janvier 1708.

« Pourquoy croyez-vous, mon cher père, que je n’aye plus d’amitié pour vous et que même je vous aye oublié, comme vous m’avez fait mander il y a quelque temps par ma mère ? J’en suis très offensée, étant aussi éloignée que je le suis d’une pareille chose, car je puis vous assurer que je vous ay toujours aimé tendrement. Il me semble que c’est bien plutôt à moi à vous faire des reproches, puisque vous faites de vostre mieux pour m’arracher la couronne, et qu’ainsi vous ne me donnez guaire de marque de la tendresse que vous devriés avoir pour moi. Jusqu’à quand, mon cher père, prétendes vous persécuter vos filles en leur faisant souffrir tout ce qu’on peut imaginer ? Rien peut-il estre plus cruel que de se voir faire la guerre par un père qu’on aime ? Finisses mes malheurs, aimés un enfant qui le mérite ; il ne tient qu’à vous de me rendre la princesse du monde la plus heureuse. Me le refuserés-vous ? Aurés-vous un cœur assez dur pour cela ? Non, mon cher père, je ne puis croire une pareille chose, et j’espère que vous vous laisserés à la fin toucher par une fille qui est pénétrée de douleur de tout ce qui se passe, qui vous aime véritablement et qui souhaite vos avantages. »

A la vérité, ici le ton change, et la Reine se retrouve. Ces avantages qu’elle souhaite pour son père, c’est d’elle en partie qu’il dépend de les lui procurer. Elle lui offre la paix et se charge de lui faire donner par le roi de France et le roi d’Espagne le titre de roi de Lombardie. Elle lui demande d’entrer en négociation secrète avec elle par l’intermédiaire d’un gentilhomme romain qui lui remettra cette lettre en mains propres, et en effet il apparaît bien que la lettre fut écrite à l’insu, sinon peut-être de Philippe V, du moins de ses ministres. Marie-Louise, en un mot, offre de s’entremettre entre ; son père, son mari et son grand-père en reine accoutumée à traiter les grandes affaires. Mais la fille se retrouve dans ce post-scriptum qu’il est difficile de lire sans attendrissement :


« P.-S. — Je crois que vous ne laisserés pas que d’être étonné en songeant à vostre Louison (qui est le nom que j’ay eu longtemps) de lire une lettre comme celle-cy, mais malgré moy vous me faites devenir sérieuse. Je la suis tant par ce que je mande aujourd’huy, qu’il me semble qu’il ne m’est plus permis de vous appeler mon cher Papa. Soyez-le pourtant, et moy vostre Louison, et aimons-nous comme deux bons amis. »


Certes la lettre est irréprochable et d’une bonne Espagnole. Et cependant Marie-Louise fut, elle aussi, un instant calomniée : « Quoi ! écrivait-elle avec indignation à Tessé, est-il possible que l’on m’ait seulement soupçonnée d’avoir commerce avec mon père, de lui donner des avis et de lui passer de l’argen ? Je sais qu’on l’a dit. Quoi ! je voudrois détrôner mon mari et moi-même pour soutenir mon père. » D’où vient cependant que ces calomnies n’ont jamais pris corps ; que Marie-Louise était devenue populaire en Espagne au point que, bien des années après sa mort, sur le passage de celle qui lui avait succédé dans le lit de Philippe V, la foule criait : « Viva la Savoiana ! » et qu’elle occupe aujourd’hui, dans les annales de son pays d’adoption, une place héroïque ? C’est que, de son vivant, il ne s’est point trouvé à la cour d’Espagne d’ennemis pour grossir la calomnie ou de nouvellistes pour la propager, et pas davantage, après sa mort, d’historiens espagnols pour la recueillir et la prendre à leur compte. La Duchesse de Bourgogne n’a point eu cette heureuse fortune ; mais, aujourd’hui que nous pouvons juger de l’accusation, pièces en mains, il est permis de répéter, en pensant aux nouvellistes et aux historiens français, à quelques-uns surtout si mal à propos appelés nationaux, ce jugement qu’avec une sagacité rarement en défaut dans son Siècle de Louis XIV. Voltaire portait déjà, voici bientôt deux siècles, en parlant de la prétendue trahison de la Duchesse de Bourgogne : « C’était un de ces bruits populaires qui discréditent le jugement des nouvellistes et qui déshonorent les histoires. »


HAUSSONVILLE.

