La colonie Canadienne-Française de Chicago/Saint-Joseph de Brighton Park

Strombert, Allen & Cie (p. 32-41).

SAINT-JOSEPH DE BRIGHTON PARK.





Nos compatriotes de ce quartier de Chicago se sont organisés en paroisse, le premier dimanche de Novembre 1889. Parmi ces braves familles canadiennes, qui font tant honneur à notre nationalité, il a toujours régné une unité d’action vraiment exemplaire. Mettant de côté tout élément de division, n’ayant tous qu’un même esprit et qu’un même cœur, elles s’unissaient dans une seule et même chose : former une congrégation digne de leurs aspirations nationales et catholiques.

Les canadiens-français de Brighton Park sont franchement chrétiens et nationaux, et tiennent à le prouver par leurs actions. Ils sont pratiques. Ils savent ce qu’il leur faut et prennent les mesures de l’avoir. Ils ne sont dans cette localité que depuis quelques années. Ils ont acheté des lots et se sont bâti des maisons. Ne voulant pas compter pour les derniers dans le domaine civil et politique, ils se sont faits naturaliser et ont forcé les autres races à les respecter. C’est grâce à leur influence, en grande partie, que Brighton Park a été annexé à Chicago, il y a déjà une couple d’années.

Le Rév. Père J. Lesage, curé alors de Saint-George, dans le comté de Kankakee, et bien connu par son zèle dans le ministère et son habilité dans les affaires, fut désigné par


ÉGLISE SAINT-JOSEPH DE BRIGHTON PARK.

l’Archevêque à la tête du mouvement de nos nationaux de

Brighton Park.

Après son arrivée à Brighton Park, le Rév. Père Lesage se choisit trois bons marguilliers : MM. Adolphe Fournier, Charles Fournier et Maurice Lamarche.

On se mit immédiatement à l’œuvre. Des lots pour la nouvelle église furent achetés au coin des rues California et Joseph. Ces lots ont 100 x 140 pieds.

Le 4 décembre 1889, une construction de 75 x 30 pieds commença à s’élever. C’est une bâtisse de deux étages. Le jour de Noël, de la même année, eut lieu la messe dans la chapelle provisoire. La partie supérieure de cet édifice a servi de résidence pastorale et d’école, et le premier étage formait l’église. Cela a duré un an et six mois.

Le Rév. Père Lesage a été réellement le fondateur de cette paroisse. En septembre 1891, il a réussi à faire venir cinq religieuses de la Congrégation de Saint-Joseph, de Concordia, Kansas. Elles prirent la direction de l’école, fréquentée aujourd’hui par 200 élèves tant petits garçons que petites filles.

Un élégant presbytère a été construit. Il a coûté $4,000. Ce montant est tout payé. En avril 1891, furent jetées les fondations d’une église de 125 x 50 pieds et pouvant asseoir 800 personnes. Elle a coûté $32,000, dont $22,000 ont déjà été payés. La dédicace de cette église eut lieu en mai 1892.

Cette paroisse comprend actuellement 250 familles. Comme on le voit, sous l’habile direction de leur dévoué pasteur, elles n’ont pas reculé devant les sacrifices, et maintenant elles sont heureuses d’avoir une belle église en brique, un couvent, une école et un presbytère, le tout presque payé.

Sous tous les rapports, nos compatriotes de Brighton Park sont dignes d’éloges.

Dans cette florissante congrégation, on compte plusieurs sociétés à caractère religieux : L’Union Saint-Joseph, pour les hommes seulement, contenant 100 membres ; les Amis du Sacré-Cœur, pour les jeunes gens, ayant cinquante membres ; les Dames de Sainte-Anne, au nombre de 120 membres ; les Enfants de Marie, pour les jeunes filles, figurant au nombre de 100 membres ; le Club Jacques-Cartier est une puissante organisation forte aujourd’hui de 500 membres.

S’il existe au milieu de nos compatriotes de Brighton Park tant d’esprit d’union et de progrès, c’est dû à leur Club Jacques-Cartier qui marche sous la direction éclairée du pasteur de la paroisse.

