Éditions Albert Lévesque (p. 133-138).
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XIII




MARCEL était convalescent. On lui permettait maintenant de se lever un peu tous les jours et de s’asseoir dans un fauteuil. Il pouvait lire et même recevoir des visites. Il prenait de la nourriture et ses forces revenaient. Le curé Roussel avait repris le chemin de Val-Ombreux, satisfait de voir son pupille en voie de parfait rétablissement.

De temps en temps, monsieur Comtois venait voir le malade et un jour, il amena Isabelle. Lorsqu’elle entra à la suite de son père dans sa chambre d’hôpital, la pâle figure du convalescent s’illumina d’un sourire ému et il tendit vers elle ses deux mains amaigries.

— Marcel ! Que je suis heureuse de vous voir mieux ! dit-elle affectueusement en lui serrant les mains. Voyez, je vous ai apporté ces violettes de Parme que vous aimez tant, elles parfumeront votre chambre ! Où puis-je les mettre ?

— La gentille garde qui me soigne si bien, va les mettre dans l’eau pour moi, n’est-ce pas nurse ?

— Avec plaisir… mais ne parlez pas trop ! Laissez parler vos visiteurs ! dit la garde.

— C’est ça dit la visiteuse, papa et moi allons faire tous les frais de la conversation. D’abord, je vais vous donner toutes les nouvelles. Saviez-vous que les Chimerre avaient quitté Montréal ?

— Je l’ai appris…

— Ça ne vous a pas surpris ?

— Non… franchement non !

— Eh bien, moi j’en ai été stupéfaite. Mais toi, papa, tu avais l’air de t’y attendre !

— Dame, comme dit monsieur Ashley, de New-York : je sais ce que je sais… n’est-ce pas, monsieur Pierre ?

Marcel sourit sans répondre.

— Ensuite, continua Isabelle, Gilles va revenir à Montréal. Vous vous rappelez que la banque l’avait transféré à Ottawa… eh bien, il revient, avec une promotion !

— Ça, c’est une bonne nouvelle, dit Marcel.

— Puis je veux vous dire que le mariage de Miriam Ashley est annoncé pour janvier prochain !

— Tant mieux, son père doit être content, murmura le jeune homme.

— Ensuite… eh bien, papa, dis l’autre nouvelle, toi !

— Ensuite, reprit alors monsieur Comtois, comme je savais que nous allions venir vous voir, j’ai parlé à l’abbé Roussel, afin de savoir s’il avait quelque message…

— C’est bon de votre part… je suis confus…

— C’est un plaisir pour moi ; ce bon curé m’a prié de vous dire qu’il croit que votre convalescence se complétera plus vite au presbytère de Val-Ombreux que partout ailleurs !

— Comme il est bon ! murmura Marcel ; Oh oui, j’irai me rétablir là !

Lorsque les visiteurs se levèrent pour partir, monsieur Comtois serra amicalement la main du jeune homme ; Isabelle resta un instant de plus et lui dit, à demi-voix, un au revoir très doux. Marcel, dans sa faiblesse, se laissait aller à la douceur de sa présence passagère et murmura :

— Comme ç’a été bon de vous voir, là, près de moi !

Le retour de la garde empêcha la jeune fille de répondre et, avec un sourire amical, elle s’esquiva et rejoignit son père.

Quinze jours plus tard, Marcel fut en état de se rendre à Val-Ombreux. Mais plusieurs mois de repos allaient lui être nécessaires pour compléter sa guérison.

Lorsqu’il fit demander son compte à l’hôpital, afin de le payer avant son départ, il apprit que monsieur Ashley avait tout réglé ! La protection du financier se continuait pour celui qui avait sauvé la vie de Miriam…

Il y avait encore la question de son journal qui le fatiguait. Il fit venir son remplaçant, un monsieur Green, et lui dit qu’il serait plusieurs mois avant de pouvoir reprendre la besogne.

— C’est entendu, mon cher monsieur, dit monsieur Green ; J’ai des ordres de vous remplacer aussi longtemps qu’il sera nécessaire. Le patron me fait garder ma position là-bas en attendant ; et je m’accommode fort bien de la vie dans votre charmant Montréal !

Marcel pouvait donc se guérir sans inquiétude. Il n’avait jamais révélé, sauf au curé Roussel, le nom de celui qui avait failli le tuer, ni la cause de l’attentat.

Isabelle, voyant sa réticence à ce sujet, n’avait pas osé le questionner, Monsieur Comtois eut la même discrétion. Mais ce dernier se rappelait les paroles du jeune journaliste « je me suis fait un ennemi », la fuite de Chimerre le soir même du crime, ses fraudes énormes mises à jour, et tout se liait dans la pensée de cet homme d’expérience pour accuser Paul Chimerre. Il ne parla pas cependant à sa fille des soupçons qu’il avait, mais Gilles fut son confident et admit que c’était fort possible que Chimerre fut le coupable.

Il restait à Marcel une chose très pénible à accomplir. Il avait résolu de révéler le secret de son origine, la tache de sa naissance, à Isabelle.

Le grand amour qu’il avait pour elle s’était encore augmenté à la vue de sa bonté et de ses attentions. Il avait pu s’apercevoir aussi combien il comptait dans sa vie, à elle, et sans avoir encore échangé des mots d’amour, ils se comprenaient.

Mais Marcel ne pouvait se leurrer plus longtemps de l’espoir que les choses pourraient continuer ainsi et il voulait avoir avec elle une longue conversation intime, qui, hélas ! briserait sans doute ces chères relations, briserait en tous les cas sa vie à lui, mais satisferait son honneur.

Cependant, la veille de son départ arriva et l’occasion voulue mais redoutée ne s’était pas présentée. Marcel ne sortait pas encore, la jeune fille ne venait jamais seule le voir.

Le matin où il devait partir pour Val-Ombreux, il lui dit quelques mots au téléphone, mais il ne la vit pas.

— Allons, se dit-il, puisque je n’ai pu lui parler, je lui écrirai de Val-Ombreux… Après tout, ce sera moins dur de ne pas la voir détourner de moi sa chère tête, et elle ne sera pas témoin de mon désespoir !

Le même soir, il arrivait à Val-Ombreux, chancelant et fatigué ; il dut se mettre au lit immédiatement. Une bouffée de fièvre lui fit garder sa chambre pendant plusieurs jours, puis grâce à sa forte constitution, il reprit peu à peu ses forces et sa santé de jadis.