  1. Voyez la Revue du 1er juin.
  2. Dépôt de la Guerre, 1554. Boufflers à Chamillart, 5 juin 1702.
  3. Il existe à la Bibliothèque nationale. Mss. Nouv. acq. fr. 4359, un Journal de la campagne tenu par le Duc du Maine, dont M. de Boislisle a publié quelques fragmens au t. X de son Saint-Simon, p. 512.
  4. Dépôt de la Guerre, 1553. D’Artagnan à Chamillart, 8 mai 1702.
  5. Ibid., D’Artagnan à Chamillart, 12 mai 1702.
  6. Ibid., D’Artagnan à Chamillart, 3 mai 1702.
  7. Correspondance de Madame, traduction Jæglé, t. I, p. 260.
  8. Dépôt de la Guerre, 1555. D’Artagnan à Chamillart, 29 juillet 1702.
  9. Ibid., 1554. Boufflers au Roi, juin 1702.
  10. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvillier, par M. le marquis de Vogüe, p. 127 et passim.
  11. Ibid.. p. 142.
  12. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvillier, par M. le marquis de Vogüé, p. 125.
  13. Saint-Simon, édition Boislisle, t. X. p. 189.
  14. Dépôt de la Guerre, 1549. Boufflers au Roi, 11 juin 1702. Voyez Pelet, Histoire militaire du règne de Louis XIV, t. II. p. 531.
  15. Mémoires de Berwick, t. Ier, p. 184.
  16. Le Nouveau siècle de Louis XIV, t. III, p. 95.
  17. Voyez, au Dépôt de la Guerre, un extrait de la Gazette d’Amsterdam.
  18. Dépôt de la Guerre, 1549. Boufflers au Roi, 11 juin 1702.
  19. Ibid., Montrevel à Chamillart, 13 juin 1702.
  20. Ibid., 1554. Le Roi à Boufflers. 17 juin 1702.
  21. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvillier, par M. le marquis de Vogüé, p. 136.
  22. Dépôt de la Guerre, 1555. D’Artagnan à Chamillart. 29 juillet 1702.
  23. Dépôt de la Guerre, 1555. Le Roi à Boufflers, 20 et 23 août 1702.
  24. Quincy, Histoire militaire, t. III, p. 503.
  25. Saint-Simon, édition Boislisle. t. X, p. 517.
  26. Dépôt de la Guerre, 1555. Boufflers au Roi, 24 août 1702. D’Artagnan à Chamillart, 23 août 1702.
  27. Dépôt de la Guerre, 1555. Le Duc du Maine à Chamillart, 20 août 1702.
  28. Dangeau, t. VIII, p. 596.
  29. Pelet, Mémoires militaires, t. II, p. 577. Dépêche de Boufflers ; 5 sept, 1702.
  30. Le Chansonnier, Manuscrits français, 12693. p. 83.
  31. Saint-Simon, édition Boislisle, t. X, p. 193, note 5.
  32. Œuvres de Fénelon, édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 237. Lettre au duc de Chevreuse.
  33. Œuvres de Fénelon, édition Boislile, I. X. p. 239 et 240.
  34. Saint-Simon, édition Boislisle, t. X. p. 384. Note tirée des papiers du Père Léonard.
  35. Mémoires du marquis de Sourches, t. VIII, p. 87.
  36. Les plus importantes de ces dépêches ont été publiées par Pelet : Mémoires militaires, t. III.
  37. Dépôt de la Guerre. 1664. Tallart au Roi, 24 juin 1703.
  38. Voyez la Revue du 15 mai 1899.
  39. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvillier, par le marquis de Vogüé, p. 152-202-204.
  40. Dépôt de la Guerre, 1667. Le Duc de Bourgogne au Roi, 23 juillet 1703. Ces lignes sont en post-scriptum de la main même du Duc de Bourgogne.
  41. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvillier, par le marquis de Vogüé, p. 40. La minute de quatre de ces lettres a été découverte par le marquis de Vogüé dans les papiers de Villars ; il n’y a point trouvé de réponse du Duc de Bourgogne. Il se peut cependant que ces réponses aient été perdues, ou que le Duc de Bourgogne n’ait pas réussi à les faire parvenir. Nous n’avons rien trouvé non plus au Dépôt de la Guerre.
