La Ville charnelle/à Giovanni Marradi

E. Sansot & Cie (p. 193-195).

À GIOVANNI MARRADI

Ô Poète, ton rêve éblouissant flamba de pourpre
et de riches brocarts, comme un grand oriflamme,
enveloppant d’orgueil Lucrèce Borgia,
dont le corps souple d’amazone
s’abandonne à l’encolure d’un coursier,
qui s’avance à longs pas moelleux
dans l’immense émeraude ensoleillée des plaines.
Parmi l’escorte bariolée de ses prélats,
tout chamarrés et tintinnabulants,
son clair profil épouse l’éventail des feuillages,
et le galop figé des montagnes lointaines.
Et les gourmettes sonnent, monotones,
sur la cadence apprivoisée d’une rivière,
qui traîne en la chaleur fertile de la brise

un nonchaloir de fleurs et de nuages reflétés.

L’espoir de rafraîchir l’âcre nausée du Rêve,
— cette blessure inguérissable
et qui ronge nos muscles d’animal —
guida ton âme nostalgique, tel un voilier pensif,
dont les voiles vermeilles et soûles de soleil
roucoulent en quêtant la brise favorable,
de promontoire en promontoire,
en la bonace monotone de l’ennui…
« Par delà les miroirs fallacieux des horizons,
quand verrons-nous s’éclore le golfe d’or
tout pavoisé d’azur, où reposer enfin
la fièvre des antennes et le sanglot des chaînes ?…
Et la mélancolie des soirs adriatiques
vint effeuiller ses roses au creux des voiles noires
et couronner tes mâts d’un diadème d’Étoiles.

Qu’importent les caquets des niveleurs balourds

et leurs croassements parlementaires,
puisqu’enfin tu brandis la torche aux cheveux droits,
en chantant le héros de Caprera,
Garibaldi, et son manteau couleur de l’avalanche,
et sa voix de tocsin qui s’affole,
et son illuminant sillage d’incendie !…
Regardez ! Écoutez l’essor des strophes d’or,
envolées vers le ciel à tire-d’ailes sonores !…
Les Voiles sur les flots, les Nuages au couchant,
bombent déjà leurs joues de séraphins,
soufflant dans les buccins orageux de la mer
la sanglante Épopée de ton âme guerrière,
héroïque Italie au grand cœur volcanique !…