Éditions de l'Action canadienne-française (p. 70-76).


X

UNE DÉCOUVERTE



LE LENDEMAIN, tel que convenu, le chasseur se rendit dans le bois et put admirer de nouveau les deux jolis canots d’écorce.

S’asseyant ensuite auprès de l’Indien, il commença à lui relater des menus faits de son voyage : la vente de ses fourrures, la rencontre avec de nombreux compatriotes…

— Ça m’a donné le désir de les revoir plus souvent, continua-t-il, et, à ce propos, tu sais, je t’avais déjà parlé d’un établissement projeté dans cette région… bien, la chose est décidée[1] ; les Onontagués ont demandé à monsieur de Lauzon…

— Ononthio ? intercala le manchot.

— Oui, notre gouverneur, on lui a demandé d’envoyer ici une mission française.

— Ça me surprend, fit Amiscou, je passe parfois dans leurs villages, ils ont l’air de haïr les Visages-Pâles !

— Les as-tu vus dernièrement ?

— Il y a environ deux lunes[2], je suis allé à leur bourg le plus rapproché.

— Assez loin d’ici, cependant, dit le Français.

— Environ quatre lieues, en comptant comme ceux de ta nation… mais où veut-on placer le nouvel établissement ?

— Dans ces environs, je crois ; un octroi de terre a été donné aux jésuites…

— Qui ça les jésuites ?

— Des Robes-Noires… et, pendant que j’y pense, je veux te dire que j’ai appris le nom de ton guérisseur !

— Hé ?… dis vite, mon ami.

— C’est le père Charles Garnier !

— Charles Garnier, répéta le manchot, père Charles Garnier… puis, portant la main à son front :

— Amiscou n’oubliera jamais ce nom !

— Et maintenant, continua le chasseur, en désignant les deux canots, tu comprends combien utile sera pour nous ton travail ! Nous irons souvent à l’établissement, nous pourrons leur aider !

— Viendra-t-il des Robes-Noires avec tes compatriotes ?

— Je le crois ; en tous cas, s’ils ne viennent pas absolument en même temps, ils arriveront peu de temps après les autres ; l’expédition sera sous les ordres du capitaine Dupuis[3] ; je pense qu’il viendra avec une nombreuse escorte.

— Par où arriveront-ils ?

— Par le pays des Onontagués, probablement ; ils passeront sans doute par le bourg voisin…

Le manchot branla la tête :

— Amiscou n’a pas confiance… ils sont sournois et traîtres ces gens !

— Mais s’ils ont eux-mêmes demandé l’établissement, insista le chasseur.

— Hé ! Ne t’y fie pas, mon ami, et cache bien Jeannot s’ils viennent de ton côté !

— Ils ne sont jamais passés ici depuis que j’y demeure, je ne suis sur la route d’aucun bourg, fit le Français ; ils ne me connaissent pas.

— Tant mieux ! dit l’Indien d’une voix sourde et dure. Ah les démons ! Vils, jaloux, traîtres, dangereux et funestes ! Combien je les hais, ces ennemis de ma nation !

Puis, changeant de ton :

— Mais j’aime bien les Visages-Pâles, et je suis content qu’ils viennent dans ces parages… Grand-Castor sera toujours leur ami !

— C’est ça, mon brave, dit le chasseur ; et, maintenant, que dirais-tu de faire au plus vite l’essai d’un des canots ? Pourrait-on le descendre par ici jusqu’au lac, ou s’il va nous falloir gagner la clairière d’abord ?

— Je pense qu’il y a moyen de faire une descente ici-même ; vois, le terrain est en pente… je vais aller explorer les lieux dès aujourd’hui et, au jour tombant, j’irai te dire ce que nous pourrons faire.

— Compris, dit le chasseur, je t’attendrai ce soir à la maisonnette.

Après le départ du Français, Amiscou, armé de sa hache nouvelle, fit une descente d’exploration dans la direction du lac ; jusqu’alors, il s’y était toujours rendu par un sentier battu partant de la clairière, mais, cette fois, il partit de l’emplacement de sa caverne et s’efforça de suivre la déclinaison du sol, qui, en pente douce d’abord, continuait ensuite en une côte très raide, pour aboutir à un étroit plateau, puis à une autre descente se terminant sur le rivage du lac. La marche à travers la brousse épaisse était très difficile, les arbres poussaient drus et forts sur cette pente de forêt, et l’Indien put constater, que tout en étant possible, ce serait chose assez difficile que de s’y frayer un chemin avec un canot sur la tête… (les Indiens transportaient toujours ainsi leurs légères embarcations).

