Société d’éditions publications et industries annexes (p. 17-27).

CHAPITRE II


Les premiers jours furent pour Jean un perpétuel étonnement. Comme lui avait dit l’abbé Murillot, on ne pouvait pas plus comparer Avignon à Paris que la microscopique rivière de la Sorgue au Rhône ! Mais le jeune homme s’habitua très vite. Il alla prendre ses inscriptions à l’École de Droit. Puis les cours commencèrent. Il se trouva plongé dans cette vie du Quartier Latin, si tumultueuse, si passionnée…

Il resta quelques jours à l’hôtel des Deux-Couronnes : juste le temps de trouver, non loin de l’École, une chambrette, située au sixième étage. C’était une très modeste pièce, un de ces logements d’étudiant, nichés sous les toits, qui s’ouvrent sur un monde de gouttières et vous permettent d’étudier et de fréquenter de la meilleure façon la société des moineaux.

Il avait pris contact avec ses nouveaux camarades. Les premiers jours, ses manières gauches et son accent lui avaient valu quelques quolibets. Mais il eut tôt fait de trouver le moyen de se faire respecter, et bientôt, à mesure que lui s’habituait à cette ambiance nouvelle, ses compagnons s’accoutumaient à lui et le trouvaient moins drôle que les premiers jours.

Bientôt même, il devint plus intime avec deux ou trois d’entre eux, Julien Bossier était un grand garçon blond et flegmatique, qui affectait le genre anglais. Ses parents étaient des usiniers du Nord. Louis Lassale était un petit bonhomme vif et pétulant, aux cinglantes réparties, qui lui faisaient prédire pour l’avenir d’éclatants succès dans la carrière qu’il s’était choisie. Georges Morin, lui, était le dandy de la jeune troupe. Il choisissait avec soin ses cravates, avait toujours sur lui un peigne et un petit miroir de poche, et achetait souvent des magazines illustrés où il découpait les portraits des artistes en vogue, qu’il épinglait dans sa chambrette. Mais tous étaient des fils de familles riches, ou tout au moins aisées. Aussi, quand Julien, un jour, demanda négligemment à Jean, entre deux bocks :

— Et ton père… qu’est-ce qu’il fait, lui ?

Jean tout rougissant, n’avait pas voulu avouer qu’il cultivait lui-même ses terres, il avait répondu :

— Propriétaire…

— C’est chic, ça ! avait conclu Louis. On ne fait rien dans ce métier ! autant dire rentier, quoi ?

Jean n’avait pas osé dire la vérité, c’est-à-dire qu’il avait toujours vu ses parents se lever à la fine pointe de l’aube, dès que les coqs lançaient leurs premiers cocoricos, afin d’être sur la brèche avec le soleil…

Il avait lié connaissance avec les cafés du boulevard Saint-Michel. Mais les consommations étaient chères, et le plus souvent, il s’abstenait d’accompagner ses amis, lorsque ceux-ci voulaient l’entraîner au café Dupont ou à la brasserie d’Harcourt…

— Ah ! ça, mon vieux, lui avait dit un jour Georges en riant, je ne comprends pas ta sagesse, surtout quand on a la poche bien garnie, comme tu dois l’avoir ! est-ce que tu serais rat, par hasard, ou bien souffres-tu d’une maladie d’estomac ?

Jean, qui faisait toutes ses courses à pied et évitait de prendre le métro pour économiser un ticket du quatorze sous, avait convenu, en effet, que le docteur lui avait interdit l’alcool…

— Tant pis ! pensa-t-il. Bien que j’aie un estomac à digérer des cailloux, j’aime mieux passer pour délicat que pour pingre !

Mais il n’en avait pas encore été quitte.

— Ça ne fait rien ! fit Louis. Tu prendras un quart Vichy, pendant que nous boirons à ta santé !

Il avait tenté une ou deux fois l’aventure. Mais comme il avait remarqué qu’on le laissait volontiers régler l’addition, bien qu’il s’astreignît à n’absorber qu’une eau fade, il feignit d’avoir des empêchements divers chaque fois qu’on l’invita à aller « se rafraîchir ».

Du coup, les camarades n’insistèrent pas.

