La Vie nouvelle/Chapitre XX


La Vita Nuova (La Vie nouvelle) (1292)
Traduction par Maxime Durand-Fardel.
Fasquelle (p. 67-68).


CHAPITRE XX


Après que cette canzone eut été un peu répandue dans le monde, comme quelqu’un de mes amis l’avait entendue, il voulut me prier de dire ce que c’est que l’amour[1], s’étant d’après cela fait de moi peut-être une opinion exagérée. De sorte que je pensai qu’après avoir écrit ce qui précède, il serait bon de dire quelque chose de l’amour, et, pour obliger mon ami, je me décidai à consacrer quelques mots à ce sujet.

Amour et noblesse de cœur sont une même chose[2],
Comme l’a dit le poète.
C’est ainsi que si l’un ose aller sans l’autre
C’est comme si l’âme raisonnable allait sans la raison.
Quand la nature est amoureuse,
L’Amour devient son maître et le cœur est sa demeure.
C’est là qu’il se repose quelquefois un instant,
Et quelquefois y séjourne longtemps.
Puis la beauté apparaît dans une femme sage[3],
Et elle plaît tellement aux yeux que dans le cœur
Naît un désir de la chose qui plaît.
Et ce désir persiste en lui assez
Pour éveiller un désir d’amour.
C’est la même chose qu’un homme de valeur éveille chez une femme[4].



  1. Cet ami serait Forese, parent de sa femme Gemma, qui a accompagné les deux poètes quelques instans dans le Purgatoire (Giuliani). Le Poète est Guido Guinicelli (a cor gentil ripara sempre amore).
  2. Amore e cor gentil sono una cosa
  3. Saggia donna. Saggia doit avoir ici une extension particulière et qui répond à uomo valente du dernier vers.
  4. Commentaire du ch. XX.