La cuisine des pauvres/Avis contenant la manière de ſe nourrir bien

Claude-Marc-Antoine Varenne de Beost
La cuisine des pauvres,

ou Collection des meilleurs mémoires qui ont paru depuis peu, soit pour remédier aux accidens imprévus de la disette des grains, soit pour indiquer des moyens aux personnes peu aisées de vivre à bon marché dans tous les tems.

Avis contenant la manière de ſe nourrir bien & à bon marché, malgré la cherté des Vivres


AVIS
Contenant la manière de ſe nourrir bien & à bon marché, malgré la cherté des Vivres.
Séparateur
Traduction libre de l’Allemand.
Séparateur


LA Providence qui manifeſte par-tout la ſageſſe de ſes décrets, a voulu que les événemens, même les plus malheureux, puſſent devenir utiles, & que l’homme prudent & aviſé, ſçût en tirer de très-grands avantages.

L’exemple récent que nous en avons ſous les yeux, devient une nouvelle preuve de cette vérité inconteſtable, & qui doit affermir de plus en plus dans nos cœurs, la plus tendre reconnoiſſance des bienfaits du Tout-Puiſſant.

LA cherté des Vivres, ſuite immanquable & funeſte des récoltes ſtériles, cauſoit les plus vives allarmes dans la Suiſſe : nos Peuples dans la conſternation, redoutoient les horreurs d’une famine prochaine ; mais tandis que le Pauvre exténué, ſe croyoit à la veille de ſuccomber enfin ſous le poids de ſa miſère, des Magiſtrats éclairés, des Citoyens vertueux, réuniſſoient à l’envi, les reſſources de leur imagination, pour y trouver le remède à l’indigence, & le Ciel béniſſoit leurs travaux.

Que de grâces à rendre à la Régence qui prend ſoin de nous gouverner ! Que de familles ſoutenues par ſes ſages précautions ! Que de pères ! Que d’enfans lui devront la vie, la force, la ſanté !

Parmi les moyens que la Providence lui a ſuggérés, on doit donner ſans contredit, la préférence à l’uſage qu’elle a fait déjà pratiquer avec tant de ſuccès, d’une compoſition qui raſſemble à la fois le triple avantage d’être ſalubre & agréable au goût, & à fort bon marché. Les Domeſtiques, le Payſan, le Bourgeois, la Nobleſſe même en ont uſé, & tous n’y ont reconnu que d’excellentes qualités.

Cette nourriture ſuffit ſans aucune autre. Elle convient à tous les âges de la vie. L’enfance, la vieilleſſe s’en trouvent également bien. Elle eſt eſſentiellement préférable à la nourriture ordinaire du Peuple, dans les années d’abondance.

On ne prétend pas cependant annoncer cette compoſition comme une découverte nouvelle. Nous ſçavons au contraire, qu’elle fut mise en pratique il y a quelques années, en France, par un Pasteur très-éclairé[1], qui l’employa pendant trois mois entiers, à nourrir près de quatre cents Pauvres de ſa Paroiſſe ; nous sommes inſtruits pareillement, que cet exemple a été imité dans plusieurs autres Provinces, & qu’elles eurent lieu de s’en applaudir : cela pouvoit-il arriver autrement ? On va voir qu’il n’entre dans ce mélange que des alimens ſains, ſavoureux & convenablement aſſaiſonnés.


PRENEZ
florins. Sols. Kreutzers.
1 livres de Riz, à 5 f. la livre. 
0 10 »
7 liv. de Pommes de terre, à 1 f. 1/2 la liv. 
» 10 6
1 livre de Citrouille (ou Potiron,) à 
» 1 »
1 livre 8 onces de Carottes 
1 0
1 livre 12 onces de Navets, ou Raves. 
6
»livre 1 6 onces de Beurre, à 12 ſ. la liv. 
4 6
»livre 1 6 onces de Sel 
1
2 livres de Pain 
10
28 livres d’Eau[2] ; 
38 6

TOTAL. 44 liv.


Ces quarante-quatre livres[3] ſuffiſent pour nourrir vingt perſonnes pendant deux jours.

Faisons maintenant une comparaiſon entre le prix qu’il en coûte à vingt perſonnes pour ſe nourrir par notre méthode, & celui de la dépenſe que feroit pareil nombre de perſonnes en ſe nourriſſant de pain ſec.

