Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 269-272).

XXVII

L’HIVER SOUS LE CHAUME

Enfin le rude hiver, ô mes vaillants fermiers,
Vous a faits paresseux, vous a faits prisonniers.
Chacun ferme sa porte et chez soi se retranche.

Il neige ! le vent souffle ; on gèle ; on est perclus.
Le chemin qui conduit à la ferme n’est plus
Qu’un petit sentier noir dans la campagne blanche.

Le soleil, mes amis, ne fait plus son devoir.
Ce qu’on appelle un jour, spectacle triste à voir,
N’est qu’un pâle rayon embourbé dans la nue.


Plus de feuilles au bois, plus de chants, plus d’oiseaux.
À peine entrevoit-on dans les fauves réseaux
Un moineau frissonnant sur une branche nue.

Ah ! décembre et janvier vous semblent rigoureux.
Gardez-vous cependant de murmurer contre eux !
Mille autres plus que vous ont le droit de s’en plaindre.

Songez aux matelots sur la mer ballottés ;
Songez aux travailleurs qui peuplent les cités :
Songez-y ! — C’est pour eux que l’hiver est à craindre.

Aux murs de Babylone, où la vie a deux parts,
Combien de malheureux sont dans la foule épars,
Comme des naufragés sur l’abîme sans bornes !

Le long de ces palais rayonnants et fleuris,
Que de mères, serrant leurs enfants amaigris,
Sur les passants distraits attachent leurs yeux mornes !

Le pain, qui partout manque, ici ne manque pas.
Le pain non-seulement abonde à vos repas,
Mais, tirés du cellier, les produits de vos terres,


Le doux raisin, qui sèche aux solives du toit,
Le porc salé, régal autour duquel on boit,
Et le vin, déjà bon, qui réjouit les verres.

Noël ! jour bienvenu ! jour aux fermes riant !
On rentre de la messe ; à table s’asseyant,
Le vénérable aïeul bénit la blanche nappe.

Odorant et vermeil, le gâteau sort du four :
La bouche et l’œil béants, les marmots sont autour.
Et la bûche qui flambe illumine l’agape.

Cher à la ville, ici le bois vous coûte peu :
Pour maintenir dans l’âtre un magnifique feu
Qui réchauffe les gens et dore les murailles,

Que faut-il ? vers midi, faire un pas au dehors.
Le taillis volontiers vous livre ses bois morts ;
Volontiers le buisson vous offre ses broussailles.

Soyez donc sans tristesse, amis ! — Chauffez-vous bien.
Que le farouche hiver ne vous chagrine en rien ;
Au chant de l’aquilon dormez dans vos retraites.


Laissez maudire ailleurs ses nuits, ses froids cuisants.
Cruel pour la cité, pour vous, ô paysans !
L’hiver est un bourru plein de bontés secrètes.

Quel bien ne fait-il pas ! Dans les plis du terrain,
Il fait périr le ver ennemi du bon grain.
Il contient prudemment la sève sous l’écorce.

À la source épuisée il ramène les eaux.
La terre, amas profond de veines, de réseaux,
Renouvelle par lui ses vertus et sa force.

Plus il vous couvrira de neige et de glaçons,
Plus vous recueillerez de gerbes aux moissons.
C’est là ce que vous chante en passant l’âpre bise.

Il pleut. Laissez pleuvoir, et dormez en lieu sûr.
Chaque ennui du présent est un plaisir futur ;
Chaque goutte qui tombe est une fleur promise !