La Ville charnelle/à Camille Mauclair

E. Sansot & Cie (p. 201-203).

À CAMILLE MAUCLAIR

Dans le grand parc qu’arrose un soir liquide et bleu,
Le temple harmonieux de ta philosophie
Sourit de tout l’éclat frissonnant de ses tuiles
Aux fraîches étoiles dont la nuit est fertile.

Les premières étoiles balbutient
Les mots blancs du berceau
Et les mots chauds que les amants se glissent
Sous les draps, en délices,
Quand le toit ploie de neige et de nuit.

Le parvis de ton temple a des miroitements
De rose volupté et de verte ironie,
Pour inviter l’ardente Lune romantique

À gravir les degrés d’orgueil et d’or, géométriques.

C’est une Lune molle et souffrante et plaintive
Qui tombe de sommeil sur les bancs de l’allée,
Car elle a trop longtemps pleuré comme une eau vive
Sur la tombe sacrée de Schumann, mi-cachée
Sous la menthe sauvage et le thym aigrelet…
Car elle a trop longtemps chanté de sa voix grave,
Indolente et nerveuse,
Indécise et rêveuse et précise à la fois.

Mais ton cœur, ô poète, a réveillé la Lune
D’un grand sanglot d’amour déchirant le silence.
Et la voilà glissant sur les gazons soumis,
En te tendant ses bras soyeux, brillants et déliés,
Ses lèvres végétales
Et ses yeux frais, éclos sous la rosée des larmes.

Ô le spasme effréné de ce baiser lunaire !

Ô l’espoir de ton âme qui se fiance à l’infini
Sur les lèvres meurtries de cette Lune molle
Souffrante et romantique,
Qui tombe de sommeil sur les bancs de l’allée,
Lasse d’avoir pleuré sur le corps de Schumann.