La Vie du Bouddha (Herold)/Partie III/Chapitre 13

L’Édition d’art (p. 242-245).



XIII


Bien que revenu au Bouddha, le roi Ajâtaçatrou avait encore des mouvements de colère ; pour une querelle entre un homme de Rijâgriha et un homme de Çrâvastî, il déclara la guerre au roi Prasénajit.

Il réunit une armée nombreuse ; on y voyait des fantassins et des cavaliers ; des soldats étaient montés sur des chars, d’autres étaient enfermés dans des tours que portaient des éléphants. Les épées et les lances luisaient au soleil.

Le roi Prasénajit rassembla aussi ses troupes ; lui aussi avait des chars, lui aussi avait des chevaux et des éléphants. Il alla au-devant d’Ajâtaçatrou.

La bataille fut terrible. Elle dura quatre jours. Le premier jour, Prasénajit perdit ses éléphants ; le second jour, il perdit ses chevaux ; le troisième, furent détruits ses chars ; et, le quatrième, ses fantassins périrent ou furent faits prisonniers ; et lui-même, vaincu, épouvanté, s’enfuit sur le seul char échappé au désastre, et gagna en hâte Çrâvastî.

Là, dans une salle obscure, il était affalé sur un siège bas ; il restait morne, silencieux ; il ne bougeait point ; on l’aurait cru mort, si de grosses larmes n’eussent coulé de ses yeux.

Un homme entra : c’était le marchand Anâthapindika.

« Seigneur, dit-il, puisses-tu vivre longtemps, et que te revienne la victoire !

— Tous mes soldats sont morts, gémit le roi, tous mes soldats sont morts ! Mes soldats ! Mes soldats !

— Cesse de gémir, ô roi, lève une nouvelle armée.

— J’ai perdu mes richesses à lever la première.

— Roi, dit Anâthapindika, je te donnerai l’or nécessaire à ta victoire. »

Vivement, Prasénajit fut debout.

« Merci, Anâthapindika, s’écria-t-il, tu m’auras sauvé ! »

Grâce à l’or d’Anâthapindika, Prasénajit leva une armée formidable. Il marcha contre Ajâtaçatrou.

Le choc des deux troupes épouvanta les Dieux mêmes. Prasénajit essayait un ordre de bataille que des hommes, venus de pays lointains, lui avaient enseigné. Son attaque fut rapide, et Ajâtaçatrou ne sut pas se défendre. Il connut la défaite à son tour, et il tomba, vivant, aux mains de l’ennemi.

« Tue-moi, cria-t-il à Prasénajit.

— Je t’épargnerai, dit Prasénajit. Je te conduirai devant le Maître bienheureux, et c’est lui qui décidera de ta destinée. »

Le Maître était, depuis peu, arrivé au parc de Jéta. Prasénajit lui dit :

« Vois, ô Bienheureux, le roi Ajâtaçatrou, qui est mon prisonnier. Il me hait, et je ne le hais point ; pour une raison futile, il a marché contre moi ; il m’a vaincu d’abord, mais maintenant il est à ma merci. Je ne veux pas le tuer, et, en souvenir de son père Vimbasâra, qui était mon ami, j’incline à lui rendre la liberté.

— Rends-lui la liberté, dit le Maître, la victoire enfante la haine ; la défaite enfante la douleur. Le sage renonce à la victoire aussi bien qu’à la défaite. De l’injure naît l’injure, de la colère naît la colère. Le sage renonce à la victoire aussi bien qu’à la défaite. Tout meurtrier tombe sous les coups d’un meurtrier, tout vainqueur tombe sous les coups d’un vainqueur. Le sage renonce à la victoire aussi bien qu’à la défaite. »

Devant le Maître, Ajâtaçatrou promit d’être désormais le fidèle ami de Prasénajit.

« Et, ajouta-t-il, soyons plus qu’amis. J’ai un fils, tu le sais, et tu as une fille, Kshemâ, qui n’est point encore mariée. Veux-tu donner ta fille à mon fils ?

— Qu’il en soit ainsi, dit Prasénajit, et que l’union des enfants assure à jamais l’amitié des pères. »

Le Maître approuva les deux rois. Il n’y eut plus, entre eux, le moindre différend, et Ajâtaçatrou devint le plus doux des hommes.