On ſuppoſe qu’un homme fait, qui ne vivroit que de pain & d’eau, puiſſe ſe ſoutenir avec une livre de pain ſeulement ; il en mangera pour cinq ſols par jour, (au prix actuel d’un pain du poids de deux livres, & qui coûte dix ſols,) par conſéquent, pour dix ſols pendant deux jours.

À ce compte, la nourriture de vingt hommes pendant le même temps, reviendra donc à une piſtole.

Mais ſi ces mêmes vingt personnes, aulieu de ne manger que du pain ſeul & boire de l’eau, ce qui aſſurément ne contribue pas à maintenir les forces, & encore moins à les augmenter, préfèrent au contraire la compoſition que nous venons d’indiquer, laquelle eſt appétiſſante & très-nutritive, il n’en coûtera qu’un ſol par jour à chacun, aulieu de cinq ſols ; de ſorte qu’avec la même ſomme, on pourra nourrir cent hommes au lieu de vingt ; ou ce qui revient au même, qu’on épargnera quatre cinquièmes de la dépenſe ; & que d’ailleurs, ils feront beaucoup meilleure chere avec quarante ſols, qu’ils n’auroient fait avec dix francs.

Ce dernier point ne ſauroit être conteſté : les ingrédiens qui entrent dans notre compoſé, ſe ſervent à la table des riches comme à celle des pauvres. Tout le monde les connoit, & perſonne n’en ignore les excellentes qualités.

Si toute-fois quelqu’un pouvoit douter de la bonté de la méthode que nous propoſons, nous le renverrions aux expériences ſuivies, qui en ont été faites en France, & aux Certificats des ſavans Médecins qui l’approuvent & la recommandent.

Ces Certificats annoncent entre autres, que les enfants qui avoient uſé d’une nourriture différente de celle-ci, avoient été attaqués de mal aux yeux, de gale, d’ulcères & de quantité d’autres infirmités.

Après avoir indiqué les parties conſtitutives du mets dont nous recommandons l’uſage, il devient néceſſaire d’enſeigner la manière de l’apprêter.

1°. Vers les quatre heures du soir, faites bouillir à-peu-près quatorze bouteilles d’eau dans une marmite : prenez-en plein une cuillère à pot, & la verſez toute bouillante sur votre Riz, pour l’abreuver & le nétoyer. Cette première eau chargée d’impuretés, étant rejettée, recommencez encore une fois la même opération, avec pareille quantité d’eau bouillante ; après quoi lavez exactement le Riz dans l’eau froide, & étant égoûté, placez-le dans une marmite fermée de ſon couvercle, où vous le laiſſerez mitonner tout doucement au coin du feu, pendant la nuit.

2°. Le lendemain on mettra les Pommes de terre dans une autre marmite, (avec de l’eau chaude ;) on les remuera bien pour en détacher toute la terre, & l’enlever à force d’y verſer de l’eau froide, jusqu’à ce qu’elle en ſorte claire & nette  : la marmite ayant été enſuite bien rincée, & les Pommes y étant miſes de rechef, avec de nouvelle eau en quantité suffiſante, pour qu’elles en ſoient entièrement recouvertes, on les fera cuire. Lorsqu’elles le ſeront ſuffiſamment, on retirera du feu, la marmite qui les contient, dont on verſera l’eau ; puis on mettra à part les Pommes de terre dans un vaſe de bois ou d’autre matière, pour les réduire en pâte. Le moyen d’y parvenir promptement, eſt de manier & pétrir ces racines tandis qu’elles ſont encore chaudes ; car ſi la peau avoit eu le tems de ſe deſſécher, elle ne ſe ſépareroit plus ; il faudroit alors les peler. Cela fait, on filtre cette pulpe à travers une paſſoire à purée, & l’on y ajoute peu-à-peu, deux à trois bouteilles d’eau tiède, pour la réduire en conſiſtance de bouillie.[4]

3°. Ayant coupé les raves en morceaux, on les fait bouillir pendant une heure & demie, ſuivant le besſoin ; on les remue pour les écacher & en faire une pâte un peu plus épaiſſe : s’il reſte du jus, on le rejette, étant de mauvais goût.

