Éditions de La Revue Moderne (p. 38-49).

V.

PALADINE EN ROBE DE SOIE.


— Une minute, marraine, que je fasse prendre mes bagages.

— Tes bagages ? et ceci, qu’est-ce donc ? demanda Mlle Laure en désignant les nombreux colis : paquets, boîtes à chapeaux, sacs à main et valises que, après les premières effusions passées, sa filleule venait d’entasser dans la voiture de louage.

— Ceci, ce sont de menus articles que j’allais oublier au dernier moment, ou qui ne pouvaient être entassés dans ma malle de voyage. Tenez, noble automédon, veuillez prendre mes bagages au contrôle.

— Quoi, Mademoiselle ? interrogea le brave cocher.

— Je vous dis d’aller chercher ma valise au baggage room et que voici mon check, comprenez-vous ?

— Bien sûr que je sais parler français.

— Ma chère marraine, je ne sais comment m’excuser d’avoir été aussi indiscrète ; mais que voulez-vous, j’avais une telle envie de passer près de vous ces quelques semaines de vacances ! Bien sincèrement, mon intrusion ne vous dérange pas trop ?

— Comment faire une pareille supposition, ma chère enfant ; tu sais bien que ta venue me transporte au troisième ciel.

— Je ne demande pas tant, cousine, j’avoue même que je vous préfère sur terre. Voyez-vous, au troisième ciel, je ne sais si j’aurais pu me payer un voyage aller et retour pour vous y aller visiter. D’ailleurs, vous verrez que je ne troublerai que très peu votre travail et que je m’ingénierai à me rendre utile. Je serai la petite souris qui gruge bien un peu, mais que l’on n’ose attraper tant elle met d’artifice à se faire oublier. Et puis, nous avons certains goûts communs : vous aimez beaucoup les fleurs, moi-même je les adore ; je me rappelle que vous étiez jadis une musicienne délicieuse et c’est même en vous entendant jouer du piano que j’ai pris du goût pour cet instrument. Recevez-vous beaucoup de visites chez vous, marraine ?

— Bien rarement, ma chérie ; je suis un peu solitaire et j’ai peur que ma compagnie ne te paraisse quelque peu monotone. Tu es un petit colibri qu’il ne ferait pas bon retenir trop longtemps en cage et la solitude qui, insensiblement et sans intention, s’est établie autour de moi te fera peut-être paraître les jours bien longs.

— Ne dites pas de pareilles monstruosités, marraine, je suis certaine de passer auprès de vous des vacances idéales. Nous allons mieux nous connaître, nous estimer et nous aimer plus encore si cela est possible.

— Tu sais, ma petite Yolande, si je ne t’ai jamais invitée à venir vivre près de moi, ce n’est pas faute de désir, il ne faudrait pas m’en vouloir, ce sont les circonstances qui l’ont voulu et peut-être la crainte que j’éprouvais d’associer trop intimement à ma vie monotone ta jeunesse exubérante.

— J’en étais tellement persuadée que, malgré l’étrangeté de ma démarche, je me suis invitée ; je savais que vous n’oseriez pas le faire, même si vous l’aviez désiré.

Le cocher revenait avec la malle qu’il jucha sur le siège d’avant, sur lequel il grimpa lui-même et immédiatement la voiture partit au pas lourd du cheval fourbu.