  42. Dépôt de la Guerre. Le Duc de Bourgogne à Chamillart, 8 et 10 août 1703.
  43. Proyart, Vie du Dauphin, père de Louis XV, t. I, p. 155.
  44. Ibid., p. 156 et passim.
  45. Dépôt de la Guerre, 1665. Tallart à Chamillart, 31 août 1703.
  46. Bibliothèque nationale, manuscrits français, 12693. Le Chansonnier, p. 83.
  47. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XI, p. 217.
  48. Saint-Hilaire, Mémoires militaires, t. II, p. 337.
  49. Dépôt de la Guerre, 1667. Le Duc de Bourgogne à Chamillart, 2 septembre 1703. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvillier, par le marquis de Vogüé, p. 200 et 207.
  50. « J’ai été le premier, écrivait Tallart au Roi, à l’engager à se servir de la permission que V. M. lui avoit donnée de s’en aller. Il ne convenoit plus, en aucun cas, qu’il restât. » Dépôt de la Guerre, 1662. Tallart au Roi, 18 sept. 1703.
  51. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvillier, par le marquis de Vogüé, p. 221 et passim.
  52. Correspondance générale de Mme de Maintenon, t. V, p. 222.
  53. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvillier, par le marquis de Vogüé, p. 219-220,
  54. Dépôt de la Guerre, 1667. Le Duc de Bourgogne à Chamillart, 12 sept. 1703.
  55. Dépôt de la Guerre, 1662. Le Duc de Bourgogne à Tallart, 2 oct. 1703.
  56. « Pour ce qui regarde la personne du Duc de Bourgogne, je veux bien qu’il quitte l’armée après que toutes les dispositions nécessaires seront faites et dans le temps que vous estimerés que sa présence ne sera plus nécessaire. J’y souscris volontiers à ces conditions. » Dépôt de la Guerre, 1662. Le Roi à Tallart, 6 sept. 1703. Pelet, Mémoires militaires, t. III, p. 464.
  57. Saint-Simon, édition Boislisle, I. XI, p. 220.
  58. Proyart, t. I, p. 164. Nous n’avons pas retrouvé l’original de la lettre au Ministère de la Guerre, où ont été déposés cependant les papiers de Tallart. Denonville, dont il est question dans cette lettre, était un des six aides du Duc de Bourgogne, que celui-ci avait envoyé à Versailles pour annoncer la capitulation de Brisach. Il était fils de l’ancien sous-gouverneur du Prince.
  59. Nouveaux caractères de la Famille Royale, des ministres d’État et des principales personnes de la Cour de France. A Villefranche, chez Paul Pinceau, 1703, p. 22.
  60. Voyez la Revue du 15 mai 1899.
  61. Marie-Adélaïde de Savoie, par M. A. Gagnière, p. 244.
  62. Correspondance générale, t. V, p. 326 et 390.
  63. Mémoires du marquis de Sourches, t. VIII, p. 406.
  64. Archives de Turin, Lettere di Maria Adélaïde di Savoia, Duchessa di Borgogna, scritte alla Duchessa Giovanna-Battista, sua avola. Nous avons rétabli d’après l’original le texte exact de cette lettre déjà publiée par la comtesse della Rocca et M. Gagnière.
  65. Archives de Turin, Lettres des 6 juin 1707 et 2 avril 1708.
  66. Ibid., Lettere di Maria-Adélaïde di Savoia, scritte alla Duchessa di Savoia, sua madre. Cette lettre est sans date.
  67. Ibid., passim. L’archiduc Charles étant entré à Madrid, la Reine avait dû se réfugier dans les montagnes des Asturies.
  68. Mme de Maintenon, d’après sa correspondance authentique, par M. Geffroy, p. 59, Entretiens sur l’éducation des filles, p. 201.
  69. Mme de Maintenon, d’après sa correspondance authentique, t. II. p. 106.
  70. Ibid., t. II, p. 191.
  71. Revue Bleue du 12 janvier 1892. Article de M. Albert Malet. — Il est certain que la statue de la Vierge qui est dans l’église de la Superga, élevée par Victor-Amédée, plusieurs années après la bataille de Turin, n’est pas, comme nous avons pu nous en assurer nous-même, sans quelque ressemblance avec la Duchesse de Bourgogne. Mais il n’est pas étonnant que Victor-Amédée ait voulu perpétuer par cette statue le souvenir d’une fille qu’il venait de perdre et qui lui avait donné plus d’une preuve de tendresse.
