Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 222-224).

XIII

UNE BRANCHE D’AUBÉPINE

Il est, aux environs de notre métairie,
Une haute contrée aux espaces déserts,
Où croissent, frais tapis qui parfument les airs,
Le thym, le genêt d’or, la bruyère fleurie.

Sur ces larges plateaux sans maisons ni chemins,
On respire le vent des libres solitudes.
Souriant, oublieux, léger d’inquiétudes,
On s’y croit dans un monde ignoré des humains.

Ces lieux ont pour mon cœur d’incomparables charmes.
Souvent je rêve d’eux, partout m’en souvenant ;
Et je ne sais pourquoi j’y songe maintenant
Que l’automne obscurcit ma vitre de ses larmes.


J’y marchais un matin de ce dernier avril,
Ayant à mon côté, dans cette promenade,
Un bambin de sept ans, gracieux camarade
Qui trottait d’un pas leste en faisant son babil.

Il portait comme un thyrse un rameau d’aubépine,
Tige en fleur, dérobée au palis d’un enclos,
Et sa verve coulait, elle coulait à flots.
Quels attraits n’as-tu pas, causerie enfantine !

Frappé subitement d’une réflexion,
Il suspendit sa marche et ses propos de joie :
« Penses-tu, me dit-il, — ce marmot me tutoie, —
Que l’on pourrait ici rencontrer un lion ? »

Le mot évidemment sentait son La Fontaine.
« Un lion ! répondis-je, un lion, c’est beaucoup ;
Mais on pourrait fort bien y rencontrer un loup,
Quand ils quittent, l’hiver, leur tanière lointaine.

» Si l’un d’eux, aujourd’hui, se trompant de saison,
Sortait de ce taillis, un loup de belle taille,
Et qu’il parût songer à nous livrer bataille,
Réponds, aurais-tu peur, mon cher petit garçon ?


» — Ma foi, peut-être bien, » dit-il de sa voix franche ;
Puis, d’un beau mouvement, il se reprit soudain,
Et, relevant le front ainsi qu’un paladin :
« Non, je n’aurais pas peur ; n’ai-je pas cette branche ? »

Et j’embrassai, joyeux, ce petit batailleur,
Et j’admirai cet âge et sa grâce ingénue,
Qui s’avance au-devant de la vie inconnue
Et croit vaincre les loups en s’armant d’une fleur !