La conversation, interrompue par l’arrivée du cocher, était à peu près tombée, le silence entre les deux occupantes de la voiture n’était coupé que par de banals renseignements que Mlle Perrin fournissait à la visiteuse sur les personnes et les choses que l’on rencontrait. Ni l’une ni l’autre ne semblait anxieuse de rompre ce silence. Mlle Laure, transformée par la joie, ne semblait pas se rassasier d’admirer sa petite poupée de filleule, si jolie, si fraîche, si resplendissante de jeunesse et de printemps. De son côté, la petite dactylographe s’était immédiatement sentie prise d’une affectueuse compassion pour cette douce et bonne orpheline dont le dévouement envers son père avait été si admirable, si grand dans son effacement. Elle repassait dans son esprit tout ce qu’elle savait de sa compagne ; son enfance solitaire près d’un vieillard quelque peu misanthrope, son adolescence monotone, sa jeunesse qu’elle avait immolée au devoir et à la piété filiale. Et puis elle se sentit intéressée par la personne même de sa marraine, sa physionomie, son maintien, son accoutrement. Mais oui, elle était très jolie quand on examinait en détail chacun de ses traits : en ce moment surtout où son arrivée jetait sur sa figure une expression de bonheur indicible, elle était délicieuse en dépit de ses habits surannés et de la gauche timidité qu’elle ne pouvait surmonter à se trouver en voiture de louage en compagnie d’une citadine. Yolande devinait, plutôt qu’elle ne la voyait, l’admirable chevelure dissimulée sous le chapeau depuis longtemps fané et passé de mode de sa cousine : elle devinait toute la fraîcheur et la jeunesse que cet accoutrement cherchait à cacher et que Mlle Laure ignorait elle-même. Et la petite espiègle en concluait que le mois de vacance qu’elle venait passer auprès de la recluse produirait peut-être des fruits inattendus, que la jeunesse et la gaîté sont communicatives et qu’il n’y a pas besoin de miracle pour rappeler à une femme riche et jeune encore qu’elle est fille de notre bonne grand’mère Ève.

Mais l’on était rendu à destination et comme un bon repas attendait la voyageuse on se mit à table.

— Et où travailles-tu, ma petite Yo ? demanda Mlle Laure en servant le potage.

— Ne vous l’ai-je pas dit dans mes lettres ? Je suis dactylographe chez Messieurs Beauparlant et Beauparlant, avocats et conseillers du Roi.

— Et ton travail consiste ?

— Faire la procédure, expédier la correspondance…

— C’est toi qui écris les lettres d’avocats ?

— C’est presque ma spécialité. Mes patrons en sont rendus à ne me donner que des notes ; ils ont tellement confiance en moi qu’ils ne me dictent plus leurs lettres.

— Et vous en envoyez beaucoup ?

— Une cinquantaine par jour.

— Cinquante !

— Au moins. J’en ai expédié une fois tout près de cinq cents en une seule journée. De plus, mes patrons trouvent encore moyen de m’envoyer en cour, surtout depuis que nous avons perdu notre clerc.

— Comment ? Tu vas en cour ?

— Pas pour plaider, pour prendre des brefs, demander des exécutions, faire des rapports d’actions et autres besognes ennuyeuses en elles-mêmes ; mais qui nous permettent de nous absenter quelques instants du bureau et de prendre un peu d’air.

— Pauvre petite, quelle vie affreuse tu mènes !

— Mais je ne me trouve pas à plaindre du tout, marraine, je suis très heureuse de mon sort, je vous l’affirme sincèrement. Mes patrons m’honorent de leur estime et de leur confiance ; ils sont très aimables pour moi. Depuis quatre ans que je suis dans ce bureau, je suis en quelque sorte de la famille. Je commence mon travail à neuf heures et demie le matin, je termine à cinq heures le soir, j’ai une heure et demie pour prendre mon dîner ; le samedi, les bureaux sont fermés à une heure de l’après-midi et, bon an, mal an, je reçois vingt-cinq piastres par semaine, c’est amplement pour mes besoins.

— Et où demeures-tu ? Es-tu encore au Foyer ?

— Toujours au Foyer, depuis quatre ans.

— Tu t’y plais ?

— C’est un peu comme au bureau, après quatre ans, je me sens de la famille. D’ailleurs, nous sommes une cinquantaine de jeunes filles dans cette institution, nous faisons du chant, de la musique, quelques fois nous allons au théâtre ; c’est un feu roulant de plaisir et de gaité. Mais vous, Marraine, demeurez-vous continuellement seule ici ?

— Seule avec mes souvenirs, mes fleurs, mes livres et mon chien…

— Même l’hiver ?

— Pourquoi pas ?

— Mais votre vie doit être terriblement triste et monotone ?

