La Vie véritable du citoyen Jean Rossignol/23

CHAPITRE XXIII

Les représentants à Saumur. — Mon différend avec Philippeaux. — En tournée d’inspection. — Scène violente à Chantonnay. — Ils croyaient me donner un brevet de jeanfoutre. — Sur le grand chemin. À coups d’arrêtés. — «  La grande destitution du général Rossignol.  » — À la Convention. — Je suis acclamé.

C’était du temps que l’armée de Mayence arrivait dans la Vendée[1]. Les représentants du peuple à l’armée de Brest se rendirent à Saumur. J’écrivis une circulaire à tous les généraux, les convoquant en conseil de guerre. Le représentant Philippeaux vint le premier à Saumur et me demanda si l’on pouvait passer à Nantes un bataillon de bonnes troupes. Je lui dis que, sans délai, le bataillon qu’il jugeait nécessaire était à sa disposition. Deux jours après, il m’en demanda deux autres et je lui fis observer que ce serait dégarnir beaucoup la ligne qui était établie. — Vous voulez laisser prendre Nantes, me dit-il. — J’insistai pour lui démontrer qu’avec peu de troupes de ligne et les citoyens de Nantes il avait pu résister fortement à l’attaque faite par les Brigands, et les avait battus, que cette ville avait été depuis renforcée de trois bataillons, et que celui qui était en route faisait quatre… Après bien des propos inutiles, il s’en fut en colère, et sans tarder il fit paraître une brochure contre moi qui ne tendait qu’à jeter un louche terrible sur ma conduite. Je fis part de mes inquiétudes aux représentants Richard, Choudieu et Bourbotte, qui prouvèrent à Philippeaux combien sa diatribe était inconséquente. Un soir je rencontrai celui-ci et je lui montrai son imprimé : notre entretien fut chaud. Je lui dis : Laissez arriver l’armée de Mayence, je vous promets de vous faire passer les forces que vous jugerez à propos, mais pour le présent ce serait dégarnir une ligne pour en garnir une autre, ce serait par conséquent une opération militaire critiquable avec raison[2].

Je partis pour faire ma tournée du côté des Sables, Niort, Fontenay-le-Peuple, etc[3]. J’étais accompagné du représentant Bourbotte. Je visitai toutes les colonnes qui étaient sous mes ordres  ; je parlai à tous les généraux le langage républicain, en leur disant qu’il fallait que toute vengeance personnelle cessât, qu’il ne fallait voir que l’intérêt général.

J’observe qu’avant de quitter Niort Goupilleau de Montaigu vint me demander si j’avais le dessein de faire exécuter les décrets du 1er août concernant la Vendée. Je lui dis qu’en ce moment les décrets avaient force de lois et que mon intention était de les mettre à exécution. Son collègue Bourbotte lui demanda s’il voulait dîner avec nous : il refusa. J’ai su qu’il était parti le jour même à franc étrier pour la Châtaigneraie[4] où étaient Goupilleau de Fontenay et Bourdon de l’Oise. J’ignore leur conversation, mais il sera facile d’en juger.

Le lendemain, sur le midi, j’arrivai à la Châtaigneraie, accompagné de Bourbotte, de Moulin, actuellement général en chef, de Hazard, qui a été par la suite chef de l’état-major de l’armée des côtes de Brest, de Momoro et du nommé Grammont, qui a été depuis chef de l’armée révolutionnaire à Paris.

À deux lieues de distance, j’avais envoyé une ordonnance aux représentants Bourdon de l’Oise et Goupilleau de Fontenay, les avertissant de mon arrivée, ainsi que le général Tuncq. Nous étions à la Châtaigneraie peu après l’ordonnance. J’entrai dans la chambre des représentants, et ce fut à ce moment que j’entendis Bourdon de l’Oise crier par la fenêtre : « Que l’on me fusille cette ordonnance-là ! » mais d’abord je ne crus pas qu’il était question de l’homme que j’avais envoyé en avant. Le général Tuncq sortait de la chambre et comme je lui disais que je venais communiquer avec lui sur la position de l’armée, il me répondit qu’il allait remonter. Je souhaitai le bonjour aux représentants et mis mon sabre sur le lit. Goupilleau de Fontenay me demanda ce que je venais faire. Je lui répondis que mon grade me permettait de parcourir toutes les colonnes qui se trouvaient sous mon commandement, et que je venais me concerter avec eux sur les moyens de mettre à exécution les décrets du 1er août. Aussitôt Goupilleau de Fontenay tira un papier de sa poche[5] c’était ma destitution, et me dit : Lisez, vous n’êtes plus rien ! je lus et je lui dis : Puisque je ne suis plus rien, je n’ai plus rien à faire ici. Je repris mon sabre et sortis en les saluant de ces mots : Vous croyez m’avoir donné un brevet de jeanfoutre, ce sera un brevet d’honneur de plus… et je descendis les escaliers.

Je rencontrai le général Tuncq sur la porte et je lui dis : Je présume qu’on va faire fusiller le hussard d’ordonnance qui m’annonçait… ce n’est point sa faute : il n’a fait qu’exécuter mes ordres. Et je l’invitai à ne point se charger de cette barbarie. Tuncq me répondit que, sur ma réclamation, le hussard ne serait pas fusillé[6]. J’ignore ce qui s’est passé, mais j’atteste que j’ai entendu Bourdon de l’Oise donner, par deux fois, l’ordre d’exécution, au moment où j’entrais dans la chambre.

