Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 194-196).

V

RÊVES ET NUAGES

Où vont-ils ? où vont-ils dans leur fuite éternelle,
Ces nuages mouvants,
Qui, dans le vaste ciel, chaque jour pêle-mêle
Sont roulés par les vents ?

Où vont ces voyageurs qui cherchent leur patrie
Et marchent nuit et jour,
Passants dont la couleur à chaque instant varie,
Ainsi que le contour ?

Où vont-ils, pourchassés par le pâtre Zéphire
Dans le ciel du matin ?
Est-il au firmament un point qui les attire,
Un rendez-vous lointain !


Vont-ils à l’occident comploter les orages
Des prochaines saisons ?
Ou bien, groupes épars, des profonds paysages
Broder les horizons ?

Leur long voile, hier soir, avait des franges vives ;
Le soleil descendait,
Et l’horizon sans borne ouvrait des perspectives
Où l’âme se perdait !

À les voir ce matin dans la céleste plaine
Disperser leur toison,
On dirait un troupeau qui passe et dont la laine
S’accroche à tout buisson.

Que seront-ils demain ? Verrai-je sur ma tête
Leur groupe s’assembler.
Sombres comme les chars qui portent la tempête,
Et qu’on entend rouler ?

Ils reviendront peut-être incliner l’urne immense
D’où sort la pluie à flots :
Espoir des laboureurs en ces mois de semence,
Effroi des matelots !


Ô nuages errants, ô vapeurs nuancées,
Ô tableaux inconstants,
À quoi ressemblez-vous, sinon à mes pensées
Qui vont au gré du temps ?

Promenés comme vous par des vents insensibles,
Et toujours en chemin,
Les rêves de mon âme aujourd’hui sont paisibles ;
Que seront-ils demain ?