Le chœur de chant est composé de vingt-cinq chantres, sous la direction de M. Elzéar Bourget, organiste de la paroisse.

Dans Brighton Park, nos compatriotes ont organisé une cour des Forestiers Catholiques, la Cour Laval. De plus, ils ont formé une branche des Tonti.




RÉV. PÈRE J. LESAGE.


La paroisse de Bourbonnais, du comté de Kankakee, Illinois, peut être considérée comme la province de Québec, bien qu’en petit.

Grâce à son beau collège, il est sorti de son sein des hommes qui se distinguent dans la milice sacrée, dans les professions libérales et diverses autres branches de l’activité humaine. Le Rév. Père J. Lesage, le digne curé actuel de Brighton Park, vit le jour à Bourbonnais, le 6 décembre 1853. Il appartient à une brave famille canadienne-française de Saint-Léon, près de Trois-Rivières. En 1848, elle a pris la route de l’Ouest et vint s’établir à Bourbonnais.

Le chef de cette famille, M. Joseph Lesage, secondé par une épouse intelligente, Delle Julie Fortier, a réussi dans sa patrie d’adoption à bien élever sa famille et à s’acquérir les revenus nécessaires pour vivre comme rentier durant ses vieux jours.

Le Rév. Père Lesage entra, en 1868, au collège Saint-Viateur, établi dans la paroisse. En 1874, il embrassa l’état éclésiastique et étudia la théologie dans la même institution où aussi il se distingua comme professeur. Il reçut les ordres sacrés en août 1877.

Après avoir été attaché à l’enseignement du collège jusqu’en 1879, il vint prendre la cure de Saint-George, la même année, succédant au Rév. Père Beaudry. M. le curé Lesage a fait marcher la paroisse de Saint-George dans le progrès durant tout le temps qu’il en eut la charge. Si cette paroisse possède aujourd’hui une belle école tenue par des religieuses de Saint-Joseph, de Concordia, Kansas, c’est dû au zèle infatigable et à l’énergie remarquable du Rév. Père J. Lesage, le brave curé des canadiens de Brighton Park.

Bien que nés et élevés aux États-Unis, les prêtres d’origine canadienne-française qui viennent de Bourbonnais se montrent toujours au premier rang pour sauvegarder notre foi et notre langue et faire revivre au milieu de nous nos institutions nationales.


rév. père joseph lesage.


En 1889, M. le curé Lesage fut appelé à Brighton Park pour y établir la paroisse de Saint-Joseph, une des plus florissantes aujourd’hui dans la grande ville de Chicago.

Dans l’espace d’une couple d’années, il réussit à mettre cette paroisse sur un pied d’organisation qui attire l’admiration de tous.

Le Rév. Père Lesage est digne de paraître au premier rang parmi les prêtres de l’archidiocèse qui se dévouent corps et âme pour le bien de leurs paroissiens et au point de vue spirituel et sous le rapport des intérêts matériels. Des prêtres aussi fortement trempés sont une bénédiction dans une paroisse.

Séparateur


L’ABBÉ TREFFLÉ OUIMET.


L’Abbé Trefflé F. Ouimet est né à Saint-Jérôme, comté de Terrebonne, Canada, le 4 août 1847.

Il est le deuxième d’une famille de quatre enfants.

Son père appartenait à cette génération de Canadiens forts de caractère et de corps. Haut de six pieds et de deux pouces, il avait une force herculéenne qui le faisait rechercher durant les jours des élections. Sir Lafontaine l’appelait son grand « Français. » Lorsque les Glengarrys tenait à l’état de siège le poll de votation à Glasgow, le grand « Français » était à ses côtés vêtu à la façon du temps : froc bleu, pantalons gris, gravate de toile, le tout en étoffe du pays. Lafontaine, néanmoins, renvoie sa vaillante escorte en lui disant : « je ne veux pas que vous perdiez la vie à cause de moi, je contesterai l’élection et je serai votre député. »

Ce grand ami de Lafontaine était établi à Saint-Jérôme, lorsque le curé Georges Thibault le sollicita d’aller passer le reste de ses jours avec lui, à Longueuil, où, alors il y avait un collège et un couvent. Cette institution avait déjà vu naître l’enseignement des classiques.