4°. On réduit pareillement en petits morceaux les Carottes & la Citrouille, & après les avoir laiſſés bouillir ſuffiſamment ensemble, dans ſix à ſept bouteilles d’eau, on les pétrit de façon à ce qu’elles puiſſent coûler à travers la paſſoire. L’eau qui en découle, étant agréable, on ne la rejette pas, comme on a dû faire de la précédente.

5°. Tout ce que nous venons de preſcrire étant exécuté, on revient à la marmite qui contient déja le Riz, & dans laquelle il faudra verſer les autres Ingrédiens ; ainſi elle doit être de grandeur ſuffiſante. On allumera de nouveau, du feu ſous cette marmite, dans laquelle on ajoutera ſix onces de Beurre & autant de Sel, qu’il aura fallu diſſoudre auparavant, dans ſuffiſante quantité d’eau chaude : on fera cuire doucement ce mêlange, en le remuant continuellement pendant l’espace de deux heures à deux heures & demie, au bout deſquelles, on jettera dans ladite marmite, deux livres de Pain briſé en très-petits morceaux, & l’on ſoutiendra le feu encore une demi-heure, après quoi le tout ſe trouvera en état d’être servi. Une cuillère de bois, capable de contenir une demi-livre de notre mets, étant plongée à deux reprises, dans la marmite, en retire la doſe ſuſſiſante pour la nourriture journalière d’un homme.

6°. Il est aiſé de concevoir qu’au défaut de quelques Ingrédients de la recette ci-deſſus, on y ſupplée par une plus grande quantité des autres. Suppoſé, par exemple, que le tems des Pommes de terre fraîches, fût paſſé, que, la première proviſion fût épuiſée, ou ce qu’il en reſteroit, ne valût rien, nous penſons que l’on pourra y ſubſtituer des Pommes de terre ſeches, ou des Poires auſſi deſſéchées.[5] Dans ce cas, nous conſeillons de les deſſécher de nouveau au four ou autrement, avant d’en faire uſage ; cette précaution les rendra plus ſaines & plus propres à être réduites en bouillie. Au défaut de Beurre, le Lait peut être employé avec ſuccès : le Lard ſeroit encore meilleur ; mais si l’on avoit quelque piece de viande à faire bouillir avec le Riz, cela donneroit le dernier degré à notre compoſé.

7°. Comme la méthode que l’on indique, est auſſi facile à ſuivre, que peu diſpendieuse, il y a apparence qu’elle préviendra déſormais, toute eſpèce de murmures de la part du Peuple, dans le cas de diſette. Nous répétons qu’elle convient également aux Vieillards décrépits, & aux Enfants en très-bas âge ; de ſorte que par une ſuite ordinaire de la ſageſſe de la Régence, & avec l’aide des Couvents, des Bailliages, des Fondations pieuſes, & l’aſſistance des Gens de bien, la miſère de nos Pauvres, va ſans doute ſe trouver conſidérablement ſoulagée, & ils n’auront plus à redouter les cruels ravages de la famine.

8°. Les familles nombreuſes s’entretiendront au poids marqué. Celles au contraire pour qui cette même doſe deviendroit trop conſidérable, pourront la réduire à proportion de leur nombre ; mais le parti le plus avantageux en pareille circonſtance, ſeroit que pluſieurs familles du voiſinage, priſſent le parti de ſe réunir pour faire cette cuiſine en commun ; elles épargneroient par ce moyen, & du tems & du bois, pour cuire les matières ; on en prépareroit aiſément quatre cent cinquante livres à la fois ; quantité ſuffiſante pour nourrir cent perſonnes pendant quatre jours. Il est vrai qu’il faudroit pour cela, un aſſez grand vaiſſeau ; mais outre qu’il y a peu de Villages où il ne ſe trouvât quelque chaudière capable de contenir ladite quantité, les avantages qu’on retireroit de cette réunion, mériteroient bien que l’on fit quelques efforts pour ſe procurer de pareils vaiſſeaux.

On devroit ſur-tout, pratiquer cette méthode dans les Villages où il y a beaucoup de Pauvres, qui ne vivans que d’aumônes, n’ont pour la plupart, ni chaudron ni marmite, ni aucun vaſe propre à faire de la ſoupe, & qui ne pourroient par conſéquent, retirer aucune utilité de l’avis que nous leur donnons. Ils mourroient de faim & de miſère à côté même des facilités qu’on leur préſente ici pour leur ſauver la vie.