— Bah ! c’est une affaire d’habitude, et moi j’ai été habituée à la solitude dès mon enfance. Je ne dis pas que quelques soirs d’hiver les veillées ne me paraissent pas très longues, surtout quand, au dehors, la neige et le vent viennent déferler sur la côte ; mais alors je m’absorbe dans la lecture de quelques livres intéressants ; un roman par exemple. Je me fais une vie factice de celle des personnages du livre et je ne me sens plus seule. Peut-être que, si j’avais grandi comme toi, élevée au milieu des foules, si j’avais vécu dans un monde plus… comment dirais-je… mondain, peut-être, dis-je, trouverais-je mon existence bien souvent pesante et ennuyeuse ; mais je ne suis jamais sortie de chez moi et n’ai encore eu d’autre ami que mon pauvre père. La solitude c’est une affaire d’habitude, te dis-je, d’habitude et d’éducation.

— Et vous n’avez jamais songé à vous marier, à fonder un foyer ?

— Qui n’a pas eu ses rêves dans la vie ? J’avoue que jadis, quand j’étais à l’âge des grandes folies, à force d’étudier la nature et ses mystères, je me suis quelques fois révoltée ; bien souvent je me suis demandée si je n’avais pas le droit d’aimer comme la plus humble fleur, comme le moindre insecte. Alors, je rentrais auprès de mon père étendu sur un lit de douleurs, je contemplais sa chère figure immobilisée par le mal, ses membres impuissants à se mouvoir, je me rappelais les bontés infimes qu’il avait eues pour moi, l’affection dont il avait entouré mes premiers pas dans la vie : je me répétais que ce cher papa serait affligé de me voir partager mon cœur, qu’il était jaloux de mon affection, je refoulais ma jeunesse trop exubérante et, insensiblement, je me suis habituée à devenir vieille fille.

— Je comprends que tant que votre père a vécu, vous ne pouviez l’abandonner ; mais depuis sa mort, durant ces cinq années où vous avez été seule et libre…

— Il était déjà trop tard, le chemin était tracé, il me fallait le suivre. Vois-tu, ma petite Yo, la vie est comme ces nombreux convois qui laissent à chaque instant la gare Bonaventure, par exemple. Le point de départ est le même, mais la destination est différente. Malheur à celui qui se trompe de convoi ; s’il veut aller à Portland et prend le rapide d’Halifax, les amis qui attendent sa venue se rendront en vain à la gare pour saluer son arrivée. C’est mon cas, j’ai été celle que la fatalité a poussée à prendre le mauvais convoi.

— On vous attendait à Québec…

— Et j’ai pris le train de New York, le rapide vers la vieillesse…

— Mais on peut toujours revenir sur ses pas, marraine.

— Crois-tu, petite, que la patience humaine soit aussi grande que l’on s’obstine indéfiniment à attendre une voyageuse si en retard ? Et puis, dans mon cas, y eut-il jamais un ami à la gare ? D’ailleurs, pourquoi parler de ces choses, je suis maintenant une vieille fille, maniaque…

— Vous une vieille fille ?… Mais vous n’avez pas encore trente ans !

— On a l’âge que l’on paraît avoir.

— De nos jours, marraine, il y a tant de gens qui s’appliquent à ne pas laisser paraître l’âge qu’ils ont… Et si vous aviez un brin de coquetterie… Mais j’ai terminé mon dîner et si vous le permettez, nous allons faire le tour de la propriété ?

— Un moment encore, j’aurais un conseil à te demander.

— Un conseil ? à moi ? Mais je ne suis pas avocat, et si je copie des procédures et écris des lettres d’avocat, je vous assure que je n’entends rien aux grimoires de la loi.

— Cela t’ennuierait ?

— Mais pas du tout, marraine chérie, si cela vous fait plaisir. Un moment que je prenne l’attitude solennelle de M. Beaupartant, aîné, quand une cliente de marque vient lui confier ses intérêts. La taille bien cambrée, les jambes croisées l’une sur l’autre, la figure sévère, le binocle dans la main gauche, dont il joue distraitement pendant que la dame cause, — je n’ai pas de binocle, je vais prendre ma fourchette… Allez-y, marraine, racontez-moi votre affaire.