— C’est bien ce que je pensais ! dit Georges aux deux autres, d’un petit air entendu. Il n’aime pas beaucoup délier les cordons de sa bourse…

— Pourtant, ajouta Julien, son père doit jouir de beaux revenus et faire à son fils une pension convenable.

— Oh ! mon vieux, tu sais, c’est dans le tempérament ! Ceux-là pourraient être millionnaires : ils entasseraient leur galette et vivraient de pain et d’eau fraîche…

Ce petit fait amena un relâchement dans les relations des jeunes gens. Parmi la jeunesse estudiantine, si prodigue par tradition, l’avarice apparaissait comme une tache, et Jean fut un peu dédaigné.

Quelques jours s’écoulèrent de la sorte. Le jeune homme sentait clairement le léger éloignement qu’on lui témoignait, et sans vouloir en convenir, il en souffrait un peu. Cependant, jamais il n’aurait avoué la vérité, à savoir que son père lui envoyait six cents francs par mois et qu’avec cette maigre somme îl devait pourvoir à son loyer et à sa nourriture…

Ce dimanche-là, il s’était éveillé avec une terrible sensation d’isolement. Georges, Louis et Julien étaient allés avec d’autres amis à Fontainebleau, en excursion. Ils l’avaient invité la veille. Mais Jean, à son grand regret, avait dû refuser… Cette légère dépense était encore trop lourde pour lui et l’état de ses finances lui interdisait de quitter Paris.

Il se demandait ce qu’il allait bien pouvoir faire, lorsque tout à coup, une inspiration lui vint. Il n’était pas encore allé voir les Fousseret, et il y avait presque deux semaines qu’il était dans la capitale ! Il était grand temps qu’il aille leur présenter ses devoirs…

Il se rasa avec soin, fit une toilette plus soignée qu’à l’ordinaire, puis descendit. Il avait écrit sur un petit carnet, avant son départ, l’adresse des châtelains de Gréoux : 19, avenue Hoche… Il ne connaissait pas encore le quartier, mais pensait que ce devait être bien.

Il se rendit à son restaurant habituel et déjeuna. Quand il sortit, il n’était encore qu’une heure et demie !

— Je ne peux pas me rendre si tôt chez eux, pensa-t-il. Ils ont à peine fini leur repas, sans doute !

Il partit dans cette direction, à pied, en flânant. L’air était doux et la mauvaise saison semblait encore lointaine. Dans le ciel, d’un bleu délavé, des petits nuages passaient, mollement bercés… Les feuilles des marronniers se recroquevillaient comme des petites pattes frileuses et les acacias prenaient des teintes de rouille d’or…

— Les vendanges sont faites, là-bas, pensa Jean, et papa doit préparer les terres pour les semailles prochaines…

Il chercha la bonne odeur de la terre entr’ouverte et la grande brise tiède qui soufflait, venant de Camargue… Mais il n’y avait, dans la rue que des relents de poussière et d’essence…

— Décidément, Paris ne sent pas bon ! pensa-t-il en souriant.

Il avait traversé la Seine et suivait l’avenue des Champs-Élysées.

Dans un assourdissant brouhaha, les autos se poursuivaient ou s’entre-croisaient, dominées par la masse des autobus, qu’il ne put s’empêcher de comparer à des éléphants au milieu d’un troupeau de fauves…

Sur les trottoirs, des promeneurs allaient et venaient, jouissant de cette belle journée, tandis que des enfants, ivres d’espace et de relatif grand air, poussaient des cris de joie en se bousculant. Des jeunes femmes élégantes marchaient de ce pas vif et léger, caractéristique des Parisiennes, le nez au vent, le sourire aux lèvres. Des couples, penchés l’un vers l’autre, allaient plus lentement, se confiant mille secrets que les pierrots cueillaient au passage ; des soldats, permissionnaires de la journée, allaient, les bras ballants, d’un pas alourdi par les godasses réglementaires, tâchant de trouver quelque distraction en rapport avec leur modeste porte-monnaie, et regardant à droite, puis à gauche, croyant toujours voir ce qu’ils espéraient trouver. Derrière Jean, l’obélisque de ta place de la Concorde piquait vers le satin du ciel sa fine aiguille de granit ; devant lui, l’arc majestueux de l’Étoile se silhouettait dans la brume dorée. Jean était encore trop profondément terrien pour comprendre la sublime beauté qui se présentait à lui ; spectacle auquel la nature n’avait pas participé, mais qui était un chef-d’œuvre de l’homme, et l’un des plus magnifiques qu’il soit donné de contempler.

