Éditions Albert Lévesque (p. 152-158).
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XVI




ISABELLE Comtois et son père étaient de retour de leur long voyage. Après une merveilleuse croisière sur la Méditerranée, ils avaient séjourné assez longtemps en France.

La jeune fille fut très entourée pendant son voyage et surtout pendant qu’ils demeuraient à Paris. Son père avait exigé qu’elle cessât d’écrire à Marcel, et il espérait que ces changements de scène et ces attentions nouvelles allaient lui faire reprendre intérêt à la vie et reléguer un peu dans l’ombre le souvenir du séduisant et fier jeune journaliste de Montréal… Mais bien que profitant de toutes manières de ce voyage intéressant, ne boudant ni les paysages ni les personnes, la pensée d’Isabelle restait absorbée par son amour profond pour Marcel ; elle n’en parlait pas, mais elle espérait le revoir et qui sait… le faire peut-être revenir sur sa décision. Aussi, est-ce avec un cœur joyeux qu’elle revit la belle résidence d’Outremont et l’une des premières questions qu’elle posa à Gilles fut celle-ci :

— As-tu revu Marcel Pierre ?

— Oui, tiens je l’ai rencontré ; hier, il a très bonne mine !

— Ah ? S’est-il informé de moi ?

— Il n’en a pas eu le temps, je lui ai dit moi-même : j’attends demain Isabelle et mon père !

— Qu’a-t-il répondu ?

— Je ne me rappelle pas exactement… quelque chose de banal, il me semble, comme : ils ont fait un long voyage !

— Est-il retourné à son journal ? dit monsieur Comtois.

— Depuis des mois ! On dit que ça lui appartient maintenant ; il est associé et en train de faire fortune !

— Fait-il la cour à quelqu’un ? Sort-il beaucoup ? dit Isabelle curieusement.

— Tu m’en demandes trop ! Je le vois parfois au Club Sportif, mais dans le monde, je ne le rencontre plus guère.

Ces quelques vagues renseignements ne suffisaient pas à la curiosité amoureuse de la jeune fille, et le lendemain, n’y tenant plus, elle l’appela au téléphone.

— Allô… Oui, c’est Marcel Pierre qui parle… mais… Ciel ! C’est vous, Isabelle ?

— Oui, c’est bien moi ! Je reviens de loin ! Ne viendrez-vous pas me serrer la main ?

— Avec bonheur ! J’étais pour vous demander moi-même cette faveur !

— Venez ce soir, alors !

— Merci, j’irai sans faute !

Isabelle sentit soudain une joie délirante lui envahir le cœur. Il l’aimait donc toujours ! Il allait comprendre enfin combien ce serait insensé de briser leurs deux vies à cause de… l’inévitable !

Monsieur Comtois et son fils n’étaient pas au salon lorsque Marcel y entra ce même soir. Isabelle était seule, debout près de la cheminée, regardant distraitement le feu qu’elle y avait fait allumer à cause de la fraîcheur de cette soirée de septembre. Il regarda un instant la chère silhouette, puis s’avançant, il dit doucement : Isabelle !

— Marcel ! Enfin !… Et sans hésiter elle se blottit dans les bras tendus vers elle…

— Quel bonheur de vous revoir, dit-il, laissez-moi vous regarder… Dieu ! Vous êtes exquise ! Que de têtes vous avez dû tourner là-bas !

— Et vous, méchant, qui m’avez fait verser tant de larmes ! Vous, qui ne vouliez plus me revoir ! Vous avez une mine superbe… et vous n’avez pas l’air du tout malheureux !

— Je ne le suis plus !

— Consolé ?

— En grande partie consolé… et vous le comprendrez lorsque je vous aurai expliqué les choses !

— Venez vous asseoir, dit-elle l’entraînant vers un canapé, il y a si longtemps que nous sommes séparés et nous en avons tant et tant à nous dire !

