Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 58-59).

XVI

LE VERGER


Agile, adroit, — cheveux livrés aux folles brises,
L’ainé de la famille, enfant de quatorze ans,
Oublieux de l’école et des heures assises,
Grimpe à cheval dans l’arbre aux longs rameaux luisants
                   Où pendent les cerises.

Les autres sont au pied, jeunes fronts plus petits,
Accourus cependant comme un essaim d’abeilles.
Ils regardent là-haut, l’un par l’autre avertis,
Cette branche, ce brin, dont les grappes vermeilles
                  Tentent leurs appétits.


« À toi, dit l’écolier, à toi, Pierre, et sois leste !
À toi, Rose ! à deux mains ouvre ton tablier.
Jeanne ! ton frais butin n’est pas le plus modeste.
Enfin, toi, cher petit, que j’allais oublier,
                   Attrape ce qui reste ! »

De ce petit, hélas ! qui tend la main trop tard,
L’espérance est déçue, et l’écolier s’en joue.
Mais Rose, tendre cœur et limpide regard,
Vient à lui, dont les pleurs déjà mouillent la joue,
                   Et lui donne sa part.

Non loin, sur le banc vert, immobile en sa pose,
La mère voit le groupe et reste l’admirant :
Et, tandis que son cœur tout entier s’y repose,
L’ombrelle sur son front, asile transparent,
                   Jette un beau reflet rose !

Auprès d’elle, un oiseau perche dans le buisson,
Gai bouvreuil dont la voix donne toute sa gamme :
La mère, à ce refrain, sent comme un doux frisson,
Et croit du bonheur pur qui chante dans son âme
                   Entendre la chanson !