La Vie du Bouddha (Herold)/Partie II/Chapitre 20

L’Édition d’art (p. 188-191).



XX


Le Maître était dans un grand bois qui lui avait été donné près de la ville de Vaiçâî, quand il apprit son père, le roi Çouddhodana, venait de tomber malade. Le roi était très vieux, la maladie était grave, il allait mourir, on n’en pouvait douter, et le Maître, ayant résolu de le voir, prit, à travers l’espace, son vol vers Kapilavastou.

Le roi était couché tristement. Il avait le souffle haletant. La mort était toute proche. Pourtant, à la vue de son fils, il eut un sourire. Et le Maître parla :

« Tu as parcouru une longue route, ô roi, et, toujours, tu t’es efforcé vers le bien. Tu n’as pas connu les mauvais désirs, tu as été sans haine, et ton esprit n’a pas été aveuglé par la colère. Heureux celui qui du bien a fait sa coutume ! Quand on mire son visage dans une onde limpide, on est heureux si l’on n’y voit point de taches ; mais comme on est plus heureux encore quand, à l’examen de son esprit, on sent qu’il est pur ! Ton esprit est pur, ô roi, et ta mort est calme comme un beau soir.

— Bienheureux, dit le roi, je comprends aujourd’hui l’inconstance des mondes. Je suis délivré de tous les désirs ; je suis délivré des chaînes de la vie. »

Une fois encore, il rendit hommage au Bouddha. Puis il se tourna vers les serviteurs qui étaient dans la salle :

« Amis, leur dit-il, j’ai sans doute commis de graves offenses envers vous. Vous ne m’avez jamais manifesté la rancune que vous m’en gardiez : vous étiez des sages ; mais je ne veux pas mourir sans que vous m’ayez pardonné. Les offenses que je vous ai faites étaient involontaires : pardonnez-moi. »

Les serviteurs pleuraient. Ils murmuraient :

« Non, tu ne nous as jamais offensés, seigneur ! »

Çouddhodana reprit :

« Et toi, Mahâprajâpatî, toi qui fus ma pieuse compagne, toi que je vois tout en larmes, apaise ta douleur. Ma mort est une mort heureuse. Et songe à la gloire de l’enfant que tu as élevé ; contemple-le dans toute sa splendeur, et réjouis-toi. »

Il mourut. Le soleil se couchait.

Le Maître dit :

« Voyez tous le corps de mon père. Il n’est plus ce qu’il était. Nul n’a pu vaincre la mort. Qui est né doit mourir. Ayez du zèle pour les œuvres ; marchez dans le chemin qui mène à la sagesse. De la sagesse il faut se faire une lampe, et d’elles-mêmes s’évanouissent les ténèbres. On ne doit pas suivre les lois mauvaises, on ne doit pas planter les racines vénéneuses, on ne doit pas accroître le mal dans le monde. Comme le charretier qui a quitté le grand chemin pleure quand, dans un sentier inégal, il voit se rompre l’essieu, le fou qui s’est écarté de la loi pleure quand il tombe dans la gueule de la mort. Le sage est le flambeau qui éclaire l’ignorant ; il guide les hommes : il a des yeux, et les autres n’en ont point. »

On porta le corps sur un grand bûcher. Le Maître y mit le feu ; et, tandis que brûlait son père, tandis que gémissait le peuple de Kapilavastou, il répétait les vérités saintes :

« Douleur est la naissance, douleur la vieillesse, douleur la maladie, douleur la mort. Ô soif d’être conduit de naissance en naissance ! Soif de pouvoir, soif de jouir, soif d’être, soifs qui créez la douleur ! Soifs mauvaises, le saint vous ignore, le saint qui abolit en lui le désir, le saint qui sait les huit rameaux de la voie pure. »