Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 161-163).

XXII

LE TRIOMPHE DE VÉNUS

Dans les fleurs, au soleil, regardez-la s’étendre ;
Regardez-la cambrer ses reins souples et forts :
Les gazelles n’ont pas cet œil limpide et tendre,
Les colombes n’ont pas la blancheur de ce corps.

Elle porte un collier simple et de couleur noire,
D’un plus riche ornement n’ayant aucun souci.
Elle aime qu’une main sur son beau flanc d’ivoire
Se promène ; ses yeux semblent dire merci.

Qu’elle est belle ! Au rayon du jour qui la caresse,
On voit toute sa peau sensuelle frémir.
Les yeux à demi clos, soit plaisir ou paresse,
Sur le tiède gazon elle semble dormir.


Voyez cette attitude, admirez cette pose.
Qu’elle dessine bien sa hanche et son beau col !
Paresseuse elle rêve, ouvre sa bouche rose,
Bâille, et de temps en temps gobe une mouche au vol.

Ô Vénus, car tel est votre nom, chien superbe
(Et d’autres se plaindront de le voir profané),
À quoi donc pensez-vous, ainsi couché dans l’herbe ?
Est-ce au récent honneur qui vous fut décerné ?

Par les plateaux couverts de rocs et de broussailles,
Par les ravins pierreux, le bois sauvage et dru,
Franchissant, d’un seul bond, taillis, pans de murailles,
Elle avait, ce jour-là, si bravement couru ;

Elle avait éventé si bien toutes les traces,
Si bien dans les buissons fourré son fin museau,
Que le maître au logis rapportait six bécasses,
Plus un coq de bruyère, en nos deux rare oiseau !

Cet homme est un chasseur connu dans la contrée,
Braconnier si l’on veut, si l’on veut maraudeur,
Mais fier sous le haillon, la taille exagérée,
Et donnant à son verbe un accent de grandeur.


Des choses de la Fable ayant quelque teinture,
Il va distribuant les noms olympiens :
Jupiter et Junon, Mars, Apollon, Mercure.
L’Olympe avait de quoi nommer beaucoup de chiens.

Or, quand le franc chasseur eut dénoué sa guêtre,
Quand il eut détaché son poudreux attirail,
Il sourit à sa bête, et, du ton d’un bon maître :
« Sois tranquille, dit-il, je pairai ton travail.

» Aux courses de Ceyreste, autrefois j’eus la gloire
De remporter le prix ; ah ! j’étais jeune alors !
Ce fut un plat d’argent : serré dans mon armoire,
Ce plat et deux couverts sont mes humbles trésors.

» Si le roi, par hasard, passait par ce village,
On dit qu’il servirait pour le repas du roi.
Eh bien, royale bête, à l’heure du potage,
Le roi ne venant pas, il servira pour toi. »

Et, comme l’avait dit l’homme à la gibecière,
Quand on dîna le soir sous le toit indigent,
Vénus à son côté, sans en être plus fière,
Mangea son pain trempé dans le grand plat d’argent.