L’avenue des Champs-Élysées est longue ; quand le jeune homme arriva place de l’Étoile, il était plus de deux heures. Il jugea qu’il pouvait se présenter. Mais, pour gagner l’avenue Hoche, il lui fallait franchir ce flot mouvant de véhicules vrombissants. La traversée des chaussées encombrées était une chose à laquelle il ne s’était pas encore complètement habitué, et un petit frisson involontaire lui parcourait l’échine, lorsqu’au milieu de la rue, même sur le passage clouté, il voyait arriver sut lui à toute vitesse un de ces monstres modernes.

Cependant, grâce au bâton blanc bénévole d’un agent, cette action difficile s’accomplit aisément. Quelques instants plus tard, Jean cherchait des yeux le numéro dix-neuf de l’avenue Hoche.

Il ne tarda pas à le trouver. C’était un bel immeuble, précédé d’un minuscule jardin, où fleurissaient des dalhias et des fleurs compliquées dont le jeune homme ignorait le nom.

À son coup de sonnette timide, un grand valet en livrée vint ouvrir.

— Est-ce que Madame et Monsieur Fousserel sont ici ? interrogea-t-il.

— De la part de qui ? fit l’imposant serviteur, sans répondre à la question.

— De la pari de Monsieur Jean Gardin.

— Veuillez entrer.

Au passage, il se sentît dévisagé, puis inspecté des pieds à la tête. De toute évidence, son aspect n’imposait pas au domestique une obséquiosité exagérée.

Il le fit entrer d’abord dans un vestibule carrelé de marbre blanc, orné de colonnes et de statues. Au fond, un grand escalier de marbre blanc également, disparaissait vers les étages supérieurs.

Le valet ouvrit une porte vitrée, voilée de longs rideaux de tulle.

— Je vais voir si Madame et Monsieur peuvent vous recevoir. Avez-vous une carte de visite ?

— Non. Jean avait oublié ce détail indispensable. Il dut avouer, penaud, qu’il ne possédait rien de semblable. Il ajouta :

— Vous annoncerez M. Jean Gardin, de Gréoux.

L’autre disparut, tandis que le jeune garçon se gourmandait de son manque de prévoyance.

— Ils vont me prendre pour un paysan ! marmotta-t-il, rageur. Ne pas avoir songé à me munir de ces petits cartons-là !

Il était trop tard pour le regretter. Le mal était fait. Il résolut d’oublier cet incident désagréable, et se leva pour rectifier dans une glace le nœud de sa cravate. Oui. Tout allait bien. En attendant qu’on vienne, il inspecta la pièce où il se trouvait.

C’était un petit salon meublé avec un luxe un peu criard, mais que Jean trouva superbe. Beaucoup de dorures, beaucoup de bibelots fragiles et coûteux. Des tapis épais où le pied s’enfonçait. Un lustre de cristal faisait miroiter ses facettes. Des moulures au-dessus des portes et au plafond. Il ouvrait, de grands yeux ; même en Avignon, il n’avait jamais vu plus beau !

Un bruit de pas l’arracha de sa contemplation. La porte s’ouvrit et M. Fousseret entra.

C’était un homme d’une cinquantaine d’années, encore vert, plutôt petit, au ventre bedonnant, sur lequel s’étalait une épaisse chaîne d’or. Il était presque chauve et son crâne reluisait sous un rayon (le soleil qui venait insolemment s’y percher. Mais la figure poupine et rouge était bonasse, et un lorgnon, juché sur un nez un peu trop fort, restait en équilibre instable, ce qui l’obligeait à le réajuster à chaque instant, et donnait instinctivement envie de rire.

Au fond, le meilleur homme du monde et qui n’aurait pas, comme on dit, fait du mal à une mouche.

Il s’avança vers son visiteur, les mains tendues, un sourire béat élargissant sa bouche.

— Hé ! c’est donc vous, mon cher enfant ? Que je suis heureux de vous voir ! Vous voici à Paris ? Vous y plaisez-vous ? Et vos bons parents, comment vont-ils ? Cette excellente Mme Gardin fuit-elle toujours ses exquis petits fromages ? Mais, asseyez-vous et racontez-moi tout cela !

