Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 137-138).

XIV

REGRET

La plaine est devant moi, roulant ses épis d’or.
Ici, le tertre vert où la faneuse dort,
Sur sa gerbe, à l’écart, mollement accoudée.

Vers le sud, un vieux bourg découpe dans les airs
Ses murs démantelés, ses tours, ses toits déserts :
On dirait un hameau de l’antique Judée.

Là, sur le ruisseau clair qui fuit dans les cailloux,
Se penchent les ormeaux, les lentisques, les houx,
Et, d’une berge à l’autre, ils croisent leurs feuillages.


Il est midi : le ciel est d’un azur profond.
Nul bruit en ce doux lieu, sinon le bruit que font
Autour des grands pavots les abeilles volages.

Scène heureuse ! le cœur, à loisir dilaté,
En savoure le charme et la sérénité.
Un seul regret se mêle à l’extase divine :

Que ne vous baissez-vous, coteaux de l’horizon,
Pour que je puisse voir, du seuil de la maison,
La mer, par vous cachée, et cependant voisine !

Oh ! du milieu des champs, sous un ciel calme et pur,
La voir, même de loin, cette nappe d’azur
Où reluit au soleil plus d’une voile blanche !

Voir à travers les bois, diaphanes réseaux,
La grande mer sourire, — et, comme des oiseaux,
Les barques de pêcheurs passer de branche en branche !