La cuisine des pauvres/Avant-propos

Claude-Marc-Antoine Varenne de Beost
La cuisine des pauvres,

ou Collection des meilleurs mémoires qui ont paru depuis peu, soit pour remédier aux accidens imprévus de la disette des grains, soit pour indiquer des moyens aux personnes peu aisées de vivre à bon marché dans tous les tems.

Avant-propos de l’Editeur.


AVANT-PROPOS
DE L’ÉDITEUR.


LE hazard ayant fait tomber entre mes mains deux petites Brochures imprimées à Zurich, ſur l’emploi économique des Pommes de terre, j’ai penſé que la traduction de ces Ouvrages, pourroit devenir utile à ma Patrie. J’y ai travaillé avec d’autant plus d’empreſſement, que connoiſſant les Suiſſes pour une Nation induſtrieuse, dont le Gouvernement eſt trop ſage pour adopter de vaines ſpéculations, on m’avoit d’ailleurs aſſuré que celle dont il s’agit, avoit été juſtifiée par l’expérience, & l’étoit encore journellement. On est étonné de voir juſques où les Habitans du Jura & des Alpes, ont porté l’attention ſur l’épargne du Bled. La néceſſité est la mere de l’invention & des reſſources.

La diſette des Grains, qui se fit ſentir dans la Suiſſe, en 1770, donna lieu au Canton de Zurich, l’un des plus peuplés de la République, de s’occuper du ſoin de ménager la conſommation des Farines, & de tirer le plus grand avantage poſſible de celle dont l’emploi eſt inévitable. Les tours de mains des Meûniers & des Boulangers, ont été examinés de ſi près, qu’on a peine à concevoir la différence de ce qu’ils font aujoard’hui obligés de rendre de Farine & de Pain, par comparaiſon avec ce qu’ils en rendoient auparavant. On prétend que cette différence va à plus d’un quart ſur le tout.

La Régence de Zurich eſt deſcendue dans les moindres détails ſur ce que conſomment les Ouvriers, qui par état, emploient de la Colle de Farine, tels que les Cartonniers, les Relieurs de Livres, les Épiciers, à cause de leurs ſacs de papiers, les Vitriers, &c. Il leur eſt ſévérement défendu de ſe ſervir d’autre Farine que de celle qui ſe fait avec des Pommes de terre.

Cet objet, tout médiocre qu’il paroiſſe d’abord, est eſſentiel dans un Pays qui, comme la Suiſſe, ne produit pas assez de Bled pour nourrir ſes Habitans plus des deux tiers de l’année. Ce ne ſeroit pas même une économie à négliger en France, ſur-tout dans les grandes Villes & dans certaines Manufactures[1], où la quantité de Froment que l’on emploie à de la Colle de Farine, eſt fort conſidérable.

Peut-être feroit-on auſſi de très-bon Amidon, de l’Empois & de la Poudre à cheveux, avec des Pommes de terre.

Les Suiſſes ne ſont pas cependant les premiers ni les ſeuls qui aient imaginé d’employer des Pommes de terre à faire du Pain ou d’autres compoſitions économiques. Les Sociétés d’Agriculture, établies en diverſes Provinces du Royaume, s’en occupent depuis pluſieurs années, avec ſuccès.

Dès 1767, M. Muſtel publia à Rouen, un Mémoire intéreſſant, ſur les Pommes de terre & le Pain économique. Un autre Ouvrage, non moins utile, parut dans la même Ville, en 1770, ſous le titre de Lettre d’un Citoyen à ſes Compatriotes, au ſujet de la culture des Pommes de terre.

Ces productions d’un zèle patriotique & éclairé, ne ſauroient être aſſez répandues. On ne peut que les voir avec plaisir, figurer dans un Recueil deſtiné au ſoulagement des Pauvres, cette portion trop nombreuſe de l’humanité : c’eſt, d’ailleurs, ſeconder les vues du Gouvernement, qui a montré d’une façon non équivoque, le déſir d’encourager en France, la culture des Pommes de terre, par l’avis qu’a demandé M. le Contrôleur Général, aux Médecins de la Faculté de Paris, sur les propriétés de ces Racines. Leur Conſultation fut imprimée l’année derniere, à l’Imprimerie Royale, & diſtribuée dans les Provinces, par l’ordre du Miniſtre : j’ai cru devoir aussi l’inſérer dans ce Recueil, dont elle ne fait pas l’une des moins utiles partie.

Mais comme on ne ſauroit trop faciliter les moyens de mettre en pratique les conſeils, même les plus avantageux, afin d’ôter à la pareſſe, les excuſes que le plus léger embarras ne manque jamais de lui fournir, j’ai pris le parti de faire graver les deux Machines dont l’Ouvrage que j’ai traduit, ne contient que la deſcription. L’Ouvrier le moins intelligent de la Campagne, ſera en état de les exécuter ; elles ne ſont compliquées ni l’une ni l’autre : la première, sur-tout, est ſi ſimple & ſi peu coûteuse, que la ſeule curioſité inviteroit à en faire l’eſſai, indépendamment de tout autre motif.

Si j’avois été à portée de faire perſonnellement des expériences, je m’y ſerois livré avec ardeur, & j’en offrirois les réſultats à mes Compatriotes ; mais ne pouvant faire plus, je tâche dumoins, en qualité de Traducteur & d’Éditeur, de marquer mon amour & mon attachement pour mon Pays. Je m’eſtimerai très-heureux, ſi les preuves de mon zèle, peuvent mériter l’approbation des États Généraux de la Province, & s’ils jugent mes foibles efforts dignes de concourir au ſuccès de leurs vues pleines de sageſſe, pour l’adouciſſement de la miſère des Peuples, dont ils ont à concilier les beſoins & les intérêts, avec les intérêts & les beſoins de l’État, qui en ſont inſéparables.


  1. « La Farine de Pommes de terre eſt préférable à celle de Froment, pour faire la Colle des Tiſſerans, parce qu’elle a cet avantage, eſſentiel de ne point entrer aussi aiſément que la Colle faite avec la Farine de Froment, dans une fermentation dont les progrès font pourrir les Toiles même ſur le Métier. »
    Voyez page 140, des Mémoires Hiſt. & Économ. ſur le Beaujolois, par Mr . Briſſon, Lyon 1770.