La Vie du Bouddha (Herold)/Partie III/Chapitre 2

L’Édition d’art (p. 198-202).



II


De Vaiçâlî, le Maître alla à Çrâvastî, dans le parc de Jéta.

Un jour, le roi Prasénajit vint le visiter.

« Seigneur, dit le roi, six ascètes, qui ne suivent point ta loi, sont arrivés naguère à Çrâvastî. Ils prétendent m’émerveiller par des prodiges sans nombre, et ils affirment que ta science n’égale point la leur. Je crois mensongers les dires de ces hommes, mais il importe, Seigneur, que tu confondes leur audace. Le salut des créatures dépend de ta gloire. Parais donc, et réduis au silence les fourbes et les imposteurs. »

— Roi, répondit le Bouddha, ordonne qu’une grande salle soit construite, près de la ville. Qu’elle soit achevée dans sept jours. Je m’y rendrai ; toi, fais que s’y rendent les mauvais ascètes. Tu verras alors qui, d’eux ou de moi, accomplit les plus grands prodiges. »

Prasénajit donna l’ordre de construire la salle.

Les ascètes menteurs, en attendant le jour de l’épreuve, tentaient de circonvenir les fidèles du Maître, et ils en voulaient à tous ceux qui les éconduisaient. Or, le Maître n’avait pas, à Çrâvastî, d’ami plus sûr qu’un frère de Prasénajit, le prince Kâla. Kâla avait manifesté aux six ascètes le plus vif mépris : ils avaient résolu de se venger cruellement.

Kâla était très beau, et, un jour qu’il traversait le jardin royal, une femme de Prasénajit, qui s’y promenait, lui jeta, par jeu, une guirlande de fleurs. Les ascètes apprirent l’aventure, et ils dirent au roi que son frère avait voulu séduire une de ses femmes. À cette nouvelle, le roi fut pris de fureur, et, sans permettre à Kâla de se justifier, il lui fit couper les mains et les pieds.

Le malheureux Kâla se lamentait ; ses amis pleuraient autour de lui. Un des ascètes méchants vint à passer.

« Montre ta puissance, lui cria-t-on. Tu sais que Kâla est innocent. Guéris-le !

— Il croit au fils des Çâkyas, répondit l’ascète. C’est au fils des Çâkyas qu’il appartient de le guérir. »

Alors, Kâla se mit à chanter :

« Comment le Maître des mondes ne voit-il pas ma misère ? Adorons le Seigneur qui n’a plus de désir, le Bienheureux qui prend pitié des créatures ! »

Et tout à coup, Ananda se dressa devant lui :

« Kâla, dit-il, le Maître m’a enseigné les paroles qui te guériront. »

Il récita quelques vers et aussitôt le prince se retrouva en pleine santé.

« Ah, s’écria-t-il, je servirai désormais le Maître. Qu’il me charge des plus viles besognes : pour lui plaire, je m’en acquitterai avec joie. »

Et il suivit Ananda vers le parc de Jéta. Le Maître l’accueillit avec faveur et il l’admit dans la communauté.

Le jour arriva où le Maître devait se mesurer avec ses adversaires. Dès le matin, le roi Prasénajit se rendit à la salle qu’il avait fait construire. Les six ascètes étaient déjà là. Ils se regardaient en souriant.

« Roi, dit l’un d’eux, nous sommes les premiers au rendez-vous.

— Celui que nous attendons viendra-t-il seulement ? ajouta un autre.

— Ascètes, dit le roi, ne le raillez pas. Vous savez comment, par son ordre, un de ses disciples a guéri mon frère, que j’avais condamné injustement. Il viendra. Peut-être même, sans que nous le sachions, est-il déjà parmi nous. »

Comme le roi se taisait, une nuée lumineuse envahit la salle. Elle se fit de plus en plus légère, elle se fondit dans la clarté du jour, et, parmi des rayons d’or, apparut le Bouddha. Derrière lui se tenaient Ananda et Kâla : Ananda avait à la main une fleur rouge, Kâla une fleur jaune et jamais on n’avait vu, dans les jardins de Çrâvastî, s’épanouir de fleurs pareilles à l’une ni à l’autre.

Prasénajit admirait. Les ascètes méchants ne riaient plus.

Le Bienheureux parla :

« Le ver luisant brille aux regards tant que se cache le soleil, mais aussitôt qu’éclate l’astre, le ver misérable s’éteint. Les imposteurs parlaient très haut tant que se taisait le Bouddha ; mais voici que le Bouddha parle, et, pleurant de peur, ils se taisent. »

Les ascètes étaient pleins d’inquiétude. Ils sentaient que le roi n’avait pour eux que du mépris, et ils baissaient la tête avec honte.

Tout à coup, le toit de la salle disparut, et, sur la voûte du ciel, d’orient en occident, le Maître traça un large chemin qu’il se mit à parcourir. En voyant ce prodige, le plus insolent des adversaires s’enfuit de terreur ; longtemps, il courut ; il se croyait poursuivi par une meute hurlante ; il arriva sur le bord d’un étang, et, une pierre au cou, se jeta dans l’eau. Un pêcheur, le lendemain, retrouva son corps.

Le Maître, cependant, avait créé un double de lui-même, avec qui il allait sur le chemin céleste. Et l’on entendit sa grande voix qui disait :

« Ô mes disciples, je monte au séjour des Dieux et des Déesses. Mâyâ, ma mère, m’y réclame : je dois lui enseigner la loi. Trois mois je resterai près d’elle. Tous les jours pourtant, je descendrai sur terre, et Çâripoutra, seul, saura où me trouver ; d’après mes ordres, il réglera votre conduite. Et, à l’heure où je serai loin du ciel, je laisserai avec ma mère, pour qu’il l’instruise, cet être, que je viens de créer à mon image. »