Mis à l’aise par cette familiarité bon enfant, Jean sentit tout de suite s’envoler sa gêne et ce fut sans nul embarras qu’il raconta au châtelain comment il était parti pour Paris, et ce qu’i ! y avait déjà fait.

— Vous avez commencé vos cours ?

— Oui, Monsieur.

— Ça vous plaît, le droit ?

— Beaucoup !

— Bravo ! Moi, je n’y ai jamais compris goutte, et je me ferais rouler comme un enfant si je n’avais pris soin de me munir d’un excellent homme de loi, qui est mon Égérie… Mais ce n’est pas tout cela : vous connaissez, je crois, ma femme et ma fille ?

Jean rougit.

— Un peu Madame Fousseret… Mais, Mademoiselle Fousseret, je ne le crois pas…

Le financier se frappa le front.

— Que je suis bâte ! Voici plus de cinq ans qu’Arlette ne vient plus à Gréoux… Elle s’y ennuyait beaucoup, alors, elle préférait aller passer ses vacances chez une de ses tantes, qui a une villa à Biarritz… C’était plus gai, plus jeune… Voulez-vous m’excuser deux minutes ? Je vais les chercher et je reviens… Elles seront enchantées de faire votre connaissance.

Et sans attendre la réponse, le pétulant petit homme se leva et disparut.

Il revint bientôt en compagnie d’une dame d’un certain âge, assez forte et à l’air imposant, devant laquelle Jean s’inclina respectueusement.

Mais ce ne fut pas à elle qu’il accorda toute son attention. Tout de suite, son regard fut attiré par la troisième personne qui accompagnait le groupe.

C’était une ravissante jeune fille qui paraissait avoir dix-sept ou dix-huit ans. D’opulentes boucles noires encadraient un délicieux visage mordoré, au teint chaud, qui semblait garder sur lui un dernier rayon de soleil. Des yeux gris, tendres et gais, une petite bouche, aux lèvres charnues, mobiles, rouges, encore avivées par un fard savant, lui donnaient un charme très réel. De faille moyenne, mais bien prise, mince, mais potelée, elle composait une fort jolie personne que Jean contempla un long moment sans rien dire.

Heureusement, on ne s’en aperçut pas. Mme Fousseret débitait un compliment de bienvenue dont Je jeune homme n’entendit pas le premier mot. Ce qu’il comprit fort bien, par contre, ce fut une petite phrase banale, mais agrémentée du plus joli sourire du monde :

— Très heureuse, Monsieur, de faire votre connaissance.

Il balbutia une vague réponse et en resta confus. Il se jugea sot. Il aurait voulu répliquer par une phrase spirituelle, qui lui eût conquis d’emblée, l’admiration de la jeune personne. Mais il ne trouva rien, et pour un futur avocat, il pensa que l’échec était encore plus humiliant.

Mme Fousseret lui posa quelques questions sur le pays, grâce auxquelles il put retrouver son aplomb. Sa timidité s’envola et quelques instants plus tard, ils bavardaient tous les quatre comme des amis de toujours. Il eut quelques remarques heureuses, quelques saillies, quelques boutades, et il sentit qu’il intéressait son petit auditoire.

Arlette, tandis qu’il parlait, l’écoutait d’un air sage, les deux mains croisées sur les genoux. Dans sa robe de lainage léger couleur gris-bleu, elle paraissait mignonne et fragile comme une poupée.

Cependant, le temps passait. Jean ne pouvait s’éterniser pour une première visite. Il le comprit et se leva.

— Déjà ? s’exclama M. Fousseret. Mais c’est une apparition, cela ?

— Peut-être avez-vous des camarades qui vous attendent, suggéra Mme Fousseret. Si c’est ainsi, dit-elle à son mari, nous ne devons pas le retarder.

Jean sourit.

— Oh ! non, Madame ! Je vis un peu en sauvage, vous savez…

— Comment ? Vous n’aviez pas de projet, par ce beau dimanche ?

— Aucun, si ce n’est celui de venir vous voir.