— Imagine-toi ma petite Yo, que l’on veut m’intenter un procès ! Et Mlle Perrin refit le récit de l’incident Fidèle-Hainault sans en oublier le moindre détail.

— Voici la lettre que ce Monsieur Hainault m’a fait envoyer. Dis-moi ce que tu en penses.

— Jean Dupras ! Jean Dupras vous a envoyé une lettre ? Oh ! mais en voilà une bonne. Mais, oui, c’est bien sa signature. Vous ne savez pas cousine comme je trouve cela drôle !

— Le connais-tu ?

— Si je connais Jean… mais, cousine de mon cœur. Jean Dupras est l’ancien clerc de notre bureau ! Il est même quelque chose de plus que cela pour moi ; mais laissez-moi lire sa lettre, me délecter un peu de l’harmonie de son style de parfait disciple de la basoche :

« J’ai reçu instruction…

Votre tout dévoué, Jean Dupras, avocat »

Mon Dieu, marraine, que c’est comique. Pauvre Jean, il n’est pas fort en rédaction et moi qui vous parle, j’aurais pu faire beaucoup mieux. Il y a surtout ce souci des honoraires. Y tient-il assez à ses cinq piastres ! Vous ne sauriez croire comme je trouve la farce bonne et je voudrais que vous soyez témoin de son embarras quand je lui dirai que vous êtes ma cousine.

— Tu le connais si bien que cela ? Alors tu pourrais peut-être le voir et essayer de le dissuader de procéder.

— Je vous ai dit que Jean Dupras était l’ancien clerc de notre bureau ; mais il y a plus, il est le prétendant acharné à la petite main que voici… Depuis les trois ans qu’il était à notre bureau il m’a chanté sa flamme en de longues épitres dithyrambiques et comme je semblais insensible à sa prose il a enfourché Pégase et j’ai chez moi quelques milliers de vers en l’honneur de ma petite personne. Il a été admis à la pratique en janvier dernier et alors, enhardi par sa nouvelle dignité, il est venu me demander un entretien sérieux. Si vous aviez vu, marraine, comme il était drôle ! À la fois timide et fat, tout glorieux de son nouveau titre et des prérogatives qu’il lui accordait, mais aussi, tremblant de ne pas voir sa démarche couronnée de succès. Je ne lui ai pas laissé le temps d’aborder la grande question que je sentais sur ses lèvres : « Mon petit Jean, » lui dis-je, « inutile de parler, je sais que vous venez me répéter en prose et de vive voix ce que vous avez déjà tenté de me dire dans le langage des dieux. Je suis très heureuse de votre succès, oh ! mais très, très heureuse et je vous en félicite. Vous avez toujours été pour moi un très gentil compagnon, je vous estime beaucoup, je crois même que je vous aime ; mais je n’en suis pas encore certaine. De votre côté vous alliez me dire que vous m’aimiez aussi. En êtes-vous bien certain vous-même ? Ce que vous prenez pour de l’amour, n’est-ce-pas simplement une bonne camaraderie, résultat de notre communauté de travail ?

— Vous savez bien…

— Je ne sais rien du tout, savant maître, je ne sais rien et comme je suis orpheline, je dois être d’autant plus prudente que je n’aurai personne à qui demander conseil. Vous avez vingt-trois ans, je n’en ai pas encore vingt, rien ne presse, nous ne devons pas agir à la légère. D’ailleurs, vous avez votre clientèle à faire et, pour cette tâche, vous avez besoin de toute votre liberté.

— Alors ?…

— Alors, je vais vous proposer un marché : nous allons demeurer une année complète sans nous voir, une année durant laquelle nous aurons notre pleine liberté. Si, dans un an de ce jour, — c’était le quinze janvier, — vos sentiments ne sont pas changés envers moi, vous viendrez me le dire et je vous promets qu’alors, de mon côté, je vous dirai franchement si, réellement, je vous aime ; cette année d’éloignement m’aura fait voir clair en mon propre cœur.

