Michel Lévy Frères (p. 196-205).

xii

CAREGGI.

Quelque envie que j’eusse de redescendre de Fiesole par cette belle route que j’avais prise pour y monter, force me fut de me contenter de l’ancien chemin. Je voulais voir la sainte pierre sanctifiée par le martyre de saint Romuald et de ses compagnons ; la fameuse villa Mozzi, où devaient être assassinés Laurent et Julien, si tous deux eussent accepté le dîner qu’on leur y offrait ; les sources de Boccace, qui ne coulent plus, je ne sais sous quel prétexte ; et enfin les fontaines de Baccio Bandinelli qui coulent si peu que ce n’est pas la peine d’en parler. Ce fut pendant qu’il sculptait, en face de l’auberge des Trois-Pucelles qui existe encore, ces deux têtes de lion, que Benvenuto Cellini vint à Panco, et lui fit par ses menaces une si grande peur, qu’il fallut lui donner une garde pour qu’il se décidât à les continuer.

Devant l’église Saint-Dominique nous trouvâmes notre voiture, qui était tranquillement descendue par la route de la Noblesse, et qui nous attendait à l’ombre du porche. En un instant nous fûmes à la villa Palmieri, charmante habitation qu’une tradition populaire désigne comme celle où Boccace se retira pendant la peste de Florence, avec cette délicieuse suite de beaux seigneurs et de gentilles femmes qu’il avait rencontrés dans l’église de Santa-Maria-Novella, à Florence, et qui tour à tour, sous de beaux et frais ombrages, racontent les graveleuses nouvelles du Décaméron.

Je dis qu’une tradition populaire indique cette maison comme la retraite de Boccace, attendu que je ne veux pas prendre sur moi la responsabilité d’une affirmation ; on l’avait cru, c’est vrai, et cette croyance donnait du pittoresque à la villa Palmieri, déjà fort jolie sans cela. Mais cette tradition a mis martel en tête aux savans florentins ; ils ont fouillé les bibliothèques, compulsé les registres, grignoté les manuscrits, et ils ont fini par découvrir que Boccace n’était pas en Toscane à l’époque de la peste : Boccace était à Rome, dit l’un, et à Venise, dit l’autre. Il est vrai que Boccace dit positivement qu’il était à Florence ; mais, selon toute probabilité, c’est Boccace qui se trompe, et ce sont les savans qui ont raison. Ne croyez donc pas ceux qui vous diront que la villa Palmieri est la villa du Décaméron.

Décidément c’est une race bien poétique que celle des savans.

Au moins sur Careggi il n’y a pas de doute. C’est bien là que sont morts Cosme le Vieux et Laurent le Magnifique ; c’est bien là qu’a été élevé Léon X : aussi on peut visiter la villa Careggi de confiance, d’autant plus qu’il y a des étiquettes dans les chambres.

Careggi fut bâti par Cosme le Vieux sur les dessins de Michellozzo Michellozzi : il y avait alors par toute l’Italie une recrudescence classique, une rage de latin et de grec, et une hydrophobie de littérature nationale. Dante était proscrit une seconde fois ; c’était le sort de ce grand roi d’être tantôt régnant, tantôt exilé.

Les Grecs venus de Constantinople et les statues tirées des fouilles romaines avaient opéré ce miracle : puis les mœurs se corrompaient petit à petit ; la morale de la mythologie était plus commode que celle de l’Évangile, et les aventures de Léda, l’enlèvement d’Europe, la séduction de Danaé, peints sur les murs d’une chambre à coucher, étaient de moins sévères témoins de ce qui s’y passait, que la Madone au pied de la croix, ou le repentir de la Madeleine.

Le vieux Cosme destina donc Careggi à devenir l’asile de tous les savans proscrits qui chercheraient un toit et du pain. Au contraire de cet âpre escalier de l’exil dont parle Dante, celui qu’il étendit vers eux tut d’un accès facile et doux ; et Cosme mourut chargé d’ans et de bénédictions, après avoir donné à la peinture et à l’architecture l’impulsion païenne qui a changé le caractère de l’une et de l’autre, et qui les a faites toutes deux magnifiquement copistes au lieu d’être saintement originales.