  72. Mémoires Un chevalier de Quincey.
  73. T. II, p. 90. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XIII, 17.
  74. Cette lettre a été publiée pour la première fois par M. Combes dans les Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux, de mars 1879 (p. 53), et reproduite par M. Paolo Boselli, ancien ministre des Finances d’Italie à la page 29 d’un petit opuscule intitulé : La Duchessa di Borgogna e la battaglia di Torino. Atti delle R. Academia delle scienze di Torino, vol. XXVII. Cette lettre est sans date, au moins d’année. Mais la double allusion aux sièges de Barcelone et de Turin ne permet pas de douter qu’elle ne soit de 1706. Nous tenons à ajouter que M. Combes et M. Boselli, l’un Français, l’autre Italien, qui ont étudié la question sur les mêmes documens que nous, partagent notre opinion sur l’injustice de l’accusation.
  75. Sur ces négociations voir Saint-Simon, édition Boislisle, t. XIII, p. 607.
  76. Michel Chamillart, contrôleur des Finances et secrétaire d’État de la Guerre, par l’abbé Esnault.
  77. Les deux historiens auxquels Mlle d’Aumale se préoccupe de répondre paraissent être La Beaumelle et Reboulet, auteur d’une Histoire de Louis XIV, qui parut en 1742. La première édition de La Beaumelle étant de 1752 et Mlle d’Aumale étant morte en 1756 à 69 ans, le manuscrit d’où nous tirons cette citation aurait donc été commencé assez peu de temps avant sa mort. Ce manuscrit, auquel nous avons déjà fait plusieurs emprunts, n’est pas en effet celui dont Lavallée avait annoncé et préparé la publication et que nous avons également en notre possession. C’est une autre version des mêmes Souvenirs, qui, après avoir été la propriété de Monmerqué, est devenue celle de M. Hanotaux. Nous préparons tous deux de concert la publication de ces deux manuscrits, et nous réservons pour le moment de cette publication les renseignemens et commentaires que nous aurons à fournir au sujet de leur provenance, de leur authenticité, et de leurs ressemblances ou différences.
  78. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XIII, p. 7.
  79. Michel Chamillart, par l’abbé Esnault, t. II, p. 28.
  80. Dépôt de la Guerre, 1966 à 1970 et 1975. Parmi les relations nous citerons, du côté français, celle publiée en 1832 par le capitaine Mengin, et, du côté italien, celle du baron Manno, publiée dans le tome XVII des Miscellanea di Storia italiana, suivie du Journal du comte de Dhaun, major général dans l’armée impériale, qui défendit brillamment Turin. Quant aux dépêches, un grand nombre en a été publié par le général Pelet, qui porte sur l’affaire elle-même le jugement suivant : » La correspondance de l’armée et celle de la Cour feront connaître encore plus particulièrement l’erreur d’un préjugé aussi dénué de vraisemblance et qui a fait naître des idées aussi fausses qu’injurieuses sur les sentimens et la conduite d’une princesse qui n’a pu avoir aucune influence sur les opérations militaires, ou pour mieux dire dans les fautes qui ont produit les événemens dont on va faire le récit. » T. VI, p. 278.
  81. Cohorn, on le sait, était un ingénieur. Alsacien d’origine, attaché aux armées Impériales et qui avait pris plusieurs places fortifiées par Vauban, entre autres Namur.
  82. Michel Chamillart, par l’abbé Esnault, t. II. p. 99.
  83. Mémoires du duc de Luynes, t. X, p. 131.
  84. Saint-Simon. Parallèle des trois Rois Bourbons, p. 277.
  85. Dépôt de la Guerre, 1966, Duchesnoy à Chamillart.
  86. Édition de 1874, t. XIV, p. 184-185.
  87. Baron Manno, L’assedio di Torino. Miscellanea di Storia ilaliana, t. XVII. Cet auteur explique également, et avec raison, l’échec des Français devant Turin par l’admirable constance et le courage incroyable des assiégés, et par les belles marches et prodigiosi concetti du prince Eugène et de Victor-Amédée.
  88. Cette lettre, publiée pour la première fois par le comte Sclopis dans son Studio storico sulla Regina di Spagna, a été reproduite en entier par Luisa Sarredo dans l’ouvrage intitulé : La regina Anna di Savoia (t. II, p. 316) et en partie par le Père Baudrillart dans son Philippe V et la Cour de France, l. I, p. 309.