À peine âgé de 16 ans, le jeune Ouimet quittait ses parents en 1863, disait adieu au monde et entrait au noviciat des Frères des Écoles Chrétiennes. Le célèbre Institut de La Salle a eu le bénéfice des talents de ce jeune religieux pendant 10 ans. Il s’y fit remarquer par son zèle à l’enseignement du cathéchisme aux enfants. Sous la direction du Frère Liguori, en grande renommée pour ses talents oratoires le jeune Ouimet a pu donner tout le développement voulu au don de l’éloquence dont il est favorisé !

En 1874, son frère Samuel fut ordonné prêtre. Alors Trefflé, se sentant appelé au sacerdoce, abandonna avec regret l’enseignement aux enfants du peuple et commença au collège de Sainte-Thérèse l’étude du latin.

En ce temps-là, l’Abbé Marcel Richard fondait un collège classique à Saint-Louis, N. B., pour relever le niveau intellectuel de ses compatriotes Acadiens.

L’histoire de ce peuple martyr, les infortunes de cette race dépouillée et si mélancholiquement chantée par Longfellow, avaient trouvé un écho dans le cœur ardent et vraiment chrétien du nouvel aspirant à l’état ecclésiastique.


l’abbé trefflé ouimet.

En 1876, il se dirigea dans le pays d’Evangeline, où il enseigna et fut de plus en plus initié aux études théologiques.

Les luttes religieuses et politiques lui fournirent une occasion de déployer les talents dont le public avait eu déjà des preuves non équivoques. Il écrivit dans le Moniteur Acadien des articles qui eurent du retentissement dans les contrés maritimes.

Se rappelant le dicton qu’on n’est pas bon prophète en son pays, il se hazarde à parler aux masses dans les salles et du haut des tribunes en temps de luttes électorales. Il réussit si bien dans ce genre d’éloquence que les chambres des Communes, à Ottawa, virent apparaître M. Girouard, comme député Acadien du comté de Kent.

Des circonstances incontrôlables obligèrent le jeune ecclésiastique de quitter sa chère Acadie et sa deuxième Alma Mater.

Il venait, en effet, de dire adieu au monde une seconde fois, en endossant l’habit clérical, et cela à la grande surprise de ses amis politiques.

Mais semblable à Lacordaire, il voulait mettre au service d’une noble cause les feux ardents de son âme.

Monsignor Labelle, alors curé de Saint-Jérôme, s’était épris des talents oratoires du jeune lévite, dont les succès en Acadie devenaient connus dans la province de Québec. La colonisation marchait à pas de géant. L’Abbé Samuel Ouimet, frère de celui dont nous faisons actuellement la biographie, venait d’être nommé curé à la Rouge, comprenant un territoire aujourd’hui divisé en cinq paroisses florissantes.

Quant à notre jeune ecclésiastique, il se vit en face de puissants contradicteurs qui s’étaient mis dans la tête que l’ex-frère des Écoles Chrétiennes n’arriverait pas au sacerdoce.

Ennuyé, découragé par une lutte vraiment inégale, il vint annoncer à son curé et meilleur conseiller qu’il renonce à ses aspirations. Mais le vaillant apôtre de la colonisation reçut cette nouvelle avec cette remarque digne d’attention : « Tes puissants adversaires sont décidés à te fermer les portes du sanctuaire, mais si tu as un peu d’énergie rien ne peut t’empêcher d’y entrer, dès lors que tu as la vocation : la terre est grande, et il est triste de s’exiler, mais pour obéir à la volonté de Dieu soumets-toi à cette nécessité. »

En mars 1878, il arrivait à Bourbonnais, Illinois, sans tambour ni trompette, poursuivant avec son ami Gosselin l’étude de la théologie.