Laurent hérita des richesses et du goût de son père ; bien plus, Laurent renchérit encore sur l’amour de l’antiquité : Laurent fit de jolis petits vers païens que ne se serait jamais permis le sévère arithméticien de la Via Larga ; Laurent rassembla autour de lui tous les hellénistes et tous les latinistes de l’époque, les Ermolao Barbaro, les Ange Politien, les Pic de La Mirandole, les Marsilio Ficino, les Michele Mercati ; Laurent enfin rétablit à la villa Careggi les séances du jardin d’Acadème ; et un de ces académiciens ayant découvert que, le 17 novembre de chaque année, les disciples de Platon célébraient à Athènes la naissance de ce grand philosophe, il institua un pareil anniversaire, qui fut célébré chaque année à la villa Careggi, à grand renfort de lampions, de musiciens et de discussions philosophiques.

Ces discussions roulaient plus particulièrement sur l’immortalité de l’âme, cet éternel objet de discussion ; et ceux qui s’enfonçaient le plus avant dans cet abîme psychologique étaient presque toujours Marsilio Ficino et Michele Mercati ; si bien qu’un jour, désespérant de rien apprendre de certain sur un pareil sujet tant qu’ils seraient vivans, ils se firent la promesse positive que le premier des deux qui mourrait viendrait donner à l’autre des nouvelles de son âme. Ce point convenu, les amis furent plus tranquilles.

Mais celui qui devait le premier approfondir ce grand mystère était Laurent le Magnifique lui-même. Un matin, il se sentit tout à coup fort indisposé d’une forte fièvre combinée avec une attaque de goutte ; il était alors en son palais de Via Larga : il partit aussitôt pour sa belle villa de Careggi, emmenant avec lui un médecin fort en réputation qu’on appelait Pierre Leoni, de Spolète.

Celui-ci vit tout une fortune à faire dans la cure du Magnifique. Il déclara que le malade était atteint d’une indisposition toute particulière, qui devait se traiter avec des infusions de perles et des décompositions de pierres précieuses. On ouvrit à l’empirique les trésors de Laurent, il y puisa à pleines mains, ce qui n’empêcha point Laurent d’aller de plus mal en plus mal ; ce que voyant le Magnifique, il commença à oublier l’Olympe, les douze grands dieux, Platon, Zénon et Aristote, pour se faire lire l’Évangile et penser quelque peu à son salut.

Mais tout en faisant de petits vers au fleuve Ombrone, tout en commandant des statues à Michel-Ange, tout en donnant des fêtes à Platon, Laurent le Magnifique avait fait ou laissé faire une foule de petites choses qui ne laissaient pas que de lui charger la conscience, si bien qu’au moment de mourir, il pensa à un saint homme qu’il avait fort oublié pendant sa vie, ou auquel il n’avait pensé que pour en rire avec les esprits forts qui l’entouraient. Cet homme était le dominicain Jérôme Savonarole.

Or, Laurent hésita longtemps à l’envoyer chercher, car, à cet homme surtout, il lui coûtait de se confesser. Nos lecteurs le connaissent déjà : c’était, politiquement, un républicain sévère, qui eût voulu ramener Florence aux mœurs du douzième siècle ; c’était, religieusement, un moine ascétique qui, passant sa vie dans le jeûne et dans la prière, ne promettait pas d’être plus tendre pour les autres qu’il ne l’était pour lui-même. Du fond de son cloître il avait suivi Laurent dans la double corruption artistique et sociale qu’il avait exercée sur Florence, et du fond de son génie il voyait dans l’avenir l’Italie conquise et Florence asservie. Voilà l’homme qu’au moment de mourir envoyait chercher Laurent.

Le moine arriva grave et sombre, car il pensait bien qu’il allait se passer entre lui et Laurent une de ces scènes d’où dépendent non-seulement la perte ou le salut d’une âme, mais encore l’esclavage ou la liberté d’une nation. Laurent tressaillit au bruit de ses sandales, puis fit passer dans l’appartement à côté du sien, c’est-à-dire dans la chambre où était mort son père Cosme le Vieux, Politien et Pic de la Mirandole, qui causaient au chevet de son lit. À peine furent-ils sortis par une porte, que l’autre porte s’ouvrit et que le moine entra.

Savonarole s’approcha du lit du moribond, fixant sur lui son regard perçant ; et dans ce regard, Laurent lut comme dans un livre tout ce qui se passait dans le cœur du moine.

— Mon père, dit-il, je vous ai envoyé chercher, ayant été touché de la grâce du Seigneur, et ne voulant recevoir l’absolution que de vous.