Je laissai le citoyen Bourbotte avec ses collègues ; pour moi, je partis sur-le-champ.

J’arrivai à deux lieues de Fontenay-le-Peuple, vers les deux heures du matin, en plein pays insurgé et sans ordonnance. Je ne fus cependant pas attaqué. Tous, nous avions résolu de vendre cher notre vie et de nous tuer plutôt que de tomber aux mains des Brigands. À la halte, arrive le citoyen Bourbotte qui me conte toute la scène de la Châtaigneraie entre lui et ses collègues — voyez à ce sujet son rapport à la Convention nationale. — Goupilleau et Bourdon avaient dépêché un adjudant-général à nos trousses pour nous faire arrêter : il ne nous rejoignit que passé Fontenay.

Les autorités, sur ses instances, envoyèrent à l’auberge de relai un ordre à l’effet de ne point laisser sortir notre voiture. Le porteur du billet n’en savait pas davantage, et ce fut à moi-même qu’il s’adressa. Je vis à la lecture que l’on voulait nous faire arrêter ; et sans sourciller je répondis à l’estafette : Allez dire aux autorités que cela suffit. Bourbotte aussitôt prévenu, nous partîmes, en gens avisés, sans les attendre… et je crois que nous avons bien fait.

Quand nous passâmes à Saint-Maixent, l’ordre y était parvenu de faire rétrograder les chevaux de luxe appartenant à Biron qui avaient été réquisitionnés par nous, après une estimation légale. Bourbotte prit sur lui de les faire aller jusqu’à Tours, où étaient ses collègues. Il prit son arrêté sur le grand chemin[7] et le remit entre les mains de l’officier qui courait après nous [8] ; celui-ci se trouva fort perplexe, sans savoir à quel ordre donner la préférence  : il se décida cependant pour celui de Bourbotte, et les chevaux nous menèrent grand train jusqu’à Tours.

Bourbotte alla trouver ses collègues et leur conta ce qui s’était passé à la Châtaigneraie. Ils décidèrent que Bourbotte et moi nous nous rendrions sur-le-champ au Comité de salut public pour l’instruire de la conduite de Goupilleau de Fontenay et de Bourbon de l’Oise. Ceux-ci, sans perdre de temps, avaient envoyé ma destitution, par courrier extraordinaire, à la Convention nationale ; leur courrier avait trois heures d’avance sur nous, et quand nous arrivâmes, le soir, à Paris, on criait déjà dans les rues : « La grande destitution du général Rossignol — sa trahison !  » J’avoue que cela me fit beaucoup de peine.

Bourbotte me dit : « Va chez toi et sur les dix heures du soir trouve-toi au Comité de salut public. » Je m’y rendis à neuf heures : Bourbotte y était déjà. Je me fis annoncer et, après m’avoir entendu, le Comité décida que je repartirais sur-le-champ à mon poste. Je demandai à faire une réclamation ; on me donna la parole et je dis : Voilà le journal du soir où il est écrit que j’ai trahi mon pays. La France entière le sait aujourd’hui… Je désire que la France sache demain que j’en suis incapable. En conséquence, je demandai à aller moi-même à la barre de la Convention nationale. Tous les membres du Comité approuvèrent ma réflexion et il fut décidé que, séance tenante, je ferais parvenir une lettre au président. Le lendemain j’écrivais au président et ma lettre fut lue. Bourbotte monta à la tribune et dit toutes les vexations qu’il avait éprouvées de la part de ses collègues ainsi que ma destitution[9]. À l’unanimité un décret fut rendu qui me réintégrait dans mes fonctions et qui portait que je me rendrais à l’armée sur-le-champ. Un autre décret rappelait Bourbon de l’Oise et Goupilleau de Fontenay. Le congé accordé à Goupilleau de Montaigu était rapporté.

Alors je parus à la barre de la Convention : Vous venez de rendre justice à un vrai patriote… je ne vous dirai pas de belles phrases parce que je ne sais pas en faire… mais je jure de faire tous mes efforts pour en finir avec la horde des Brigands. Oui, je suis patriote et si je savais qu’un de mes cheveux ne le fût pas je me brûlerais la cervelle. — C’était quelque chose comme ça ; je ne me rappelle plus bien. La réponse du président me fut un beau certificat. Il me dit que la Convention nationale savait apprécier le mérite des vrais défenseurs de la Patrie : « Vous êtes un des vainqueurs de la Bastille… retournez à votre poste… combattez les Brigands avec courage… La Convention vous invite aux honneurs de la séance. » J’entendis les acclamations de la Convention et les applaudissements des tribunes.

Le lendemain je partais pour l’armée.

    manquait l’instruction qu’on doit exiger d’un général en chef. Aussi hésita-t-il longtemps avant d’accepter ce commandement… C’est une justice que je me plais à lui rendre, et il n’accepta, si je puis m’exprimer ainsi, qu’à son corps défendant. Il est non moins vrai que, si la Commission des représentants réunie à Saumur ne s’y opposa point, c’est qu’on lui laissa pour chef d’état-major le général Berthier, qui depuis a été le major général des armées de Napoléon. Le premier soin de Rossignol fut de défendre aux généraux divisionnaires de tenter aucune expédition isolée, sans en avoir reçu l’ordre ; mais l’insubordination était telle, que plusieurs généraux firent des mouvements imprudents.