Les Couvents, les Maiſons de Fondations pieuſes, feroient très-bien d’avoir de notre compoſé tout prêt, en grande quantité, afin de ſe trouver ſans ceſſe en état de ſoulager les Pauvres de leur voiſinage ; car ce n’est pas ſeulement une loi générale de l’humanité, un précepte eſſentiel de la Religion Chrétienne, un devoir naturel de la Charité, de venir aux ſecours des malheureux. Notre intérêt nous y convie pour le bien général de la Société : en faiſant donner aux Pauvres, notre préparation, on épargne les quatre cinquièmes ſur leur nourriture ; ou, ce qui est la même choſe, quatre francs ſur cent ſols.

9°. Mais pour que les Pauvres Paſſagers, les Voyageurs indigents pussent auſſi profiter de cette économique compoſition, nous invitons les Cabaretiers à en tenir, & à la laiſſer à un prix raiſonnable, à ceux qui ne ſont point en état de faire une chere plus délicate & plus recherchée : en cela, ils feront un acte agréable à Dieu, & attireront la Bénédiction du Ciel ſur leur maiſon.

Qui empêcheroit auſſi que quelques Particuliers charitables n’en préparaſſent de même, pour la laiſſer au prix coûtant, s’ils n’étoient pas en état d’en faire un don absolu ? Cette denrée peut ſe conſerver pendant quatre ou cinq jours, & peut-être davantage. Lorſque que l’on déſire la réchauffer, il ne s’agit que d’y ajouter un peu d’Eau chaude ou Lait, & de remuer le tout pendant qu’il eſt ſur le feu.

10°. En qualité d’Auteur de cet Avis, nous ſouhaitons bien ſincèrement que la méthode qu’il renferme, puiſſe prendre faveur dans ce Pays. Nous ſommes d’autant plus fondé à l’eſpérer, qu’elle a déjà réuſſi dans d’autres Pays, où l’on continue de l’y pratiquer avec ſuccès. Quoique le bien-être de tous les Hommes en général, nous intéreſſe infiniment, qu’il nous ſoit permis cependant, de prendre un intérêt encore plus marqué pour la Suiſſe en particulier ! L’amour de la Patrie, doit animer tous bons Citoyens. Dans cette vue, nous invitons nos Compatriotes & ſingulièrement MM.  les Curés, & les perſonnes revêtues de quelque dignités, à faire leurs efforts, pour que l’Avis que nous préſentons au Public, ſoit mis à exécution le plus ſouvent que faire ſe pourra. Nous nous engageons même à remettre deux écus neufs[6] à chacune des quatre premières perſonnes de quelque Pays & Religion qu’elles ſoient, qui nous apporteront un Certificat de la main de leur Curé, qu’il a été fait uſage de notre compoſé, dans ſa Paroiſſe, & qui atteſte qu’au moins vingt perſonnes s’en ſoient ſervies pour unique nourriture pendant l’eſpace de huit jours : obſervant d’ajouter l’effet que cet uſage aura opéré, & combien ces vingt perſonnes auront dépenſé. Ces deux écus ſeront employés, ſi l’on veut, à donner quelques petits ſecours aux plus Pauvres de la Paroiſſe.

11°. Nos Gens de la Campagne, ſont à portée de planter & cultiver les Racines & Légumes qui entrent dans la nourriture propoſée ; il y en a déjà même actuellement une grande quantité dans le Pays. Le Riz est le ſeul Ingrédient pour l’achat duquel il faille débourser de l’argent ; mais nous croyons qu’à tout prendre, il y auroit moyen de s’en paſſer ; rien n’empêcherait peut-être, de lui ſubſtituer de l’Orge ou de l’Avoine brisée : qui ſait même ſi les Pois ou les Fèves moulues, ne rendraient pas à-peu-près le même ſervice que le Riz ? En tout cas, nous ſommes aſſurés que ces Graines produiraient toujours une bonne & ſavoureuse nourriture.

