La Vie du Bouddha (Herold)/Partie III/Chapitre 8

L’Édition d’art (p. 221-224).



VIII


Il alla, un jour, revoir le pays de Râjagriha.

Un brahmane, nommé Bhâradvâja, s’était établi aux champs, non loin de la ville. On était au temps de la moisson, et le brahmane, avec ses serviteurs, célébrait une fête paisible. On riait et l’on chantait. Le Maître passa, il tendait son vase à aumônes ; certains le reconnaissaient, ils le saluaient, et ils lui faisaient des dons affectueux. Bhâradvâja en fut mécontent ; il vint à lui, et, d’une voix assez rude, il lui dit :

« Ne reste pas parmi nous, moine ; ta vie n’est pas d’un bon exemple. Nous travaillons, nous ; nos yeux actifs observent les saisons ; au jour voulu, mes serviteurs labourent, au jour voulu, ils sèment ; je laboure et je sème avec eux ; et l’heure vient où nous récoltons le fruit de nos travaux. Nous nous donnons, nous-mêmes, notre nourriture, et, quand nous l’avons engrangée, nous nous reposons à bon droit et nous nous réjouissons. Toi, tu cours les rues et les routes, et la seule peine que tu daignes prendre est de présenter un vase à ceux que tu rencontres. Mieux vaudrait pour toi travailler, mieux vaudrait labourer et semer. »

Le Maître répondit en souriant :

« Comme toi, ami, je laboure et je sème ; et, le travail accompli, je mange.

— Tu laboures ? tu sèmes ? reprit Bhâradvâja. Comment te croirai-je ? Où sont tes bœufs ? Où sont tes grains ? Où est ta charrue ? »

Le Maître dit alors :

« La pureté de la connaissance, voilà le grain illustre que je sème. Les œuvres saintes sont la pluie qui féconde le sol où il germe. Je pousse une charrue puissante : elle a pour soc la sagesse et pour manche la loi ; un bœuf solide y est attelé : la foi qui agit. Dans les champs que je laboure meurt l’herbe mauvaise, le désir, et j’ai la plus belle des récoltes, le nirvâna. »

Il continua son chemin, mais le brahmane Bhâradvâja le suivit, décidé, maintenant, à écouter sa parole.

Quand ils entrèrent dans la ville, le peuple, sur une place, admirait une troupe de danseurs. La fille du chef attirait surtout les regards. Elle était belle et gracieuse entre les femmes, et, des qu’elle paraissait, ceux qui ne s’étaient point domptés brûlaient de connaître tout son amour. Elle s’appelait Kouvalayâ.

Elle venait de danser. Les yeux de tous étaient ardents. Elle n’ignorait rien de sa puissance, et, pleine d’audace et d’orgueil, elle cria à la foule :

« Admirez-moi, seigneurs ! Y a-t-il dans Râjagriha, un être dont la beauté surpasse, égale même la beauté de Kouvalaya ?

— Oui, femme, répondit le brahmane Bhâradvâja ; qu’est ta beauté au prix de la beauté du Maître ?

— Je veux voir ce Maître si beau, reprit Kouvalayâ, qu’on me mène devant lui.

— Le voici, » dit le Bienheureux.

Et il s’avança.

La danseuse le regarda longuement.

« Tu es beau, dit-elle enfin. Je danserai pour toi. »

Elle dansa. La danse fut lente d’abord. Kouvalayâ s’était enveloppée de tous ses voiles ; à peine soupçonnait-on l’éclat de son visage : on songeait aux nuits où la reine des étoiles reste sous de tendres nuages. Un nuage s’envola, de légers rayons brillèrent. La danse se faisait plus rapide ; un à un, les voiles tombaient, l’astre apparaissait dans sa gloire. La femme tourbillonnait ; une grande lumière éblouissait les yeux. Brusquement, la femme s’arrêta ; elle était nue. Tous haletaient vers elle.

« Malheureuse ! » dit le Bouddha.

Il la regarda fixement. Et voici que les joues de Kouvalayâ se dessèchent, que son front se ride, que ses yeux se ternissent. Il ne lui reste, dans la bouche, que quelques dents misérables ; de son crâne, pendent tristement des mèches rares, toutes grises ; son dos se voûte : la châtiant comme les filles de Mâra, quand elles avaient voulu le tenter, le Bienheureux a fait de la belle danseuse une vieille à la peau racornie.

Elle soupire :

« Maître, je comprends quelle fut mon erreur ! J’étais vaine d’une beauté passagère. Ta leçon fut un peu rude, mais je sens qu’un jour viendra où je serai heureuse de l’avoir reçue. Souffre qu’on m’enseigne les saintes vérités, et que, bientôt, je sois à jamais délivrée d’un corps qui, même quand il charmait les yeux des hommes, n’était qu’un cadavre nauséabond. »

Le Maître accueillit la prière de Kouvalayâ, qui devint une des plus ferventes parmi les fidèles du Bouddha.