    Philippeaux, qui était passablement fanfaron et qui n’a jamais paru à la tête d’une colonne pendant tout le temps qu’il a passé à l’armée, écrivait modestement à l’Assemblée : « Tout a changé de face depuis mon arrivée en ces lieux. » Quelques jours après, il vint nous faire une visite à Saumur. Je me permis de lui dire que je voyais avec plaisir arriver parmi nous un nouveau César, et que ce n’était point assez d’avoir écrit à la Convention nationale que tout avait changé de face depuis son arrivée, qu’il eût dû lui dire comme le vainqueur des Gaules : Veni, vidi, vici ; et j’ajoutai, peut-être un peu trop ironiquement, que c’était sans doute par modestie qu’il n’avait pas permis aux cent trompettes de la renommée de publier ses nombreux exploits, mais que j’espérais qu’il nous les raconterait lui-même avant de partir. Philippeaux, que nous avions invité à dîner avec nous, nous quitta à l’instant même et partit sans nous dire adieu Aussi me fit-il l’honneur, dans plusieurs pamphlets qu’il a publiés contre ce qu’if appelle la Cour de Saumur, de m’en désigner comme le chef, quoique j’y résidasse rarement et seulement lorsque l’armée y rentrait, pour y prendre quelque repos. (Choudieu : Notes inédites sur la Vendée.)

  1. Après la prise de Mayence et de Valenciennes, le Comité de salut public ordonna que les garnisons de ces deux villes, qui avaient souscrit l’engagement de ne point porter les armes contre les alliés, se rendraient dans la Vendée. Ce fut pour nous un renfort d’une haute importance, mais qui occasionna de nouvelles diversions politiques. (Choudieu  : Notes inédites sur la Vendée.)
  2. C’était sans doute beaucoup (dans ces circonstances) que de remplacer un grand seigneur comme Biron par un plébéien obscur comme Rossignol. Brave à l’excès, franc et loyal, celui-ci avait toutes les qualités qui constituent un républicain ; mais il lui
  3. Le 19 août 1793.
  4. Lisez Chantonnay.
  5. CONVENTION NATIONALE : Extrait de la séance du 26 août 1793.

    Un des secrétaires lit une lettre de Bourdon (de l’Oise) et de Goupilleau (de Fontenay), représentants du peuple prés l’armée des côtes de La Rochelle. En voici la substance :

    « Nous venons de suspendre Rossignol de son commandement en chef de l’armée des côtes de La Rochelle. Nous allons vous instruire de nos motifs. Aussitôt que nous fûmes informés de cette singulière nomination, nous écrivîmes au Comité de Salut public, pour l’engager à la révoquer sur-le-champ. Rossignol était commandant de la 35e division de gendarmerie à pied ; il fit partie de la division de Niort. Bientôt nous arrivèrent contre lui des plaintes de pillage. On lui reproche d’avoir enfoncé les caves, d’avoir pillé le vin, il passe les journées au cabaret à boire avec le premier venu ; il a osé dire un jour au général qu’il avait arrêté avec ses officiers de ne marcher contre l’ennemi qu’avec des forces supérieures en nombre, six mille au moins contre quatre mille. Ce n’est pas avec de pareils principes que Tuncq a remporté consécutivement trois victoires, avec une poignée de républicains. Ce n’est pas là le général qu’il faut à une armée de la République.

    Nous prévoyons bien que cette suspension, qui déjoue l’intrigue, éveillera l’envie et la calomnie contre nous. Mais le bien public est et sera toujours notre mobile.

    Nous apprenons que le château du Loir et celui de Verneuil ont été pris par les patriotes (du général Tuncq) et incendiés. »

    *** : J’ai été témoin oculaire de tous les faits reprochés dans cette lettre à Rossignol ; j’allais même le poursuivre lorsque j’appris sa nomination au commandement en chef. Je demande que ces faits soient envoyés à l’accusateur militaire près l’armée des côtes de La Rochelle pour instruire contre Rossignol.

    Tallien : Lorsque j’ai vu Rossignol nommé général en chef, j’ai été le premier à dire qu’il n’était pas capable de commander une armée de cette importance ; mais je suis aussi le premier à rendre justice à son patriotisme. C’est un des vainqueurs de la Bastille, je n’examine point si Rossignol boit, s’il a pillé, mais si les commissaires ont eu le droit de le destituer.

    Je sais qu’il y a toujours eu de la division entre lui et Biron qui ne pouvait souffrir l’âpreté du caractère républicain de Rossignol. Il s’est toujours montré en héros. Eh, que m’importent à moi, quelques pillages particuliers  !… (Il s’élève de violents murmures. On demande que Tallien soit rappelé à l’ordre.)

    J’explique ce que je viens de dire  ; je parlais du pillage de quelques maisons d’aristocrates. À l’affaire de Chemillé, où la 35e division s’était battue pendant huit heures, on égorgeait dans les rues les patriotes et les vainqueurs de la Bastille.

    Il y eut alors deux ou trois maisons pillées. Mais ce sont là les effets de la guerre. Du reste, toutes les fois que nous avons trouvé des pillards nous les avons fait punir de mort.