12°. Il a plu à nos très-gracieux seigneurs, pour faire ceſſer les plaintes dictées par la miſère & la diſette, d’accorder à tout Habitant pauvre de la Campagne, & qui n’ayant aucune propriété, n’est pas même sujet aux charges publiques, un arpent ou environ, de terre, ſuivant ſes beſoins, dans les pâturages communs de ſon Village.

Par cet inſigne bienfait, il n’y a plus aucun Habitant qui ne ſoit aſſuré de ſa ſubſiſtance, dès qu’il voudra travailler à mettre en valeur l’héritage qui lui est accordé. Il y plantera des Pommes de terre, des Légumes, des Pommiers, des Poiriers, en un mot, tout ce qu’il croira lui convenir le mieux ; mais dès cet inſtant, il lui est interdit de demander l’aumône autre part que dans ſon Village.

Cependant pour achever de diſſiper tout prétexte de pareſſe ou d’impuiſſace à labourer & cultiver ce terrein, faute de fonds néceſſaires, on pourrait ajouter à cette première grâce, celle de payer à chacun de ces nouveaux Propriétaires, pendant la première année de leur jouiſſance, autant de fois, ſept à huit ſols, qu’il emploiroit de jours entiers à labourer ſon champ. On prendrait cette ſomme sur les fonds de l’Egliſe, deſtinés à l’entretien des Pauvres. La ſeconde année, on ſe contenteroit de lui donner moitié ſeulement de la ſomme de l’année précédente. Et pour les ſuivantes, il ne devroit plus avoir beſoin d’aucune aſſistance. Ce ſerait là un excellent moyen de hâter les améliorations d’une grande quantité de terres preſque inutiles, de prévenir la dépopulation, ou d’empêcher que les Villages ne fuſſent ſurchargés d’un très-grand nombre de miſérables abſolument dépourvus de toute eſpèce de reſſource.

Nous terminerons cette feuille par quelques réflexions qui nous paraiſſent importantes.

Par-tout où s’introduira l’uſage de notre Méthode, les Ouvriers qui la pratiqueront, ſe trouveront en état de vivre à l’aiſe, du produit de leur travail ; ils auront une nourriture bonne & ſaine ; & par l’épargne qui en réſultera, en comparaiſon de ce qu’ils dépenſent aujourd’hui, ils gagneront dix, vingt, trente & quarante fois plus qu’ils ne le font préſentement  : ils ſeront donc en état d’élever mieux leur famille, de ſe donner des vêtemens convenables, & de ſe procurer même quelque délaſſement au moyen de l’épargne qu’ils auront faite ſur leur néceſſaire.

Quantité de pauvres Habitants de nos Villages, forcés de vendre leurs denrées, leur foin, leur bétail, tout ce qu’ils poſſèdent enfin, pour ſubſtanter pendant quelques jours leurs enfants miſérables ne ſeront plus réduits à cette affreuſe néceſſité ; ils ſe trouveront alors en état de mieux cultiver leurs terres, & d’y recueillir des aliments dont ils ſe nourriront à bon marché, eux & leur famille ; ils éviteront une ruine prochaine, dont les triſtes effets réjailliſſent ſur le Pays. Ils ſeront de plus, en état de payer exactement les intérêts des prêts, & de rembourſer les avances qui leur auront été faites ; de ſupporter les charges de l’Etat ; de contribuer à ſa gloire & à ſa proſpérité. Quelle conſolation pour eux ! Quel bonheur pour la Patrie !

Enfin, (ſuppoſant toujours cette manière de ſe nourrir, introduite dans notre Pays,) combien d’argent ne nous reſteroit-il pas pour nos beſoins intérieurs, tandis que nous le voyons paſſer chaque jour, chez l’Étranger ? L’importance de cette conſidération, n’a pas besoin d’être appuyée par des raiſonnements, elle doit ſeule ouvrir les yeux à la Nation, ſur ſes propres intérêts, & engager toute perſonne chargée dans l’État, des affaires politiques & de finances, à redoubler de ſoins, pour y fixer notre Méthode économique.


  1. Il paroit que l’Auteur Suiſſe a voulu parler du Curé de Saint Roch à Paris ; c’eſt ce qui a engagé l’Éditeur de cette Collection, à y joindre la Brochure publiée en 1769. par les ſoins de ſon reſpectable Paſteur, & rédigée par M. Sellin, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, & homme éclairé en matières économiques.

