La Vie du Bouddha (Herold)/Partie III/Chapitre 3

L’Édition d’art (p. 202-206).



III


Quand, au bout de trois mois, il descendit du ciel, le Maître prit la route de Çrâvastî. Il approchait du parc de Jéta quand il fut croisé par une jeune fille. Cette jeune fille était la servante d’un riche habitant de la ville qui, ce jour-là, était allé aux champs ; elle lui apportait pour son repas un vase plein de riz. À la vue du Bouddha, elle se sentit toute joyeuse.

« C’est le Maître, pensait-elle, c’est le Bienheureux. Je le vois, je suis tout près de lui. Ah, quel saint plaisir j’aurais à lui faire une aumône ! Mais je n’ai rien à moi. »

Elle soupira. Ses regards tombèrent sur le vase de riz :

« Ce riz… Le repas de mon maître… Mon maître ne peut réduire en esclavage une esclave. Il peut me frapper : que m’importent les coups ? Il peut m’enchaîner : les chaînes me seront légères. Je donnerai le riz au Bienheureux. »

Elle fit ce qu’elle avait décidé. Le Bienheureux entra dans le parc de Jéta, et la jeune fille, les yeux pleins de sourires, alla trouver son maître.

« Et mon riz ? lui demanda-t-il, du plus loin qu’il l’aperçut.

— Je l’ai donné en aumône au Bouddha. Châtie-moi, si tu veux ; je n’aurai point de larmes, tant mon acte me rend joyeuse. »

L’homme ne punit pas la jeune fille. Il baissa la tête et il dit :

« Non, je ne te punirai pas. Je dors et tu veilles. Va : d’aujourd’hui, tu n’es plus esclave. »

La jeune fille salua l’homme.

« Si tu me le permets, dit-elle, j’irai dans le parc de Jéta, et je solliciterai du Bienheureux la faveur d’être instruite dans la loi.

— Va, » dit l’homme.

Elle alla au parc de Jéta, elle écouta les leçons du Bouddha et elle devint une des plus saintes parmi les femmes de la communauté.

En même temps que la jeune esclave, Souprabhâ entendait l’enseignement du Bienheureux. Souprabhâ était la fille d’un des hommes les plus considérables de Çrâvastî. Elle était si belle qu’on ne pouvait la voir sans l’aimer, et tous les jeunes gens qui tenaient quelque rang dans la ville la voulaient pour femme. Son père se demandait souvent : « À qui la donnerai-je ? De tous ceux à qui je la refuserai je me ferai des ennemis. »

Et, de longues heures, il demeurait pensif.

Un jour, elle lui demanda :

« Père chéri, tu sembles soucieux. Pourquoi ?

— Ah, ma fille, répondit-il, c’est toi seule qui causes mes soucis. Combien sont-ils dans Çrâvastî, qui te veulent pour femme ?

— Tu crains de choisir parmi ceux qui m’aiment, dit Souprabhâ. Les malheureux ! Ils ne savent guère où vont mes pensées ! Sois sans inquiétude, mon père. Ordonne-leur de s’assembler, et, suivant l’ancienne coutume, j’irai parmi eux, et je désignerai celui qui sera mon époux.

— C’est bien, ma fille, j’agirai d’après ton désir. »

Le père de Souprabâ fut reçu par le roi Prasénajit, et il obtint qu’un héraut proclamât par la ville :

« Dans sept jours, aura lieu l’assemblée des jeunes hommes qui prétendent à Souprabhâ ; la jeune fille choisira elle-même son époux. »

Le septième jour, les prétendants, en grand nombre, se réunirent dans un jardin magnifique que possédait le père de Souprabhâ. Elle parut ; elle était sur un char, et elle avait à la main un étendard jaune où était peinte l’image du Bienheureux. Elle chantait ses louanges. Tous la regardaient avec stupeur, et se demandaient : « Que va-t-elle nous dire ? »

Elle parla enfin aux jeunes hommes :

« Je ne puis aimer aucun de vous, mais ne croyez pas que je vous méprise. L’amour n’est pas le but de ma vie ; c’est auprès du Bouddha que je veux me réfugier. J’irai dans le parc où il séjourne, et de lui j’apprendrai la loi. »

Les jeunes gens se retirèrent pleins de tristesse, et Souprabhâ se rendit au parc de Jéta. Elle entendit la parole du Bienheureux ; elle fut admise dans la communauté, et il n’y avait point de nonne qui fut plus zélée qu’elle.

Un jour qu’elle était sortie des pieux jardins, elle fut reconnue par un de ceux qui l’avaient aimée. Il avait avec lui quelques amis.

« Il faut, dit-il, que nous enlevions cette femme. Je l’ai aimée, je l’aime encore, elle m’appartiendra. »

Les amis applaudirent au projet du jeune homme. Souprabhâ fut entourée, sans qu’elle s’aperçût de rien, et, tout à coup, on se précipita sur elle. Mais, comme on allait la saisir, elle envoya sa pensée vers le Bouddha, et aussitôt elle s’éleva dans les airs. Le peuple accourait ; Souprabhâ, quelque temps, plana sur lui, puis, d’un vol majestueux et pur comme le vol des cygnes, elle regagna la demeure sacrée.

Et des cris montaient vers elle :

« Sainte, ô sainte, tu nous rends manifeste la puissance des fidèles, la puissance du Bouddha. Sainte, ô sainte, il ne serait pas juste que tu fusses condamnée aux mortels plaisirs de l’amour. »