    Rossignol a-t-il mérité la suspension prononcée contre lui  ? Je n’en vois pas de causes dans la lettre. Rossignol a été mis dans les prisons, après avoir été arrêté par les représentants du peuple. Je n’inculpe point la conduite de mes collègues, mais Rossignol a la confiance de l’armée. Interrogez Choudieu et Richard, ils vous le diront. Je demande que le Comité de Salut public fasse demain son rapport sur cet arrêté.

    Lecointe-Puyraveau  : Les commissaires près l’armée des côtes de La Rochelle ne vous présentent qu’une décision provisoire  ; elle porte sur des faits qui vont à la connaissance de l’accusateur public et du tribunal criminel près l’armée des côtes de La Rochelle. On a avancé un fait faux en disant que ce sont les représentants du peuple qui ont fait arrêter Rossignol. Il a été mis dans les prisons par ordre du général, pour avoir dit à Saint-Maixent, à Niort, qu’il ne pouvait concevoir que des soldats républicains obéissent à un général  ; qu’il ne le souffrirait pas, parce qu’il n’avait point de confiance en lui. Il allait être poursuivi et puni des peines les plus rigoureuses lorsqu’il a été tiré des prisons. Il n’a pas la confiance de l’armée, je puis le certifier. Je ne doute point que ce soit à l’intrigue de Ronsin et de Rossignol qu’on a dû la destitution instantanée de Tuncq. Vous devez confirmer l’arrêté de vos commissaires. Qu’on ne dise point que vous vous mettrez en contradiction, si Rossignol vient ensuite à prouver son innocence. Non, citoyens, qu’il vienne, qu’il se justifie, et alors vous vous empresserez de le rétablir dans ses fonctions ; mais je crains bien qu’il ne puisse se justifier. Je demande la confirmation provisoire de l’arrêté.

    Fayau. — La confirmation est inutile. L’arrêté n’aura pas plus de force, puisqu’il est provisoirement exécuté ; d’un autre côté, vous devez vous rassurer puisqu’il n’exerce plus aucune fonction. Je demande le renvoi pur et simple de l’arrêté au Comité de salut public.

    Le renvoi est décrété.

  6. Extrait d’une adresse du général Tuncq à ses concitoyens.

    « Mon nom, qui n’a peut-être pas la douceur ou, si l’on veut, la physionomie d’un nom français, a fait croire, dit-on, à plusieurs personnes et, qui plus est, soutenir affirmativement que j’étais un étranger. Pour pulvériser ce nouveau grief, je déclare à toute la République une et indivisible, que je suis l’humble fils d’un honnête tisserand de la ci-devant Picardie, et que je naquis le 27 août 1746, au village de Contéville, district d’Abbeville, département de la Somme. »

  7. Voici le texte de cet arrêté :

    « Nous, représentant du peuple, député par la Convention nationale près l’armée des côtes de la Rochelle,

  8. « Instruit qu’en vertu d’un ordre signé Chalbos, des hommes armés sont partis de Saint-Maixent pour arrêter quatorze chevaux que le général Rossignol avait fait partir pour Saumur, et les faire rétrograder sur Niort ;

    « Considérant que cet ordre est arbitraire autant que la suspension du général Rossignol ordonnée par les citoyens Bourdon et Goupilleau, représentants du peuple ;

    « Que si ces deux représentants ont pu se permettre de suspendre, sans motifs plausibles, un général en chef, il serait à la disposition de leurs collègues Choudieu, Richard et Bourbotte, de le continuer dans l’exercice de ses fonctions, puisque, investis des mêmes pouvoirs, ils sont en majorité d’opinion par leur nombre ;

    « Considérant enfin que toutes les formes et les principes ont été violés dans cette suspension, et que les persécutions qu’ils exercent contre lui ne peuvent être que l’effet d’un ressentiment illégitime provoqué par le général Tuncq, ennemi du citoyen Rossignol ;

    « Arrêtons que les chevaux conduits à Saumur, en vertu des ordres donnés par le général Rossignol, ne pourront être arrêtés ; que les ordres donnés par le général Chalbos seront regardés comme non avenus ; requérons en conséquence le commandant de la force publique de Saint-Maixent de faire exécuter le présent réquisitoire sous sa responsabilité, le rendant responsable personnellement de tous refus à cet égard ; et déclarons que nous le regarderions comme rebelle à la loi, si toutefois il préférait d’exécuter les ordres du général Chalbos à ceux que nous lui donnons.

    « Sur la route de Lusignan à Saint-Maixent, ce 24 août 1793, à cinq heures du soir. »

    « Bourbotte »
  9. CONVENTION NATIONALE  : Extrait de la séance du 28 août 1793 présidée par Robespierre.

    Bourbotte  : Citoyens, j’arrive à l’instant de la Vendée, pour vous parler de la destitution du général Rossignol et de nos collègues Goupilleau et Bourdon  : c’est une mission dont les représentants Merlin, Michet, Choudieu et Richard m’ont chargé.

