Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 23-25).

V

LES IMAGES D’UN SOU

Salut, Vierge ! — tableau qui n’es d’aucune école ;
Pierre, muni des clefs que Jésus te donna !
Salut, jeune vainqueur, passant le pont d’Arcole !
Salut, bon saint Joseph ! — Salut, fier Masséna !

Je vous aime, dessins naïfs, simples ébauches,
Suspendus au foyer du travailleur des champs.
Dures sont vos couleurs, vos traits sont lourds et gauches ;
Mais vous n’en êtes pas à mes yeux moins touchants.

Murat sous le dolman a l’épaule un peu torte
Ney, devant l’ennemi, fait un saut de tremplin ;
Sainte Agathe a vraiment trop de rouge. — N’importe,
D’un respect attendri je me sens le cœur plein.


Le riche en son palais montre des toiles rares ;
Van Dyck, Rembrandt, Corrége en décorent les murs.
Le pauvre n’a que vous pour tableaux et pour lares ;
Seuls vous lui souriez sous ses lambris obscurs.

Aux petits comme aux grands il fallait des ancêtres,
Des exemples sacrés et de vivants blasons.
Vous, aimés des petits, chers aux groupes champêtres,
Vous êtes leurs aïeux, les chefs de leurs maisons !

Ils se content, le soir, près de l’âtre qui brille,
Les faits par qui vos noms devinrent glorieux ;
Et vous initiez la modeste famille
À toutes les grandeurs de la terre et des cieux.

Dans notre vieille France il n’est pas de chaumière
Où l’on ne vous retrouve au mur crépi de chaux,
Symboles de foi pure ou de vertu guerrière,
Apôtres et martyrs, et vous, fiers maréchaux !

De deux religions vous nourrissez les flammes ;
Chacun de vous répand de sublimes leçons :
Vierges, à la pudeur vous élevez les femmes ;
Soldats, vous enseignez la bravoure aux garçons.

 

Ah ! sur cet humble mur, que rien ne vous remplace.
Devant nos paysans restez, naïfs dessins :
Faites vivre à jamais chez cette forte race
Le culte des héros et le culte des saints !

Entre le lit de serge et l’indigente armoire,
Que la mère toujours les montre à ses enfants,
Et que, chaque printemps, l’héroïsme et la gloire
Croissent dans nos pays avec les fleurs des champs !