— Pourquoi un an ?

Pour que nous soyons bien certains de nos cœurs, mon cher Jean, et aussi pour que vous ayiez le temps de commencer votre pratique. Je veux savoir un peu comment vous réussirez.

— Ah ! il vous faut le succès aussi ?

— Pas précisément le succès ; mais de solides promesses d’avenir.

— Nous nous écrirons, au moins, durant cette année ?

— Défense absolue de m’écrire durant ces douze mois, défense de tenter de me rencontrer. Quant à moi, je ne veux seulement pas savoir l’endroit vous irez vous établir. Mais après une année de travail consciencieux, revenez me voir, si le cœur vous en dit encore. Est-ce compris ? Acceptez-vous ?

— J’accepte. Je serai ici dans un an et, d’ici cette date, j’aurai tellement travaillé que vous ne resterez pas insensible. » Depuis je ne l’ai pas revu, je n’ai même jamais entendu prononcer son nom devant moi et je suis la personne la plus surprise de le trouver ici.

— Chercheras-tu à le rencontrer ?

— Il le faudra bien, marraine, pour vous obliger.

— Yolande, tu es amoureuse.

— Oui ! mais il ne faut pas qu’il le sache.

— Petite sournoise.

— Oh ! les hommes, il faut savoir les prendre ; c’est le premier coup de gouvernail qui compte… Allons voir vos fleurs.

Précédée de Mlle Perrin, Yolande visita le jardin, s’émerveillant devant les belles roses qui commençaient à s’épanouir, les œillets déjà fleuris, les pivoines étalant leurs pétales veloutés, les alyssons plus humbles, les balsamines aux centaines de variétés. La jeune fille dévasta un beau rosier de fleurs rouges, pilla un carré d’œillets et fit main basse sur un massif de pivoines. Les belles fleurs s’amoncelaient dans ses bras roses, elle respirait leurs parfums avec ivresse, cachant dans les touffes parfumées son joli visage rieur. Et Mlle Perrin, d’habitude si jalouse de son jardin, semblait heureuse devant cette débauche de fleurs et cherchait elle-même les plus éclatantes pour les offrir à sa filleule.

La moisson terminée, la jeune fille courut vers la maison les déposer dans des vases et, en un instant, la vieille demeure prit un aspect de jeunesse inaccoutumé.

La visite au jardin terminée, on visita le bosquet, la grève, la maison elle-même et, enfin, après une bonne promenade en canot et un joyeux souper, l’on se retira pour la nuit.

— Quand as-tu l’intention de faire la démarche que je t’ai demandée ? s’enquit Mlle Perrin avant de souhaiter bonne nuit à sa filleule.

— Si je n’écoutais que mon cœur, ce serait dès demain ; mais j’ai besoin auparavant de quelques jours de réflexion… et puis, il ne faut pas sembler courir après lui, ce petit Monsieur, cela lui donnerait trop d’orgueil ; il n’est pas mal qu’il sache que j’ai passé quelques jours ici avant de le rencontrer.

— Mais tu es cynique !

— Je suis diplomate… et heureuse. Si vous saviez comme il m’aime, mon Jean !

— Tu fais bien, profite de ta jeunesse, ma chérie, l’amour est comme ces jolies petites fleurs de muguet, si délicieuses, si parfumées ; mais qui ne durent que quelques jours du printemps.

— Et vous, Marraine, vous croyez-vous donc à l’automne ?

— Je crois que tu es heureuse et cela me suffit.

— Pourquoi ne le seriez-vous pas de même ?… Si seulement vous vous laissiez conduire par moi… Un mois à mon école et…

— Tu es folle, ma petite chérie. Allons, bonsoir !

Mais Yolande ne s’endormit pas après le départ de sa cousine, elle demeura une longue heure accoudée à la fenêtre de sa chambre, regardant l’eau faire cascade sur la digue et retomber en un neigeux tourbillon. À quoi songeait-elle ? Songeait-elle seulement.