— Je ne suis qu’un pauvre moine, répondit Savonarole, mais c’est à un plus pauvre que moi encore que le Seigneur a dit : Ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel.

— Je puis donc espérer que le ciel me pardonnera, mon père ? demanda Laurent.

— Oui, le ciel te pardonnera, dit le moine ; oui, je me fais garant de sa miséricorde, dit le prophète ; mais à trois conditions, entends-tu bien, Laurent ?

— Et ces trois conditions, quelles sont-elles ? demanda le moribond.

— La première, c’est que tu feras profession de foi avant que de mourir.

— Oh ! cela bien volontiers, mon père, s’écria Laurent, et soyez témoin et garant que je meurs dans la foi catholique, apostolique et romaine.

— La seconde, continua Savonarole, c’est que tu rendras tout le bien que, dans les banques et dans tes usures, tu auras injustement gagné ou retenu. Laurent hésita quelques minutes ; puis, faisant un effort sur lui-même :

— Eh bien ! dit-il, il sera fait comme vous le désirez, mon père ; je n’aurai pas le temps de faire cette restitution moi-même, mais je donnerai l’ordre qu’elle soit faite après moi.

— La troisième, reprit l’enthousiaste, la troisième, c’est que tu rendras la liberté à Florence, et que tu remettras la république dans le même état d’indépendance où ton père l’a prise.

Il se fit une contraction terrible sur la figure du mourant ; puis enfin, surmontant toute crainte :

— Jamais, s’écria Laurent, jamais ! il en sera de mon âme ce que Dieu ordonnera, mais je ne détruirai pas d’un mot l’œuvre de trois générations ; les Médicis seront ducs de Florence.

— C’est bien, dit le prophète, je savais d’avance ce que tu me répondrais ; c’est bien, meurs damné, et que les choses résolues dans la sagesse du Seigneur s’accomplissent en la terre comme au ciel.

Et il sortit sans ajouter un mot à sa menace, et sans que de son côté Laurent fit un geste pour le rappeler.

Lorsque Politien et Pic de La Mirandole rentrèrent dans la chambre du moribond, ils le trouvèrent tenant entre ses bras un Christ richement sculpté qu’il venait d’arracher de la muraille, et dont il baisait les pieds avec les étreintes puissantes de l’agonie.

Deux heures après, Laurent était mort, sans qu’il eût fait autre chose que de prier, depuis le moment où Savonarole l’avait quitté, jusqu’au moment où il avait rendu le dernier soupir.

Un assassinat singulier suivit cette mort. Nous avons dit que Laurent avait pour médecin un certain Leoni de Spolète. À peine le bruit que Laurent venait d’expirer se fut-il répandu, que le médecin, craignant qu’on ne lui fit quelque mauvais parti, essaya de s’enfuir ; mais déjà de terribles soupçons s’étaient répandus sur lui, et sur un mot de Pierre de Médicis, fils de Laurent, les serviteurs du Magnifique se jetèrent sur ce malheureux et le précipitèrent dans un puits.

La mort de Laurent fut un signal de deuil pour toute l’Italie. Machiavel, qu’on n’accusera pas d’enthousiasme pour les puissans de ce monde, la regarde comme le signal des malheurs qui devaient fondre non-seulement sur Florence, mais sur la Péninsule toute entière, et, comme Virgile au temps de César, raconte les prodiges qui l’accompagnèrent.

Un de ces prodiges, le plus miraculeux de tous, est sans contredit celui que nous allons dire, et qui est constaté par le récit des témoins oculaires, et par une date antérieure aux événemens qu’il prédisait.

Laurent avait pour familier de sa maison un certain Cardiere, musicien et improvisateur, qu’il faisait ordinairement venir le soir quand il était couché, et qui le distrayait en chantant sur son luth. Cet homme avait ses entrées à toute heure près du Magnifique ; mais depuis que la maladie de Laurent avait pris un caractère sérieux, on avait éloigné de lui cet homme que l’on regardait comme un bouffon. La nuit qui suivit la mort de Laurent, Cardiere était couché, lorsqu’il entendit ouvrir la porte de sa chambre, qu’il vit venir à lui un spectre qu’il reconnut pour celui de Laurent ; il était vêtu de noir, avait le visage triste et un manteau déchiré. Cardiere, frappé de terreur, ouvrit la bouche pour appeler ; mais le spectre lui fit signe de se taire, et d’une voix lente et sourde, que cependant le musicien reconnut bien pour être celle de son maître, il lui ordonna d’aller prévenir Pierre, son fils, que de grands malheurs le menaçaient lui et sa famille, et qu’entr’autres malheurs il devait se préparer à un prochain exil ; puis, cette recommandation achevée, le spectre s’évanouit sans que Cardiere pût voir par où il avait disparu.