    « Je souhaite, (marque-t-il à l’éditeur, par une Lettre du 17 Avril dernier, en lui envoyant des exemplaires de ſa Brochure), que mon Riz économique faſſe à ſa deſtination, autant de bien qu’il nous en a procuré dans cette Paroiſſe ; il eſt particulièrement ſalutaire aux pauvres Nourrices, par cette vérité, que la population tient à la bonne nourriture ; ce qui me paroit démontré par la Lettre du Curé de Mondreville, que je joins à ce paquet. »

    D’après l’opinion de ce ſavant Médecin, on a penſé que la Lettre du Curé de Mondreville ne ſeroit pas déplacée dans ce Recueil.

  2. (ce qui est à peu près la quantité qui reſte de celle qu’on a employé pour cuire la totalité des matières ci-deſſus).
  3. 1°. Que 98 livres de Zurich, équivalent 100 livres, poids de Paris.
    2°. Que le louis d’or neuf, lequel est le louis de 14 livres en France, vaut en Suisse, dix florins & quelques ſols, car cela varie.
    3°. Que le florin vaut 40 ſols de Zurich, & par conſéquent que le ſol de Zurich est plus fort d’un neuvième que celui de France.
    Pour faciliter le calcul, on eſtimera les 38 ſols & Kreutzers, monnoie de Suiſſe, comme étant en valeur de 40 de France ! ce qui en effet diffère peu de la réalité, & qui en tout cas, ſcerviroit à payer le prix du feu néceſſaire pour cuire les matières, & que l’Auteur Allemand n’a pas évalué.
  4. Comme cette opération eſt un peu longue, on peut l’abréger en faisant uſage de l’une des Machines que le Traducteur a fait graver, & qui ſe trouvent jointes au Mémoire suivant.
  5. La Farine de Poires ſeches, peut non ſeulement ſuppléer celle de Pommes de terre ; mais les Pommes qui croiſſent ſur les arbres, ont auſſi été employées, étant fraiches, à faire de très bon Pain. L’invention de ce nouveau Pain économique, eſt due à M. le Chevalier Duduit de Mézieres, M. de Querlon, ce juſte & ſolide appréciateur des découvertes préſentées comme utiles à la Société, a trouvé celle-ci trop intéreſſante pour négliger d’en faire part au Public. On ne ſera pas fâché de retrouver ici ce qu’il en a dit cette année (1772,) dans ſes Feuilles hebdomadaires des Affiches, Annonces & Avis divers, On y lit ces mots, pag. 51.

    « Un Particulier de Provins, a fait cuire dans l’eau, un tiers de Pommes-fruits, (non de Pommes racines ou de terre.) qu’il a fait écraſer toutes chaudes dans deux tiers de Farine, y compris le levain. Le tout a été pétri ſans eau, le ſuc des Pommes ayant ſuffi. Quand ce mêlange a été en conſiſtance de pâte, on l’a mis dans une ſébille, ou jatte de bois, où il a levé pendant la nuit, c’est-à-dire, dans un eſpace de douze heures. On l’a mis au four ; il en eſt ſorti un Pain qui n’avoit aucun goût de fruit ; avantage que n’a pas le Pain où il entre des Pommes de terre Ce Pain étoit frais, léger, plein d’yeux, de facile digeſtion. On a obſervé qu’après la cuiſſon, le tiers de Pommes avoit produit ſon tiers de poids dans la totalité du Pain. Cette méthode eſt donc une reſſource utile, peu diſpendieuse & ſaine, pour les temps de diſette ou de cherté des Grains, quelle qu’en ſoit la cauſe, l’inclémence du Ciel, ou l’avarice des Hommes. »

    M. de Querlon, nous atteſte, d’aprés ſa propre expérience, dans ſa vingt-unieme Feuille, que le Pain économique, annoncé dans la treizième Feuille, eſt tout-à-la fois appétiſſant, nourriſſant, rafraîchiſſant, d’un goût agréable ; qu’il a paru tel à pluſieurs perſonnes auxquelles il en a fait goûter ; & qu’un enfant de trois ans & demi, qui en a mangé, en a redemandé pluſieurs fois, le croyant une eſpèce de gâteau, l’a digéré tout auſſi facilement que le Pain auquel il est accoutumé.

  6. Ce qui fait douze francs, monnoie de France.