Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 26-31).

VI

JOURNAL DE CAMPAGNE

À UN JOURNALISTE

Tu demandes, cher indiscret,
Ce que je fais du temps qui passe ?
J’écris au bord de ma forêt.
Et j’ai toute la plaine en face ;

J’écris le journal du printemps,
Dont l’arbre me fournit les feuilles,
Et les zéphyrs seront contents
Si, par eux offert, tu l’accueilles !


Parmi la verveine et le thym,
Parure de mon frais pupitre,
Nous le fondâmes un matin,
Dès que j’en eus trouvé le titre.

Journal des prés, journal des bois,
Courrier de la saison nouvelle,
Pour récrire, un oiseau parfois
Donne une plume de son aile.

Quoique riche en morceaux fleuris,
C’est un journal modeste et sage ;
Il n’a pas de premier-Paris,
Mais il a son premier-village.

On y travaille à prix divers :
Nous payons faiblement la prose,
Et ne donnons rien pour les vers.
Chez vous, comment fait-on la chose ?

Il a pourtant vingt rédacteurs,
L’arbre, l’oiseau, le vent lui-même.
Aura-t-il autant de lecteurs ?
Ah ! voilà l’éternel problème.


Nous l’écrivons, quoi qu’il en soit,
L’espoir nous soutenant encore,
Et, de bonne heure, on le reçoit
Tout mouillé des pleurs de l’aurore.

Est-ce un journal officiel ?
Quelle est sa couleur et sa ligne ?
Il est de la couleur du ciel,
Malgré plus d’un qui s’en indigne.

Comme il n’a jamais dit de mal
Du Dieu, père de la nature,
On l’a traité de clérical,
Mais il a ri de cette injure.

La franchise est dans ses penchants.
Il est pour tout dire et bien faire.
La vieille liberté… des champs
Est l’ancien parti qu’il préfère.

Aussi, là-haut, présentement,
Lui cherche-t-on parfois querelle.
Il eut un avertissement
En avril, sous forme de grêle[1].


On a parlé de la prison,
Ce qui nous a rendus très-sages.
Notre gérant est un pinson
Qui n’aime pas encor les cages.

Donc, les sujets trop palpitants,
En quarantaine on les renvoie ;
Mais de la pluie et du beau temps,
On peut s’en donner à cœur joie.

Nous adorons les faits divers ;
Tout nous est bon… surtout le crime.
Car il convient à l’univers
Qu’on le réprime… et qu’on l’imprime !

On trouve encore à chaque pas
Des faits de nature émouvante,
Et ceux que l’on ne trouve pas,
Ma foi, tant pis, on les invente.

Le scandale étant recherché,
Nous l’admettons : si quelque rose
A commis dans l’ombre un péché,
Vite, nous divulguons la chose.


Un roitelet, à l’entre-sol,
Écrit chez nous : c’est le critique.
Il n’entend pas un rossignol
Sans le trouver faible en musique.

« Tout s’en va, dit-il, de travers,
Avril exhale une odeur rance.
Les arbres jadis étaient verts ;
Aujourd’hui, quelle différence ! »

Nos feuilletons de main en main
Sont enlevés, ils font merveille,
Remettant sans cesse à demain
Ce qu’ils pourraient dire la veille.

L’annonce avant eux fait son bruit.
Nous préparons un vrai modèle,
Avec ce titre qui séduit :
« L’Enlèvement d’une hirondelle. »

Bref, nos efforts sont redoublés.
Le journal puise à chaque source.
Il dit comment poussent nos blés,
Ce sont ses hausses de la Bourse.


Et puis les eaux, et puis les fleurs,
Et puis la mode et ses caprices.
Il est bon d’avoir des lecteurs,
Il est mieux d’avoir des lectrices.

Prends cette feuille de bon ton,
Je ne la vends pas, je la donne ;
Et pour tout dire… un hanneton
De temps en temps s’y désabonne !

  1. Écrit en 1866.