Le pauvre improvisateur se trouvait dans une singulière position ; il connaissait Pierre pour un jeune homme d’un caractère brutal et emporté qui, s’il prenait mal l’avis, pouvait l’envoyer rejoindre Leoni de Spolète. Or, ayant tout bien pesé, et ayant reconnu qu’il avait encore plus peur du vivant que du mort, du moins il résolut, jusqu’à nouvel ordre, de garder l’avis pour lui seul. D’ailleurs, au bout de quelques jours, en y mettant de la bonne volonté, Cardiere était parvenu à se faire accroire à lui-même qu’il avait été dupe de quelque erreur des sens, et que la prétendue apparition n’avait jamais existé que dans son esprit.

Mais Cardiere ne devait pas en être quitte ainsi : une nuit, sa porte s’ouvrit de nouveau, le même spectre s’avança de son pas muet, puis de la même voix lente et sombre, mais avec le feu de la colère dans les yeux, il lui répéta la même prédiction et lui renouvela le même ordre. Mais cette fois, et pour que l’improvisateur ne prît pas ce qu’il voyait pour un jeu de son imagination, le spectre ajouta à la recommandation un vigoureux soufflet ; après quoi, comme la première fois, le spectre sembla se dissoudre et disparut en fumée.

Cette fois, Cardiere résolut de ne plus plaisanter avec son ancien patron : il passa la nuit en prières, et, le jour venu, il courut chez Michel-Ange Buonarotti, qui était encore à cette époque un jeune homme de dix-sept ans ; et, comme il savait que Laurent avait en une grande amitié pour lui, et que lui, de son côté, conservait une grande reconnaissance à Laurent, il lui raconta ce qui s’était passé. Michel-Ange lui donna le conseil d’aller tout dire à Pierre de Médicis.

Cardiere était à Florence ; il sortit aussitôt de la ville et prit la route de la villa Careggi. À moitié chemin, il vit venir une troupe de cavaliers, se composant de belles dames et de jeunes seigneurs, au milieu desquels il reconnut Pierre de Médicis. Alors il s’avança vers le jeune homme, lui disant que, s’il voulait bien rester un instant à l’écart avec lui, il avait des choses de la plus haute importance à lui communiquer. Mais Pierre de Médicis, croyant que c’était pour le prier de le conserver près de lui au même titre et aux mêmes conditions qu’il était chez son père, lui dit de parler tout haut, attendu qu’il n’avait pas de secrets pour l’honorable compagnie avec laquelle il se trouvait. Cardiere insista alors avec tout le respect possible ; mais comme il vit que le rouge montait au visage de Pierre, et que celui ci lui ordonnait impérativement de dire tout haut ce qu’il avait à dire, alors il n’hésita point davantage, et raconta les deux apparitions telles qu’elles s’étaient passées, ainsi que les prophéties du spectre. Mais ces prophéties n’eurent d’autre résultat que de faire rire aux éclats Pierre et sa suite ; et Bernardo Dovizio, qui fut depuis le cardinal Bibbiena, pensant que toute cette histoire n’était qu’une invention de Cardiere pour se donner de l’importance, lui demanda comment il se faisait que Laurent, au lieu d’apparaître directement à son fils, avait été choisir pour son intermédiaire un misérable joueur de luth comme lui. Cardiere répondit que la chose était trop inexplicable pour qu’il essayât même de lui chercher une explication ; qu’il avait dit la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et que c’était à Pierre à croire ou à ne pas croire, et dans l’un ou l’autre cas à agir comme bon lui semblerait.

Pierre de Médicis continua son chemin, en disant à Cardiere qu’il le remerciait de sa peine, et qu’il prendrait en considération un avis qui lui venait par un si recommandable ambassadeur.

Mais, comme on le comprend bien, Pierre de Médicis avait oublié dès le même soir, dans une de ces orgies qui lui étaient si habituelles, la recommandation et celui qui la lui avait faite.

Quatre ans après, la prédiction du Magnifique s’accomplit : Charles VIII traversa les Alpes, et Pierre de Médicis et sa famille furent chassés de Florence, où ils ne rentrèrent que dans la personne du duc Alexandre.

