La chute de l’empire de Rabah/Note I

Hachette (p. 273-275).

NOTE I

dépêche reçue à loanga


« Colonies à Gouverneur. Libreville,

« Mission Gentil relève désormais de vous. Toutes les dépenses seront imputables sur crédit Oubangui. Ordonnez Gentil se rendre Brazzaville, puis Bangui avec son personnel militaire rechercher meilleure voie de pénétration entre coude Bangui et affluent Logone, pour établir un poste en un point d’accès pour montage ultérieur vapeur. D’autre part, homme confiance chef mécanicien ou Huntzbüchler, au choix de Gentil, surveillera transport Léon-Blot avec gratification quatre mille francs. Sera monté Brazzaville ; personnel technique, mécanicien, chauffeurs, charpentiers, accompagnera Léon-Blot avec porteurs nécessaires. Réglez détails exécution. »

La lecture de cette dépêche me consterna.

J’avais pour toute escorte quarante-deux hommes et une quarantaine de Soussous recrutés à Konakry, destinés à faire des porteurs armés. Comme agent européen expérimenté je n’en n’avais qu’un, M. Huntzbüchler, les deux autres, M. Vival et un ancien quartier-maître de la marine nommé Le Bihan, avaient tout à apprendre et malgré leur bonne volonté étaient réellement d’un faible secours pour moi. Il fallait donc que j’abandonne M. Huntzbüchler et que je me démunisse encore de trois ou quatre Sénégalais, chauffeurs ou charpentiers, alors que j’avais si peu de monde. Enfin, et c’était là le point capital, le vapeur devait être monté à Brazzaville…

Je me demandais sur le moment ce qu’il me restait à faire… Je savais, puisque j’avais commandé la région de Ouadda au coude de l’Oubangui, qu’il était impossible de trouver des porteurs dans cette région. D’ailleurs, pour s’en convaincre, on n’aura qu’à se rappeler que Maistre avait dû, faute de porteurs, laisser à Ouadda la plus grande partie de son matériel ce qui l’empêcha d’atteindre le Chari et le Tchad, ainsi qu’il se l’était proposé.

Ce voyageur, qui avait été expédié en 1891 par le Comité de l’Afrique française, pour renforcer la mission Dybowsky, destinée elle-même à appuyer Crampel, avait pris lors du retour de M. Dybowsky en France, le commandement des deux groupes. Parti de Ouadda, il avait avec un nombre de charges très restreint, quitté ce point et s’était avancé vers le Nord. Il atteignit un des affluents du Chari, le Gribingui, et n’ayant plus de ressources suffisantes, avait dû se rabattre sur l’Ouest et regagner la côte en traversant les territoires païens des Saras, des Lakas, des Gaberis, de l’Adamaoua, pour aboutir à Yola et de là sur le Niger.

Ce remarquable voyage avait donc appris qu’à 350 ou 400 kilomètres du coude de l’Oubangui, existait un affluent du Chari qu’on croyait navigable pour en avoir reconnu 100 kilomètres.

Mais comme la mission Maistre n’avait laissé derrière elle ni un homme ni un poste, au point de vue occupation on n’était pas beaucoup plus avancé, et comme d’autre part on m’indiquait un affluent du Logone et non un affluent du Chari comme but à atteindre, c’était un itinéraire nouveau qu’on m’imposait, avec la certitude pour moi que si j’atteignais un des affluents du Logone, mon temps se passerait à fonder un poste et à y rester. Quant au montage ultérieur d’un autre vapeur, puisque Le Blot devait être monté à Brazzaville, il était bien évident que je ne devais pas y compter. Il me fallait au bas mot un an pour arriver à un cours d’eau se jetant dans le Logone, huit mois au moins pour attendre la réponse de France à la lettre par laquelle j’annoncerais que j’avais atteint le but fixé, et deux ans au minimum pour y faire parvenir le nouveau vapeur, en admettant que pour cette tâche ont eut désigné un personnel de choix. Aussi bien il est une tradition au Congo, et ceux qui y ont vécu ne me démentiront pas, c’est que toute charge ou tout individu laissé en arrière, malgré les instructions les plus nettes, les plus précises, ne parviendra jamais à destination. Quelque promesse qu’on vous fasse, celui qui vous la fait fut-il votre plus intime ami, votre frère même, ne le croyez pas, il ne vous enverra rien. Négligence ? mauvaise volonté ? je ne sais ; je constate un fait sans pouvoir l’expliquer. Ce qu’il y a de sûr c’est que l’opinion que j’émets s’est vérifiée pour tous ceux qui ont ou la mauvaise idée de laisser derrière eux des marchandises en dépôt.

C’était donc une perspective peu agréable qui s’ouvrait à moi, et je ne voyais pas de moyen de me tirer de cette mauvaise passe, quand l’idée me vint, qu’il y avait peut-être erreur dans l’interprétation de cette dépêche. Aussi me hâtai-je de faire part de mes doutes à monsieur Dolisie en sollicitant de lui un complément d’instructions.