    Lorsque le général Rossignol reçut la nouvelle de sa nomination au commandement en chef de l’armée des Côtes de la Rochelle, son premier sentiment fut de refuser ce grade, qu’il craignait de ne pouvoir remplir d’une manière utile pour sa patrie  ; mais il en fut empêché par plusieurs braves citoyens, qui lui firent sentir que son refus aurait peut-être de grands inconvénients, en ce que le commandement pourrait tomber entre les mains de quelque intrigant qui ne balancerait pas à l’accepter, afin d’avoir les moyens de trahir facilement  ; et les mêmes personnes qui lui donnèrent ce conseil l’encouragèrent encore davantage, en lui promettant de l’aider de toute leur bienveillance, de leur zèle, activité et conseils  ; ils lui jurèrent d’être autour de lui autant de surveillants fidèles  ; bref, ils le déterminèrent à accepter. Sa nomination, à la vérité, déplut beaucoup à quelques officiers intrigants et royalistes  ; mais les soldats trop lâchement trahis en plusieurs circonstances, ces braves guerriers, qui redoutent moins l’ennemi que la perfidie des chefs, virent avec moins de chagrin que les officiers un général sans-culotte à leur tête.

    Après avoir visité les postes avec ce général, nous nous rendîmes à Chantonnay ; mais à peine nos collègues jetèrent-ils les yeux sur moi ; ils ne répondirent à mes empressements fraternels que par le silence le plus profond. Ne pouvant deviner les motifs d’un semblable procédé, je leur fis connaître l’objet de ma mission, et j’eus beaucoup de peine à me faire écouter un instant. À peine avais-je commencé à leur lire les premières lignes du plan de campagne que nous avions déterminé et auquel le Comité de salut public avait donné son assentiment, qu’ils me dirent que c’était un amas de sottises, que celui qui avait machiné ce plan était une bête, et que le Comité de salut public n’y entendait rien. Ne pouvant plus rien répondre à cette déclaration, je pris à la main le décret de la Convention nationale sur les rebelles de la Vendée, et je leur demandai s’ils s’étaient occupés des moyens de le mettre à exécution. Ils me répondirent que ce décret était un décret contre-révolutionnaire ; qu’il renfermait des dispositions si atroces, qu’ils juraient de poignarder le premier qui voudrait l’exécuter, et que je serais moi-même le premier frappé, si j’osais m’attacher à cette exécution.

    Bourdon eut l’audace de me dire que si je restais auprès de cette division, il me ferait mettre sur le derrière de l’armée ou qu’on m’enverrait au château de La Rochelle. Le silence des deux Goupilleau, la satisfaction apparente du général Tuncq, tout me persuadait que la délibération en était prise avant mon arrivée et que j’allais être arrêté.

    Aussitôt je me saisis d’une paire de pistolets, et je jurai brûler la cervelle au premier qui oserait faire un mouvement pour commettre cet attentat. Je me croyais au milieu de l’état-major de Dumouriez. Ma fermeté, sans doute, en imposa : on me laissa partir sans escorte faisant, à dix heures du soir, quatre lieues au milieu des bois où plusieurs brigands m’avaient aperçu et même poursuivi.

    Actuellement, citoyens, il faut vous faire connaître les vrais motifs qui ont porté Goupilleau et Bourdon à de semblables mesures. Ceux sur lesquels ils ont établi la destitution du général Rossignol sont, disent-ils, antérieurs à sa nomination. Ils ne sont ni antérieurs ni postérieurs, car il n’en peut exister aucun qui paraisse un instant plausible.

    Il est toujours contraire aux intérêts publics que des membres de la Convention soient envoyés, en qualité de commissaires, dans des départements où sont leurs propriétés, leur famille et toutes leurs anciennes habitudes et connaissances.

    Goupilleau a senti qu’il avait beaucoup à perdre dans l’exécution des mesures décrétées à l’égard des rebelles de la Vendée, et il a senti qu’il avait tout à craindre de la part d’un général en chef qui n’avait que le salut public à consulter, et qui avait manifesté ses intentions hautement à cet égard. Goupilleau (de Montaigu) ne pouvant, en qualité de commissaire, se joindre à lui pour songer à la défense de ses propriétés, vous a demandé un congé. Il est venu trouver le général en chef, et lui a demandé si son intention était de marcher révolutionnairement dans la Vendée, et sur l’assurance que Rossignol lui donna que telles étaient ses dispositions, il s’est rendu avec rapidité auprès de son cousin, pour lui en rendre compte ; et il est tellement vrai que la destitution de Rossignol n’est que le résultat de ce qu’il avait affirmé à Goupilleau, que Rossignol eut cet entretien avec lui le 22, qu’il était destitué le 23, et que le 24 l’arrêté lui fut notifié.

    Sans doute, il doit paraître étrange à la Convention nationale que lorsqu’il existe sept représentants du peuple près une armée, deux, éloignés de plus de 80 lieues du général en chef, se permettent de le destituer, sans consulter leurs collègues, sans examiner avec eux les motifs qui doivent commander cette destitution, et sans que l’idée de leur minorité, puisqu’ils ne sont que deux contre cinq, ait pu un instant les arrêter.

    Nous avons pensé que c’était à la Convention nationale à faire justice de l’arrêté de Goupilleau et de Bourdon. Et cette justice je vous la demande, au nom de mes collègues, qui m’ont envoyé près de vous.

