Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 139-141).

XV

LE DÉMON DE MIDI

La plaine au loin blanchit et semble une eau qui fume.
Des profondeurs du ciel dont la voûte s’allume,
Juillet lance d’aplomb ses javelots de feu.
On ne sait où marcher sous le grand dôme bleu,
Pas une ombre ; partout les ardeurs sont égales.
On s’arrête, on n’entend que le chœur des cigales,
Que ce cri continu comme un scintillement,
Et qui semble ajouter à l’éblouissement.

Le bois seul, au passant qui du grand jour s’exile,
Offre de ses rameaux l’impénétrable asile.
Frais ombrages, salut ! Le promeneur enfin

Peut respirer, choisir un lit de gazon fin,
Admirer, à travers les arcades sans nombre,
Ce jour mystérieux que tamise leur ombre,
Voir les chênes touffus se mêler aux pins verts,
Et, paresseusement, rêver les yeux ouverts.

À son rêve pourtant imprudent qui se livre !
L’influence des bois est puissante, elle enivre.
Tel honnête croyant qui, sans songer à mal,
Voulait fuir seulement un soleil tropical,
Pour peu qu’il ait traduit un demi-chant d’Homère,
Se prend à regretter mainte folle chimère.
Il pense que les dieux — ainsi pensait Boileau —
Ne méritaient pas tous d’être jetés à l’eau,
Et que du moins, au jour des rigueurs vengeresses,
Il eût été courtois d’épargner les déesses !

Alors, s’il voit briller dans l’épaisseur du bois
Une blanche lueur, — si, prenant une voix,
Les brises de midi courent dans les feuillées :
« Oh ! dit-il, est-ce vous, seriez-vous réveillée,
Nymphes au pied furtif, dryades, folles sœurs,
Que poursuivaient jadis les faunes ravisseurs ?
Daphné, Syrinx, Églé, dans l’ombre verte et douce,

Venez-vous près de moi vous jouer sur la mousse,
Ou, dans cette fontaine au transparent bassin,
Vous plonger à demi, jeune et folâtre essaim ?
Cherchant pour ta ceinture un feston de liane,
Vas-tu venir, Cypris ? Et toi, fière Diane,
Vais-je te voir passer, telle qu’au temps ancien,
Quand sonnait à ton dos le carquois lycien,
Et que, par le soleil la gorge un peu brunie,
Tu menais sur l’Ida tes chiens de Laconie ? »