— Isabelle, commença le jeune homme, gardant dans les siennes la main de la jeune fille, après l’adieu que je vous ai envoyé et que je croyais final, j’ai passé des jours tellement noirs, tellement dénués d’intérêt, que je me demandais comment je pourrais continuer à vivre ainsi sans vous !

Puis, je me suis mis à l’ouvrage et dans un travail absorbant j’ai occupé mon esprit et endormi un peu mon désespoir… j’ai pris les distractions que je savais m’être le plus réconfortantes, la musique m’a fait passer de belles heures et aussi la lecture… Cet été, avec mon auto, j’ai fait de nombreuses petites randonnées à Val-Ombreux, au vieux presbytère, le home de mon adolescence…

— Ce bon monsieur Roussel vous aime tant ! Il faisait peine à voir pendant les jours où vous étiez en danger, à l’hôpital !

— Oui, une affection comme la sienne est un bienfait inappréciable ! Lorsque je suis arrivé là-bas, samedi dernier, je lui ai trouvé l’air tellement réjoui que je lui en ai fait la remarque…

— C’est, me dit-il, que c’est après-demain le premier septembre, 1930, une fête qui porte vigile !…

Et allant à son coffre-fort il en sortit la lettre que voici :

Marcel tira de sa poche une enveloppe jaunie et la tendit à Isabelle…

Pendant qu’elle lisait, des larmes coulaient sur ses joues, et lorsqu’elle eut terminé sa lecture, elle porta le papier à ses lèvres avant de le remettre à Marcel… Celui-ci, très ému, l’entoura de son bras et l’attira à lui :

— Puisque je puis maintenant vous offrir un nom honorable, murmura-t-il, dites, ma seule aimée, vous serez enfin mienne ?

— Je l’aurais été même sans cela, si vous l’aviez voulu !

— Je le sais, chère loyauté que vous êtes… et de le savoir, me rend doublement heureux, puisque je puis maintenant venir à vous, plein d’espérance en l’avenir !

— Marcel, papa et Gilles sont dans la bibliothèque… allons leur dire votre… notre grande nouvelle !

— Oui, dit Marcel, mais avant ça, il me faut sceller sur vos lèvres ce bonheur inespéré… chère, chère petite fiancée, dit-il, en lui donnant un long baiser…

Monsieur Comtois reçut avec affabilité ce jeune homme qu’il aimait bien. Il avait approuvé sa décision, lorsqu’il avait résolu de renoncer à Isabelle. Tout en admirant sa franchise, il espérait que Marcel persévérerait dans sa résolution. Cependant, il était bien décidé de ne pas s’opposer au mariage de sa fille, si elle persistait, le voyage fait, à ne vouloir épouser que lui.

Il remarqua l’air rayonnant d’Isabelle, ses joues vermeilles, ses yeux lumineux…

— Papa… Marcel a quelque chose à te dire… et à toi Gilles !

— Oui, monsieur Comtois, dit le jeune homme. J’aurais quelque chose à vous faire voir et quelque chose à vous demander !

— Très bien, asseyez-vous… je suis tout oreilles !

— Papa, je me sauve, dit Isabelle… et tiens, je pense que je vais t’amener avec moi, Gilles, viens ! J’ai un secret à te confier !

Lorsqu’ils furent seuls, Marcel sortit de sa poche la copie de l’acte d’adoption et la passa à monsieur Comtois ; sans rien dire, lorsque celui-ci en eut pris connaissance, il lui donna à lire la lettre qui accompagnait le document.

Monsieur Comtois lut jusqu’au bout, puis il serra la main du jeune homme.

— Je suis très heureux pour vous, dit-il, et je vous félicite !

— Merci, dit le jeune homme, avec émotion. Et maintenant monsieur Comtois, vous savez combien j’aime Isabelle, consentirez-vous à ce qu’elle soit ma femme ?

— Je serai parfaitement consentant et même très heureux de donner la main de ma fille à Marcel-Pierre Saint-Denis !

Le jeune homme le remercia avec une émotion contenue et ils allèrent ensemble retrouver au salon Isabelle et son frère.