    Je vous propose le projet de décret suivant :

    « La Convention nationale décrète que l’arrêté pris le 23 de ce mois par les représentants Goupilleau et Bourdon, qui suspendait le général en chef de l’armée des côtes de La Rochelle, Rossignol, est révoqué. »

    Drouet : Lorsque le Comité de salut public vous présenta l’organisation du commissariat national on décréta, à l’unanimité, qu’un homme ne pourrait être envoyé commissaire dans son propre pays ; cependant les deux Goupilleau sont auprès de l’armée qui combat sur le territoire où sont leurs propriétés ; des motifs particuliers ont pu les conduire dans leurs arrêtés. Leur injustice contre le général Rossignol est évidente. Qui de nous n’a pas éprouvé son patriotisme ? Qui ne sait comment il s’est battu ? Son nom n’est connu que par des victoires ou des actions d’éclat.

    Je demande que la destitution prononcée contre lui soit levée ; que Goupilleau et Bourdon (de l’Oise) soient rappelés ici pour rendre compte de leur conduite.

    Gaston : Citoyens, lorsque vous avez, dans un pays quelconque, un grand nombre de commissaires, n’est-ce pas l’avis de la majorité que vous devez croire le meilleur ? Or celui favorable à Rossignol est adopté par ceux qui n’ont aucun reproche à se faire. Qui ne connaît, en effet, la conduite de Bourbotte ? Qui ne connaît le caractère ferme et courageux de Choudieu et de Merlin ? Ce sont de pareils hommes qui sont opposés à Bourdon et Goupilleau, contre lesquels il y a plusieurs choses à dire.

    *** : Citoyens, depuis les premiers jours de la malheureuse guerre de la Vendée, nous avons eu un grand nombre de commissaires, et les affaires n’en ont pas été mieux. Choudieu n’a vu qu’Angers ; Goupilleau n’a vu que la Vendée ; une espèce d’animosité a régné entre eux.

    Je demande aujourd’hui le rappel de tous les commissaires qui sont dans ce pays. Ce sont tous des malheureux qui nous ont perdus. (Murmures.)

    La division règne également entre les généraux. Quand l’armée de Niort faisait un mouvement, celle de Saumur refusait de marcher. Cependant Tuncq et Boulard ont toujours battu les ennemis et ce sont eux que l’on calomnie.

    Pourquoi Goupilleau a-t-il eu la faiblesse de se rendre dans un pays où étaient ses propriétés, lorsqu’il savait que la résolution formelle des Français était de porter le fer et le feu dans les repaires des brigands ? Était-il assez ferme pour exécuter une pareille mesure ? Était-il un nouveau Brutus pour en ordonner l’exécution ? Citoyens, il est aisé de voir que Bourbotte voulait détruire les rebelles et Goupilleau, ménager ses propriétés. Je demande que les propositions qui vous ont été faites par Bourbotte, au nom de ses collègues, soient adoptées.

    Je sais que leurs adversaires ont ici des amis ; mais que l’amitié se taise ! N’écoutons que la voix de la Patrie : plus de lenteurs dans les mesures, les rebelles en concevraient une nouvelle audace, et il est décrété dans le cœur de tout bon Français qu’ils doivent disparaître de notre territoire ?

    Qu’a-t-on à reprocher à Rossignol ? Rien. Rendons au patriotisme et au courage ce qui leur est dû : décrétons la levée de la suspension.

    Tallien : Ce que vous venez d’entendre par l’organe de Bourbotte est la confirmation de ce que je vous ai dit, au moment où vous entendîtes la lettre de Bourdon et de Goupilleau. Il n’y a pas de doute que la destitution prononcée contre le général Rossignol ne soit absolument sans motifs. On n’a pas rapporté contre lui un seul fait relatif à ses fonctions de général, je ne veux pas inculper mes collègues : je leur crois de bonnes intentions ; mais il n’est pas moins vrai qu’en frappant un patriote ils ont compromis les intérêts de la République, et prolongé l’existence des rebelles. Je demande que, sur-le-champ, vous renvoyiez à l’armée un général qu’elle aime et qui doit exécuter les grandes mesures que la Convention a prises ; qu’à l’avenir aucun représentant du peuple ne puisse être envoyé dans le département où il aura des propriétés. Quant à nos collègues, je laisse à la sagesse de la Convention l’examen de leur conduite.

    Quelques membres demandent le renvoi au Comité :

    Delacroix : Eh ! pourquoi un renvoi ? Que pourra vous dire de plus un Comité qui n’a pas été présent aux faits ? Son rapport ne peut être fondé que sur l’arrêté de Bourdon et Goupilleau, et sur la réclamation dont Bourbotte vient de vous faire part au nom de ses collègues. Les faits sont donc tous à votre connaissance. Deux députés ont suspendu un général, cinq vous demandent de le rétablir dans ses fonctions, parce qu’il y est indispensable ; pouvez-vous balancer ?

    Une voix : Qu’a-t-il fait pour être général ?

    Delacroix : Eh ! dites-moi, vous, qu’est-ce qu’il n’a pas fait ? Je n’ai jamais vu ce général ; mais sur l’avis de cinq de mes collègues, je crois qu’il est nécessaire au poste où il avait été appelé, et j’invite la Convention à lever sur-le-champ la suspension prononcée contre lui.