— Vous êtes très gentil ! Mais, en ce cas, serions-nous indiscrets, si nous vous demandions de bien vouloir prendre le thé avec nous ?

— Vraiment, Madame, je n’ose…

— Osez, osez ! fit M. Fousseret, en riant. Si on vous l’offre, c’est de bon cœur !

— Osez, Monsieur ! ajouta Arlette en souriant.

— J’aurais mauvaise grâce à refuser devant tant d’insistance, fit Jean, conquis.

— Nous ferons tout à fait votre connaissance, reprit M. Fousseret. Quoique moi, je me souviens très bien de vous… Il y a longtemps que nous avons le château de Gréoux, n’est-ce pas, Hélène ?

— Oui, mon ami, répondit majestueusement la bonne dame.

— Au moins vingt ans… Vous voyez ça, hé ! hé ! Ça commence à compter… Quel âge avez-vous ?

— Je vais avoir dix-huit ans…

— Tiens ! Vous êtes presque du même âge qu’Arlette… Eh bien ! je me rappelle, oui ! quand vous étiez un gamin mal lavé, c’est vous qui veniez nous apporter au château les fromages que faisait Mme Gardin… Elle les a toujours particulièrement réussis… Je vous vois encore, avec un panier plus gros que vous, la culotte à mi-genoux, et le bec tout barbouillé de prunelles et de mûres…

Ils se mirent à rire, et Jean fit comme eux. Mais, au fond de lui-même, il aurait bien envoyé au diable l’intempestif bavard.

— Il avait bien besoin de raconter tout cela ! pensait-il, furieux. Pour qui va-t-elle me prendre ?

Mais Arlette ne semblait pas avoir entendu, très occupée à verser délicatement le breuvage odorant et brûlant dans les tasses de porcelaine de Chine… Elle en saisit une et l’offrit à Jean.

— Attention, pensa-t-il. Ce ne serait pas le moment de renverser ma tasse !

La catastrophe faillit se produire, car la petite main blanche effleura la main du jeune homme. Il tressaillit.

— Prenez, Monsieur ! dit Arlette, avec son sourire engageant. Un sucre ? Deux sucres ?

— Deux, s’il vous plaît, mademoiselle, répondit-il, distraitement, comme il aurait dit : « Une demi-douzaine… »

Le bavardage et les questions de M. et Mme Fousseret le forcèrent à redescendre sur la terre.

— Il faut revenir très souvent nous voir, dit aimablement la brave dame, lorsqu’il prit congé, à la soirée. Vous voyez ; nous avons passé une journée charmante…

— Si ce jeune homme voulait bien venir nous trouver à déjeuner, un de ces jours ? reprit M. Fousseret, en se tournant vers sa femme, pour quêter une approbation.

— Vraiment, Monsieur… voulut protester Jean.

— Mais si… mais si… reprit Mme Fousseret. Voyons, nous sommes pays, ou presque !

— C’est vrai ! dit le financier en riant. Saviez-vous que ma femme est née en Avignon ? Nous ne sommes donc pas seulement des enfants d’adoption de votre belle région !

Ils insistèrent si aimablement que le jeune homme ne put refuser. D’ailleurs, il mourait d’envie d’accepter et s’il se faisait prier, c’est seulement la crainte de se trouver indiscret qui le retenait. Quand il vit que, sincèrement, on désirait sa présence, il acquiesça avec joie.

Entendu, donc ! fit M. Fousseret, jovial. Jeudi vous convient-il ? N’avez-vous pas de cours ?

— Non, pas ce jour-là.

— Alors, c’est parfait !

Jean se retira, le cœur en joie. Une allégresse qu’il ne pouvait arriver à comprendre le soulevait de terre. Depuis bien longtemps, il ne s’était trouvé aussi heureux.

— Il est charmant, ce jeune homme ! déclara le financier.

— Oui, dit Mme Fousseret. Très gentil. Un peu timide, par exemple, un peu gauche… Mais il s’y fera… Un beau garçon, par ailleurs, qui change des petits gringalets que l’on rencontre chaque jour…

— En somme, conclut Arlette en riant, un paysan un peu dégourdi !

Quant à Jean, il rêva toute la nuit de la gracieuse image brune qu’il venait de rencontrer… Et il compta les heures qui le séparaient de ce fameux jeudi…