Le même soir, Grand-Castor se rendit à la maisonnette et en conféra avec le chasseur.

— Viens donc voir ça toi-même, lui dit-il, tu auras peut-être une idée à suggérer.

— J’irai, dit Brisot, et nous verrons ensemble ce qu’il y a de mieux à faire, soit couper un sentier dans la côte, ou porter les canots jusqu’ici.

Dès le matin du jour suivant, le Français arrivait à la grotte du manchot, en compagnie du petit Jeannot.

Pendant que ses aînés étaient à explorer les environs, l’enfant s’amusait autour de la caverne. Il avait apporté son arc, cadeau de Grand-Castor, et il s’amusait à faire filer de côté et d’autre des petites flèches de bois blanc dont il avait un carquois bien rempli. L’une des flèches, lancée avec toute la force de ses jeunes bras, alla se loger à l’intérieur de la caverne dont l’entrée était ouverte.

Jeannot courut la chercher, mais il ne faisait pas très clair dans cette grotte, et il ne la retrouva pas tout de suite ; soudain, il l’aperçut, enfoncée, semblait-il, dans le bas de la muraille, ne laissant voir qu’un fragment de bois blanc. Il se pencha et voulut retirer la flèche, mais elle s’enfonça davantage et disparut. L’enfant ne s’en inquiéta pas, il ressortit et s’amusa encore pendant quelques moments, puis, apercevant son père et Amiscou qui remontaient, il s’élança à leur rencontre : — Grand-Castor, j’ai perdu ma plus belle flèche, dit le petit.

— Hé ! je t’en ferai une autre ; mais où l’as-tu lancée ?

— Dans ta maison ; elle a frappé le bas du mur et elle a disparu.

— Impossible, la muraille est de pierre solide, le sol en roche et en terre durcie, elle a dû rebondir.

— Viens voir, insista Jeannot ; je sais où elle est entrée ; j’ai voulu la retirer, et paf !… elle a disparu ! Viens voir ! Viens, toi aussi, papa !

— Tantôt, mon fiston, dit le chasseur en s’épongeant le front, un peu fatigué de sa montée dans la brousse, va montrer ça à Amiscou.

Le manchot et l’enfant pénétrèrent dans la caverne et Jeannot, se penchant, fit voir à l’Indien l’endroit où la flèche s’était enfoncée dans la muraille, près du sol. Amiscou, à genoux sur le plancher durci de la grotte, regarda attentivement, vit la trace du passage de la flèche et passa pesamment sa main sur le sol et sur le bas de la paroi pierreuse ; à un certain endroit, la paroi céda sous la pression… le manchot prit sa hache et frappa doucement la muraille au point vulnérable… une ouverture se fit, révélant un vide étroit entre le sol et le mur de pierre.

— Va chercher ton papa, Jeannot, dit-il, tandis que j’essaie d’agrandir un peu ce trou.

Lorsque celui-ci arriva, avec l’enfant, Amiscou lui fit voir ce qu’il venait de découvrir… c’était l’entrée d’une autre caverne qui semblait longue et étroite, mais dont la véritable profondeur ne pouvait se discerner à cause de l’obscurité qui y régnait. Amiscou était étonné ; il avait si bien cru sa grotte sans autre ouverture que celle de l’entrée !

— Voilà donc comment mon castor a pu se sauver, dit-il, il a dû se traîner entre la muraille et le sol à cet endroit, et je n’avais rien remarqué d’anormal !

— Vas-tu explorer cette trouvaille ? demanda le chasseur.

— Bien sûr ! mais j’espère qu’il n’y fera pas partout aussi noir.

— J’ai des chandelles à la maisonnette, fit Brisot, je vais aller en chercher.

— Hé. Pendant ce temps je vais agrandir l’ouverture, si c’est possible et nous pourrons y entrer sans difficulté.

L’Indien se mit à l’œuvre, frappant avec précaution sur le mur, tandis que Jeannot et son père retournaient vers la maisonnette.


  1. Garneau. Histoire du Canada
  2. mois
  3. Garneau. Histoire du Canada