    Tallien : Président, un mot avant la clôture de la discussion. Delacroix a éprouvé une interruption à laquelle je dois répondre. On demande ce qu’a fait Rossignol. Je répondrai : depuis le commencement de cette guerre, Rossignol s’est battu plus de cinquante fois ; à la tête de la 35e division de gendarmerie qu’il commandait, il s’est trouvé à toutes les attaques ; à l’affaire de Chemillé, il était auprès du général Duhoux lorsque celui-ci fut blessé ; les braves qu’il commandait étaient au nombre de 700 lorsqu’ils se rendirent dans ces contrées, le sort des combats les a réduits à 200. Si l’on me demande ce que Rossignol a fait comme général, je dirai : il a trouvé une armée débandée, il l’a réorganisée ; il a combattu les mauvais principes dont elle était infectée, et il y a ranimé l’esprit républicain, il a puni les désorganisateurs et l’armée a toujours marché à la victoire ; il a réparé les injustices de Biron ; il a récompensé le mérite dédaigné, et Salomon commande maintenant l’avant-garde : voilà ce qu’a fait Rossignol comme général. Quoi ! dans cette assemblée on a répondu de Beysser et de Westermann ; tous deux parcourent librement les départements insurgés ; Westermann est actuellement à Niort, où il ranime l’esprit fédéraliste qui infecte ces contrées, et un homme aussi brave que Rossignol ne trouverait point ici de défenseur ? Serait-ce donc parce que c’est un véritable sans-culotte ? Serait-ce parce qu’il a toujours soutenu la cause du patriotisme ? Serait-ce parce qu’il souffrit avec la minorité opprimée et qu’il l’aida de tout son pouvoir ? Non, l’assemblée sera plus juste, elle lèvera la suspension, et il sera beau de voir Rossignol, sorti de cette classe tant dédaignée par la noblesse, succéder à Monseigneur le duc de Biron.

    La Convention ferme la discussion, lève la suspension, rappelle ses commissaires, Bourdon (de l’Oise), et Goupilleau (de Fontenay), et rapporte le congé donné à Goupilleau (de Montaigu). On applaudit.)

    Le Président : Le général Rossignol demande à offrir ses hommages à la Convention.

    Il entre à la barre au milieu des plus vifs applaudissements.

    Rossignol : Législateurs, vous venez de rendre justice au patriotisme persécuté ; mon corps, mon âme, tout est à ma patrie. J’ai juré d’exterminer les Brigands et de détruire leurs asiles : je le ferai. Les créatures de Biron, de Westermann ne tiendront pas auprès de moi ; elles ne peuvent souffrir mon caractère, mais je ne capitulerai jamais avec les ennemis du peuple : c’est lui, c’est moi-même puisque j’en fais partie, que je dois sauver, et je me voue tout entier à sa défense. Je ne sais point parler élégamment, je répète ce que mon cœur me dicte

    Le Président : Rossignol, on connaît ton courage ; on t’a vu au feu de la Bastille ; depuis ce temps tu as marché ferme dans le sentier étroit du patriotisme. La Convention s’est empressée de te rendre justice, elle t’invite aux honneurs de la séance.

    Sergent : Tous les patriotes peuvent répondre de Rossignol ; mais je sais qu’en 89 et 90 on a tout tenté pour le corrompre ; il a dédaigné l’or et les places du despotisme ; il a même bravé les poignards de Lafayette.

    Bazire : On persécute en ce moment plus que jamais les élans du patriotisme. Depuis l’acceptation de la Constitution, les efforts des malveillants ont redoublé ; le feuillantisme a relevé la tête, il s’est établi une lutte entre les patriotes énergiques et les modérés. À la fin de l’Assemblée constituante, les Feuillants s’étaient emparés des mots loi, ordre public, paix, sûreté, pour enchaîner le zèle des amis de la liberté ; les mêmes manœuvres sont employées aujourd’hui. Vous devez enfin briser entre les mains de vos ennemis l’arme qu’ils emploient contre vous. Je demande que vous déclariez formellement que la France est en révolution jusqu’au moment où son indépendance sera reconnue…

    La proposition est adoptée.

    Un escadron de cavalerie prêt à partir pour l’armée défile et prête le serment de fidélité.

    La séance est levée à six heures.

    Le 11 septembre, Bourdon de l’Oise était invité à s’expliquer aux Jacobins :

    Un citoyen, désignant Bourdon (de l’Oise) : « Je vois ici un homme qui fit la motion de chasser Marat de la Société. Je m’étonne qu’il ose siéger parmi nous ; je demande qu’il soit chassé lui-même. »

    Bourdon : La Société m’a invité à venir m’expliquer sur l’inculpation qui m’a été faite d’avoir, arbitrairement et sans cause légitime, fait arrêter le général Rossignol ; voici les explications que je dois donner :

    Westermann avait injustement plongé Rossignol dans un cachot ; je l’en retirai et je lui dis : Je n’ignore point que Westermann est coupable de quelques délits ; son vol de quelques couverts d’argent est reconnu ; mais tirons le rideau sur ces faits, quoique graves ; il a déjà eu quelque succès, voyons jusqu’au bout s’il justifiera notre indulgence.

    Quant à Rossignol, les bases de l’arrêté que nous crûmes nécessaire, Goupilleau et moi, de rendre contre Rossignol, sont déposées au Comité de salut public ; le reste ne peut pas être public. Je demande qu’on examine toutes les pièces, mais que ce soit dans un Comité.

    — Robespierre rend alors justice au patriotisme de Bourdon (de l’Oise), et jusque dans la faute qu’il a commise en arrêtant Rossignol, car il croit que c’en est une.

