Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 123-125).

X

PENDANT LA MOISSON

En juillet, par le plein soleil,
Cherchant un peu d’ombre, un lit d’herbes,
Des moissonneurs au front vermeil
S’étaient assis près de leurs gerbes.

Sous un vieux frêne hospitalier,
Oubliant le poids des faucilles,
Ils mangeaient, cercle familier
De joyeux gars, de brunes filles.

C’était un charme de les voir
Échanger entre eux les rasades,
Et rompre gaîment leur pain noir,
Et croquer les vertes salades.


Le taillis, les eaux, les grands blés,
La terre même qui poudroie.
Autour des groupes attablés
Tout respirait amour et joie.

Deux musiciens passant par là,
Vagabonds d’aspect germanique,
À grands cris on les appela :
« Faites-nous donc votre musique ! »

Eux d’obéir. L’un, svelte et blond,
Figure étrange, mais honnête,
Fit résonner le violon,
L’autre chanter la clarinette.

Sonores échos d’outre-Rhin,
Chansons de l’errante Bohême :
La cigale au bruyant refrain
Se tut, — quoique artiste elle-même.

Que de voluptés à la fois
Pour la friande compagnie !
On eût dit un festin de rois,
Accompagné de symphonie.


Quand le duo mélodieux
S’interrompait de courtes pauses,
Les sous pleuvaient à qui mieux mieux
Aux pieds des humbles virtuoses.

Et moi, du seuil de la maison
Regardant la scène à distance,
Je pensais : Montaigne a raison,
« Les gueux ont leur magnificence ! »