La Vie du Bouddha (Herold)/Partie I/Chapitre 17



XVII


Les eaux pures de la Nairañjanâ arrosaient une contrée fertile et riche. De beaux arbres y poussaient, autour d’heureux villages, et les prairies y abondaient. Le héros pensa : « Vraiment, ce lieu est aimable ; il semble inviter à la méditation. Peut-être y trouverai-je la voie de la sagesse. J’y veux demeurer. »

Il s’adonna à la plus grave contemplation. Il était si attentif à sa pensée, qu’il ne respirait plus. Et, un jour, il tomba évanoui. Les Dieux qui, du ciel, observaient ses actes, crurent qu’il était mort, et ils gémirent :

« Est-il donc mort, le fils des Çâkyas ? Est-il mort, laissant le monde dans la douleur ? »

La mère du héros, Mâyâ, vivait parmi les Dieux ; elle entendit les plaintes qu’on faisait autour d’elle, et elle craignit pour la vie de son enfant. Dans un cortège d’Apsaras elle descendit sur le bord de la Nairañjanâ ; elle vit Siddhârtha, raide, inerte, et elle pleura.

Elle dit :

« Quand tu naquis dans le jardin, on m’affirma, ô mon fils, que tu contemplerais la vérité. Plus tard, Asita prédit que tu délivrerais le monde. Toutes les prédictions sont mensongères. Tu ne t’es pas illustré par de royales conquêtes, tu n’as pas atteint la science suprême ! Tu es mort, solitaire, tristement. Qui te secourra, ô mon fils ? Qui te rappellera à la vie ? Pendant dix lunes, je t’ai porté dans mon sein, ô mon diamant, et, maintenant, je n’ai plus qu’à gémir. »

Elle jeta des fleurs sur le corps de son fils ; et voici qu’il fit un mouvement, et qu’il parla d’une voix douce :

« Ne crains rien, ma mère : ta peine n’aura pas été inutile ; Asita ne t’a pas menti. Que la terre se brise, que le Mérou s’engloutisse dans les eaux, que les étoiles pleuvent sur la terre, je ne mourrai pas. Seul, parmi les hommes, je survivrai au désastre du monde ! Ne pleure pas, ma mère ! Le temps est proche où j’atteindrai la science suprême. »

Mâyâ sourit aux paroles de son fils ; elle le salua trois fois, et elle remonta au ciel, tandis que chantaient les luths divins.

Pendant six ans, le héros resta au bord de la rivière. Il méditait. Il ne s’abritait ni du vent, ni du soleil, ni de la pluie ; il se laissait piquer par les taons, les moustiques et les serpents. Les jeunes hommes et les jeunes filles qui passaient, les pâtres et les bûcherons lui jetaient parfois de la poussière ou de la boue et lui criaient des railleries : il ne s’en apercevait pas. Il mangeait à peine : un fruit, quelques grains de riz ou de sésame suffisaient à sa nourriture. Et il devint très maigre. Ses côtes et ses vertèbres étaient saillantes. Mais, sous son front desséché, ses yeux agrandis brillaient comme des étoiles.

Pourtant, la vraie science ne se manifestait pas à lui. Et il pensa qu’il devenait très faible, et que, si toutes ses forces s’épuisaient, il n’arriverait point au terme qu’il s’était prescrit. Aussi résolut-il de se mieux nourrir désormais.

Près du lieu où méditait Siddhârtha était un village nommé Ourouvilva. Le chef de ce village avait dix filles ; elles admiraient le héros et elles lui apportaient en aumônes des graines et des fruits. D’ordinaire, il y touchait à peine. Or, un jour, les jeunes filles remarquèrent qu’il avait mangé tout ce qu’elles avaient offert. Le lendemain, elles vinrent avec un grand plat, plein de bouillie de riz ; il le vida. Le jour suivant, chacune apporta un mets différent ; le héros mangea tous les mets. Il commençait à devenir moins maigre ; et, bientôt, il prit la coutume d’aller au village quêter sa nourriture. Les habitants lui faisaient l’aumône, à l’envi, et il redevint fort et beau.

Mais les cinq disciples de Roudraka qui l’avaient accompagné se dirent :

« Ses austérités ne l’ont pas conduit à la vraie science. Et voici qu’il renonce à les pratiquer. Il prend une nourriture abondante. Il recherche le bien-être. Il ne songe plus aux œuvres saintes. Comment, maintenant, parviendrait-il à la vraie science ? Nous l’avons pris pour un sage, nous nous sommes trompés : c’est un fou et un ignorant. »

Ils s’éloignèrent de lui et ils allèrent à Bénarès.