    Il veut qu’il s’explique sur les causes et les raisons de cette conduite que tout le monde réprouve. —

    Bourdon : Je dirai tout puisqu’on m’y force. (On applaudit.)

    Robespierre : Je maintiens que Rossignol a été la victime d’une cabale dans la Vendée. C’est à cela que j’attribue le peu de succès de la guerre dans ce pays. Deux espèces d’hommes voulaient que les événements fussent tels : ceux qui avaient des biens dans la Vendée et qui voulaient ménager leurs propriétés, et ceux qui ne voulaient pas voir, à la tête des armées de la République, de vrais républicains qui eussent fait promptement finir cette guerre.

    Robespierre fait l’historique des hommes qu’on leur substitue, et qui, d’après cela, doivent être regardés comme les hommes les plus capables de servir les projets des aristocrates.

    À l’article de Beysser, il avertit que c’est Jullien de Toulouse qui le fit renvoyer à son poste, et Jullien vient d’être nommé de nouveau au Comité de sûreté générale.

    Un membre de ce même Comité disait que Tuncq avait bien fait de quitter l’armée qu’il commandait, puisqu’il était malade : dans ce moment Tuncq était dans l’antichambre du Comité.

    Goupilleau avait d’abord réclamé du Comité un rapport qui lui fût favorable ; mais il refusait toujours d’y déposer les pièces, tantôt parce qu’elles n’étaient pas copiées, tantôt parce qu’il se désistait de sa dénonciation contre Rossignol.

    Bourdon : Pour moi, je ne me désiste pas.

    Robespierre : Je demande que Bourdon soit entendu.

    Bourdon déclare qu’il va découvrir la vérité tout entière. Il commence par établir que cette armée de la Vendée (l’armée des rebelles) dont on a fait tant de bruit, n’était autre chose qu’un ramas de cochons, de gens qui n’avaient pas la figure humaine, et de gens de loi ; les victoires prétendues de Rossignol ne sont donc pas si fameuses qu’on se l’imagine.

    Il cite un fait plus grave. On devait marcher sur trois points à la fois ; on enveloppait tous les rebelles et l’on finissait la guerre dans le moment. Rossignol, au lieu de donner l’ordre à sa division de marcher sur Fontenay, donna des ordres contraires, et il fit manquer l’opération.

    Ce fait est démenti par beaucoup de membres.

    Bourdon dit qu’il en a les preuves par écrit, et qu’il les apportera ; il les avait, dit-il, communiquées au Comité de salut public ; il interpelle Robespierre, s’il est l’ami de la vérité, de la déclarer en ce moment.

    Un grand bruit éclate.

    Bourdon quitte la tribune.

    Robespierre se lève pour répondre.

    Hébert ne veut point que Robespierre réponde à une interpellation insidieuse. Il déclare que Bourdon sera toujours pour lui un calomniateur, tant qu’il n’aura pas prouvé ce qu’il vient d’avancer contre le général Rossignol. Au surplus, il le taxe de lâcheté pour avoir quitté la tribune et laissé là sa justification, pour des murmures.

    Bourdon répond vivement à Hébert. Une scène assez orageuse s’élève et se prolonge quelque temps.

    Bourdon parle encore, ajoute quelques faits, offre d’apporter des preuves écrites, et dit au sujet des brûlements qu’on l’accuse de n’avoir pas exécutés : Que voulait-on de nous et n’avons-nous pas assez fait pour éviter ce reproche ? Nous avons brûlé sept châteaux, trois villages, douze moulins, peut-être serait-on fâché qu’on n’ait pas brûlé la maison d’un patriote qui servait dans l’armée.

    On l’interrompt ; il se jette sur les qualités de Rossignol ; on l’interrompt encore ; il quitte la tribune.

    Robespierre : Bourdon et Goupilleau doivent être solidaires l’un pour l’autre, puisque tous deux ont signé les dénonciations contre le général Rossignol et surtout l’arrêté de sa suspension.

    Je m’étonne que des hommes qui ont dénoncé un général sur des faits si vagues, des inculpations si légères, aient pu oublier les faits si essentiels dont parle maintenant Bourdon, et que, tout graves qu’ils sont, on entend pour la première fois ; j’ignore au surplus d’où viendront les pièces dont on parle, si c’est des dénonciateurs eux-mêmes, de quelques municipalités aristocratiques ou même des émigrés.

    Cette conduite tortueuse, après avoir provoqué quelques sarcasmes de Robespierre, le ramène à des observations plus sérieuses et non moins amères.

    À tant d’astuce, il met en opposition la franchise de Rossignol, son républicanisme ardent et son amour sincère pour l’exécution des lois. (On applaudit.)

    Hébert : La dénonciation contre Rossignol contient sa justification telle que lui-même n’aurait pu la mieux faire. La faiblesse des raisons de Bourdon, leur bêtise même, lâchons le mot, ont dû convaincre la Société, et je n’en dirai pas davantage ; mais je veux fixer ses regards sur l’affectation avec laquelle on éloigne du commandement les généraux sans-culottes ; cela me rappelle la bataille d’Ivry, après laquelle Biron disait à son fils, qui lui recommandait d’user de sa victoire : Veux-tu donc qu’on nous renvoie planter des choux à Biron si nous finissons comme cela cette guerre ? Il en est de même de nos généraux actuels qui ont fait de la Vendée leur pot-au-feu… (Le Moniteur.)