Ce fut en juillet, 1883, que M. Trefflé Ouimet reçut le sacrement de l’Ordre. Ce même jour, il fut appelé à desservir comme assistant la paroisse Canadienne de Chicago.

Comme la réputation d’orateur devançait son arrivée en cette ville, nos compatriotes avaient hâte d’entendre le premier de ses sermons. Il ne s’est pas passé un temps bien long, avant que l’église de la rue Halsted devint insuffisante pour contenir la foule accourant pour entendre la parole chaude et patriotique du jeune abbé.

Pendant les cinq années qu’il a travaillé au milieu de nos nationaux du West Side, il a parlé sur tous les sujets de la doctrine chrétienne. Des mois de Marie et des carêmes entiers furent prêchés par ce jeune prédicateur.

L’onction, l’élan et la conviction sont les caractères de son éloquence, comme le démontrent sa figure transformée, ses yeux brillants quoique naturellement pâles et une gesticulation élégante et animée.

Ses sermons ressemblant beaucoup à un plaidoyer chrétien. On s’aperçoit dès l’exorde qu’il ne veut pas laisser aller son auditoire sans qu’il soit convaincu par les nombreuses preuves tirées des Écritures, des pères, de la tradition et de l’histoire, que tout chrétien doit mettre en pratique les enseignements qu’il fait descendre de la chaire de vérité.

En 1887, il est nommé vicaire à Saint-Mary, dirigée alors par un des prêtres les plus remarquables de l’archidiocèse : l’Abbé Rôles, né à Halifax, N. S., et converti au catholicisme.

Le nouveau vicaire dans la personne de notre ami, l’Abbé Ouimet, avait vécu trois ans dans cette ville maritime en y exerçant les fonctions de principal dans l’école Saint-Patrice.

Ses succès sur son nouveau théâtre et dans une langue étrangère furent relativement brillants. On aimait à entendre le French Father, et voir débiter ses sermons avec cette chaude conviction et ce sans-gène français. La partie déclamatoire fascinait les jeunes étudiants Américains. Un vieil avocat me disait : « That he likes to hear a clergyman speaking a Christian lawsuit from a catholic pulpit. »

Les Canadiens de Pullman désiraient s’ériger en paroisse nationale. Ils demandèrent donc un prêtre à l’Ordinaire.

Le 1er mai 1889, l’abbé Trefflé Ouimet arriva dans la ville aux chars palais.

Il se met au travail, le jour et la nuit, lutte, visite les familles, organise la nouvelle congrégation, et 18 mois après son arrivée, l’église sort de terre. Plus tard, elle est dédié sous le vocable de Saint-Louis.

Le jeune curé n’avait pas mesuré ses forces physiques avec la grandeur de l’entreprise. Il est soudainement frappé d’une hémiplégie, dont la nouvelle fut un coup de foudre pour la population Canadienne-Française des Illinois. On fait venir les meilleurs médecins qui disent au patient de se préparer à toute éventualité. Il reçoit les derniers rites de l’église.

Un de ses amis lui demande de faire une espèce de testament. Le malade répondit : « Tout mon bien ne dépasse pas la valeur de zéro. »

On le transporta à l’hôpital de la Mercy. Le célèbre docteur Davis dit qu’il n’y a chez lui aucune maladie organique et que la paralysie seule est à guérir. Quatre mois après, l’Abbé Ouimet prenait la route du Canada, avec la prescription de garder un repos complet pendant au moins deux ans. Ce qu’il observa scrupuleusement sans pouvoir s’empêcher de prêcher dans les villes et les campagnes de la patrie.

Les sociétés d’agriculture, les jours des fêtes nationales, eurent également le plaisir d’entendre sa parole.

Enfin, suffisamment rétabli, monsieur l’Abbé Ouimet est encore au milieu de nous, avec ses amis de Chicago, travaillant ad majorent Dei gloriam.


Séparateur