La Ville charnelle/à une poétesse

E. Sansot & Cie (p. 209-211).

À UNE POÉTESSE

Vos vers ont des langueurs de mantille espagnole
pour mouler la souplesse élancée d’une image
et cacher à demi l’harmonieux visage
en pleurs, d’une idéale Vérité !…

Vos vers ont la mollesse animale des soies,
et la chaleur vivante des velours asiatiques…
Mais vous les déployez plus haut que les nuages,
avec l’immensurable éclat des Voies Lactées !…

Et vous avez chanté, au balcon, sur la mer,
pour savoir ce qu’il peut tenir de volupté
sous l’ogive agrandie d’un soir immaculé…
Et vous avez chanté sur la plage, à tue-tête,

pour savoir ce qu’il peut tenir de suicide
dans le renfoncement d’un couchant de tempête !…

Votre Âme est une tour aux créneaux de métal
qui vibre sous l’haleine inspirée de l’orage,
et dont les meurtrières aux lèvres musicales
chantonnent les refrains sauvages de la Mort.

Votre Âme est une tour murée d’or et d’acier,
dont le vaste éperon, bâti par les sorciers,
surplombe l’Océan aux sursauts de dragon
que torture l’ennui d’un lit immémorial.

Votre Âme est une tour au seuil de diamant
où le vent de l’enfer sanglote et s’apprivoise,
quand chassée de très loin par la bourrasque amère
la Lune s’en revient nicher dans vos créneaux !…
C’est en vain que le Soir aux splendeurs volcaniques
fait ruisseler sur vous la rougeur de sa lave !…

C’est en vain que les Nues dansantes et nues
vous frôlent de leurs hanches,
telles des Bayadères !…
C’est en vain que les Flots
par rangs interminables, s’en viennent enchaînés
branlant leurs têtes blanches de vieillesse et de bave,
casser leurs vieux genoux, ainsi que des esclaves,
sur la pierre, à vos pieds, Sombre Tour ivre d’ombre !

Désir de s’affranchir de l’Espace et du Nombre,
éternisant l’amour dans les jardins d’été,
sous des pluies de parfums et d’étoiles filantes !…
Désir de voyager par des sentiers de flammes,
en suivant l’aventure des Constellations !…
C’est le Désir inassouvi qui déchaîne votre âme
rythmée par le grand cœur phosphoreux de la Nuit,
et que l’éclair fleurit de rimes aveuglantes !