Mais ce n’est pas tout ; puisque nous en sommes aux revenans, reprenons l’histoire de Michele Mercati et de Marsilio Ficino où nous l’avons laissée.

Les deux amis, on se le rappelle, après une longue et profonde discussion sur l’immortalité de l’âme, s’étaient promis que le premier qui mourrait viendrait donner à l’autre des nouvelles de la mort. Ce fut Marsilio Ficino qui paya le premier le tribut de l’humanité ; il trépassa en 99 à la villa Careggi, où il avait coutume de demeurer même après la mort de Laurent.

Pendant ce temps, Michele Mercati était à San-Miniato-al-Monte, où il achevait un travail dont il était occupé depuis trois ans.

Or, le soir même de la mort de Marsilio Ficino, comme à la lueur d’une lampe il veillait courbé sur son manuscrit, il entendit le galop d’un cheval qui allait sans cesse se rapprochant. Arrivé devant la maison qu’il habitait, le galop s’arrêta, puis il entendit le bruit de trois coups frappés à intervalles égaux par le marteau de la porte ; et malgré lui, à ce bruit inattendu, il tressaillit de tout son corps.

Alors, comme il était tout ému de crainte sans savoir d’où lui venait cette émotion, il alla ouvrir sa fenêtre, et vit à la porte un cavalier arrêté : il était monté sur un cheval blanc, était drapé dans un linceul comme dans un manteau, et tenait la tête levée, attendant que Michele Mercati ouvrit la fenêtre.

Dès que la fenêtre fut ouverte, le cavalier cria trois fois : Elle est ! elle est ! elle est ! puis il repartit au galop et disparut au bout de la rue opposé à celui par lequel il était venu.

C’était l’esprit de Marsilio Ficino qui venait s’acquitter de sa promesse, et annoncer à Michele Mercati que son âme était immortelle.

Aujourd’hui, quoique distraite du domaine de la couronne et appartenant à un simple particulier, monsieur Orsi, la villa bâtie par Cosme l’Ancien, la maison favorite de Laurent le Magnifique, l’Académie platonicienne du quinzième siècle, est conservée avec un religieux respect dans son ancienne distribution. À gauche en entrant, sous l’impluvium, que dans son amour pour l’antiquité Cosme avait fait bâtir tout autour de la cour intérieure, est le puits où se précipita, ou plutôt où fut précipité le malheureux Leoni de Spolète. Au premier étage, à droite du grand salon, est la chambre où, après la scène que nous avons racontée entre lui et Savonarole, expira Laurent le Magnifique ; la chambre qui suit est celle où mourut son grand-père Cosme le Vieux ; enfin la terrasse entourée de colonnes et au plafond peint à fresques dans le goût des loges Vaticanes, est la même où se rassemblait l’Académie platonicienne, et où l’hôte splendide du lieu célébrait, entouré de Politien, de Pic de la Mirandole, d’Ermolao Barbare, de Michele Mercati et de Marsilio Ficino, l’anniversaire de la naissance du philosophe dont ils avaient fait leur Dieu.

À l’entrée du jardin sont deux statues de nains, dont les originaux étaient sans doute, avec le joueur de luth Cardiere, destinés à distraire la docte assemblée ; l’un est monté sur un limaçon, l’autre chevauche sur un hibou ; tous deux sont hideux à voir, avec leur grosse tête rattachée à leur petit corps par un cou qui semble n’avoir pas la force de la porter.

Le jardin, avec ses allées en mosaïques qui représentent une chasse, de temps en temps interrompues par des écussons chargés des boules rouges des Médicis, a conservé son classique dessin et sa forme académique. À son extrémité, sont deux bosquets de lauriers touffus, dans l’épaisseur desquels on a pratiqué des espèces de salles de verdure, rafraîchies par des fontaines : il est vrai que dans les grandes chaleurs de l’été les malheureuses naïades subissent la loi commune aux déesses des eaux étruriennes, leurs sources se dessèchent, et elles n’ont plus d’eau que celle dont le jardinier les gratifie à grand renfort de seaux et d’arrosoirs.

Ce jardinier, qui porte le nom bucolique de Nicoletto, est un descendant du jardinier de Laurent de Médicis.

La villa de Careggi, toute meublée, avec ses riches souvenirs, une vue magnifique qui domine Florence, et un air toujours frais, même au milieu de l’été, se loue cent sequins c’est-à-dire onze à douze cents francs par an.