La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre VIII

P. Fort (p. 30-32).

CHAPITRE VIII

MARIE, QUOIQUE VIERGE, SE PURIFIE

Après avoir rempli les formalités légales du recensement, Joseph n’avait plus aucun motif de demeurer à Bethléem, ce village inhospitalier, où on laissait les pucelles accoucher dans les écuries.

Il reprit donc son carton à chapeau, sa femme, son parapluie et son moutard, et se rendit à Jérusalem pour présenter le poupon au Temple, suivant l’usage.

Au huitième jour de la naissance, il était nécessaire de circoncire le petit Jésus, toujours pour se conformer aux prescriptions de la religion israélite.

De graves discussions se sont engagées parmi les savants théologiens catholiques au sujet de cette circoncision : quel a été l’opérateur ? se sont demandé tous les docteurs chrétiens. Le fait est que les Évangiles sont muets sur ce point, qu’il eut été pourtant intéressant d’élucider.

Les plus malins pensent que ce fut Joseph lui-même qui se chargea de pratiquer le rite sacré : le papa nourricier versa donc les premières gouttes du sang divin.

Mais, sans perdre notre temps à examiner si les malins ont raison, constatons la bizarrerie de ce Dieu, qui descend sur la terre expressément pour démolir la religion Israélite et en fonder une autre à sa place, et dont le premier acte (puisque rien ne se produit sans sa volonté) est de se faire consacrer juif.

En opérant la circoncision sur les enfants, on leur donnait un nom. Notre héros reçut celui de Jésus, que l’ange Gabriel avait indiqué à Marie le jour de sa visite à Nazareth. Malgré cela, Jésus fut appelé, pendant sa vie et après sa mort, d’une infinité d’autres noms, parmi lesquels le sobriquet de Christ, qui veut dire « l’Oint ». Un seul prénom a été oublié au catalogue clérical : celui qui a été écrit au commencement de cet ouvrage, prénom que, dans la suite, il se montra digne de porter. On verra plus loin que je n’exagère pas.

Ce n’était pas tout.

D’après la loi de Moïse, il ne suffisait pas de présenter au Temple tout enfant nouveau-né ; il fallait encore purifier la mère.

À toute époque, les clergés ont été habiles à imaginer des expédients pour garnir leur table et remplir leur caisse. La cérémonie de la purification obligeait la femme, que les commandements de l’Église d’alors déclaraient souillée par l’enfantement, à apporter aux curés juifs une colombe et un agneau, ou, à leur défaut, cinq schékels, soit vingt francs de notre monnaie. L’agneau, offert d’abord en holocauste sur l’autel, formait ensuite au presbytère l’élément principal d’un ragoût intime pour le prêtre de service ; quant aux vingt francs, ils étaient également bons à prendre.

Marie ne crut pas devoir se soustraire à l’usage établi. Elle aurait bien pu faire valoir que l’opération du Saint-Esprit ne l’avait nullement souillée, qu’elle était plus vierge que jamais, et que, par conséquent, elle n’avait besoin de purification d’aucune espèce. Il faut donc croire qu’elle n’était pas personnellement aussi persuadée de sa virginité que son charpentier de mari.

Elle fit bien, du reste, d’aller au Temple ; car cela lui procura le plaisir d’y rencontrer le vieux grand-prêtre Siméon, le même qui avait béni son union avec Joseph, et d’entendre ce pontife, chanter un cantique que nous rapporte l’Évangile et qui n’était pas piqué des vers.

Siméon, en dépit de son grand âge, possédait à merveille la mémoire des physionomies. Il reconnut Marion et Joseph du premier coup d’œil, et, quand on lui présenta le petit Jésus, il s’écria en mi bémol :

— Maintenant je puis tourner de l’œil ; cela m’est égal, puisque je viens de voir celui qui sera le salut d’Israël !

Et, comme il était en veine d’improvisation ce jour-là, il ajouta en s’adressant à la maman-vierge :

— Pour ce qui vous concerne, la petite mère, vous n’avez pas autant de chances que votre fils : lui, il sera glorifié par tout notre peuple, tandis que vous, vous aurez le cœur percé par son glaive.

Admirez un peu comme c’est beau, une prophétie.

Siméon prédit à Marie qu’elle aura le cœur transpercé et que Jésus, par contre, sera l’enfant gâté de la nation. Or, la maman n’a jamais eu le cœur percé, et c’est précisément au fils que le peuple juif a infligé ce supplice. Eh bien, interrogez le premier calotin venu, et il vous dira, je vous en réponds, que la prophétie du père Siméon s’est parfaitement réalisée en tous points.

Ce qui prouve que rien n’est aussi facile que d’interpréter les discours des diseurs de bonne aventure. Pour peu qu’on y mette de la complaisance, on peut toujours arriver à se convaincre qu’ils avaient raison.