Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 126-127).

XI

LA MONTRE D’ARGENT

Dans mon village somnolent,
Il est une pauvre boutique
Qu’un plat à barbe de fer-blanc
Désigne à l’œil de la pratique.

Un miroir fêlé sur le mur,
Dans l’angle une étroite étagère.
Entrez ; l’artiste, d’âge mûr,
A cependant la main légère.

Monsieur le baron, l’autre soir,
Renversé sur la longue chaise,
En bon prince, offrait au rasoir
Son triple menton d’homme obèse.


On causait. Notre hobereau,
Familier suivant sa coutume :
« Quelle heure est-il, mons Figaro ? »
Fit-il, d’un nez blanchi d’écume.

Mons Figaro de son gilet
Tire une montre vénérable,
Et dit l’heure à l’homme replet
Qu’attend un rendez-vous de table.

D’horlogerie humble instrument,
La montre était vieille, était lourde.
Monsieur de rire incongrûment :
« D’où diable tient-il cette gourde ?

» — De qui je tiens, dit le barbier,
De qui je tiens cette relique ?
De mon père, un ancien troupier,
Soldat mort sous la République ! »

L’autre, à ce mot, eut un sursaut
Sous le rasoir du camarade.
De là vient que le nez d’un sot
Fut marqué d’une estafilade.