La Ville charnelle/à Paul Fort

E. Sansot & Cie (p. 213-215).

À PAUL FORT

Ballades, filles-fleurs aux lèvres de parfums,
le printemps vous sema dans les prairies de France,
et vous venez d’éclore sous la baguette de l’Aurore,
dans l’âme ensoleillée d’un grand poète !…
Ballades souriantes, vos yeux ont la profonde
indolence des soirs d’Avril, mouillés de pleurs.

Ô blondes filles-fleurs aux robes en calice,
c’est le vent sauvage de l’Amour
qui plie l’une sur l’autre vos tailles langoureuses,
mélangeant en cadence vos cheveux passionnés,
fleuris de roses rouges et de lilas… Vous tournoyez
avec l’ardeur précipitée et la grâce fiévreuse
d’une guirlande parfumée flottant à la dérive,

déjà lasse de lutter
sur le remous tenace qui l’absorbe en douceur.

Ballades, filles-fleurs, dont la bouche a le goût
de la sorbe mielleuse, voilà que la cascade
de vos éclats de rire réveille au fond des bois
le poète assoupi sur son frais lit de mousses
qui fut bercé par la plus belle des Étoiles.

Il vient à vous, les yeux au ciel,
en vous tendant les bras,
et vous ouvrez la chaîne pour mieux tourbillonner
tout autour de son cœur qui refleurit d’ivresse ;
et, le long des jours clairs, vous suivez les sursauts
de sa voix qui sanglote et soupire d’amour,
chantant le cliquetis des épées légendaires,
le nonchaloir des châtelaines à leurs balcons lunaires,
les longs baisers coupés par l’éclair des poignards,
la nostalgie des îles arrosées de bonheur
et de sommeil, où l’on débarque, en rêve, chaque nuit !


Mais l’incendie fumeux du couchant engloutit
la silhouette errante et noire du poète…
Lors, vous reprenez vos rondes vaporeuses,
Ballades nostalgiques, au beau milieu de la clairière,
parmi le vif argent du triste clair de lune
qui lentement ruisselle sur le vaste feuillage
et les rameaux de bronze de la forêt magique.

Vous répétez d’une voix pénombrée
les chansons du génie mêlées d’angoisse et de folie,
cependant que vos pas menus écrivent,
sur le sable, les vives paroles du désir
qui jailliront demain, pour vos amants,
de la source des lèvres…

Et lentement vos lisses chevelures
imitent l’abandon paresseux des nuées
et leur façon de s’enlacer, et leur langueur
à dénouer, le soir, avec délice, leurs ceintures
de pudeur légère, avant de se plonger
toutes nues dans le bain tiède et parfumé des mers…