La Vie amoureuse de madame de Pompadour/13

Ernest Flammarion, éditeur (p. 179-186).


XIII


En 1764, Mme de Pompadour, dont la santé déclinait rapidement, eut une fluxion de poitrine qui aggrava beaucoup la maladie de cœur dont elle souffrait. Elle était à Choisy, quand une crise l’obligea de s’aliter. Le Roi lui prodigua des soins affectueux et ne cessa pas de l’entretenir des affaires publiques.

Elle parut se rétablir et put être transportée à Versailles. Le bruit de sa maladie et de sa guérison courut dans le public et les poètes qui l’avaient toujours aimée, parce qu’ils ne considéraient pas son rôle au triple point de vue de la morale, de la politique et de l’économie politique, célébrèrent son retour à la santé, par de petits vers qui voulaient être prophétiques :

Vous êtes trop chère à la France,
Au dieu des arts et des amours,
Pour redouter du sort la fatale puissance ;
Tous les dieux veillaient sur vos jours,
Tous étaient animés du zèle qui m’inspire,
En volant à votre secours,
Ils ont raffermi leur empire…

Ainsi Palissot se réjouit. Et Favart chante, à propos d’une éclipse :

Le soleil est malade
Et Pompadour aussi.
Ce n’est qu’une passade,
L’un et l’autre est guéri.
Le bon Dieu qui seconde
Nos vœux et notre amour,
Pour le bonheur du monde
Nous a rendu le jour
Et Pompadour.

Cependant, une rechute avait mis Mme de Pompadour au plus mal. Le Roi, très affecté, descendait toujours chez elle, et par un sentiment assez mal compris de ses courtisans, se défendait d’exprimer son inquiétude. Elle, au contraire, qui voyait clairement son état, montrait une résignation plus stoïque assurément que chrétienne.

Assise dans une bergère, une pointe de rouge aux pommettes, comme par une politesse suprême envers des amis qu’on ne veut pas effrayer, elle était courageuse par lassitude, détachée déjà de tout, et de tous, et d’elle-même. On lui parla de son âme. Elle fit demander au Roi quelle conduite elle devait tenir, si elle devait mourir impénitente ou repentie, comme si elle n’eût pas voulu se sauver ou se perdre sans la permission du Roi. Louis XV lui conseilla de voir un prêtre.

Dans la nuit du 14 au 15 avril, elle se prépara pour recevoir les sacrements, et elle envoya même chercher son mari qui ne se soucia pas beaucoup de cette entrevue au bord du tombeau. Il répondit qu’il était malade.

La cérémonie de l’Extrême-Onction parut bien longue à Mme de Pompadour. Elle pria le curé de faire vite, puis s’excusa de cette impatience.

L’aube vint, blême sur les charmilles du parc. C’était le 15 Avril, jour des Rameaux. Lentement, la vie du palais s’éveilla, autour de l’appartement clos où tremblotaient des bougies. À l’étage supérieur, dans la grande chambre dorée, Louis XV reposait, ou feignait de reposer, entre ses courtines, et s’il ne dormait pas, songeait, douloureusement, à l’agonisante qu’il ne devait plus revoir en ce monde.

Elle, étouffée et suffocante, ne pouvant supporter le lit, se tenait, le buste droit, dans sa bergère, et tandis que le matin tendait un fil gris entre les volets, sa pensée rejoignait celle du Roi, évoquant peut-être les souvenirs de l’amour passé : le phaéton bleu de Sénart, le bal des Ifs, l’Appartement du haut, le petit théâtre et la robe de Galathée, peinte de roseaux vert et argent, d’algues et de coquillages.

Peut-être aussi, mesurait-elle la vanité des honneurs achetés par tant de complaisances et de chagrins secrets.

Tout ce qui avait été la grande affaire de son existence, elle le considérait maintenant avec une indifférence qui étonnait ses amis, et dont on n’a pu savoir si c’était un effet de la religion ou de la philosophie, un mépris chrétien pour les grandeurs de chair, ou l’adieu d’une épicurienne fatiguée à un monde dont elle a épuisé les joies et les peines.

Il me semble que la foi de la marquise était bien incertaine pour affermir ainsi son courage ; et je pense plutôt que Mme de Pompadour regardait la vie comme Maurice de Saxe, « un beau songe » déjà presque évanoui.

Elle avait fait son testament dans les formes ordinaires, avec des formules pieuses qui, paraît-il, étaient l’œuvre du notaire. Au cours de cette dernière journée, elle se le fit apporter et le relut ; puis, n’ayant plus la force de tenir une plume, elle dicta un codicille à son intendant. Ensuite, elle eut la visite de l’intendant des postes Janelle — celui qui, tous les jours, venait travailler avec elle, c’est à dire lui rendre compte des correspondances examinées par le Cabinet noir. — Un peu plus tard, ce fut la toilette, rapide mais toujours minutieuse, la poudre sur les cheveux et le rouge sur les joues cadavéreuses… Parée pour la mort, la marquise, malgré ses souffrances, voulut encore remettre ses clefs à M. de Soubise, son exécuteur testamentaire, ordonner à son homme d’affaires Colin tous les détails de ses funérailles, et recevoir, une dernière fois, ses amis Choiseul et Contaut. Ceux-là, qui demeurèrent jusqu’au soir, elle les congédia doucement en disant :

« Cela approche ; laissez mon âme, mon confesseur et mes femmes. »

Ils sortirent, tout émus, et le curé de la Madeleine demeura près de la mourante qui lui parla encore quelques instants. Comme il allait se retirer, Mme de Pompadour trouva la force de sourire.

« Un moment, monsieur le curé, dit-elle, nous nous en irons ensemble… »

À sept heures et demie, elle s’en alla toute seule dans l’inconnu terrible qui ne l’avait pas effrayée. Elle mourait à quarante et un ans, satisfaite et non pas heureuse, ayant obtenu de la destinée tout ce qu’elle avait désiré, mais ayant pu connaître que ce « tout » était peu de chose.

Ce soir-là, Louis XV contremanda le « grand couvert » ou dîner public.

Cependant, le comte Dufort de Cheverny s’étant rendu, ce même soir du dimanche, chez Mme de Praslin qui avait un appartement dans le château, trouva la duchesse en larmes.

« Vous me voyez encore tout émue, dit-elle, et si vous étiez venu une demi-heure plus tôt, vous auriez partagé mon émotion. Il y a une heure que j’ai appris la mort de Mme de Pompadour. Elle n’était pas mon amie particulière, mais je n’avais nullement à m’en plaindre. J’ai vu passer deux hommes portant une civière. Lorsqu’ils se sont approchés (ils ont passé sous mes fenêtres), j’ai vu que c’était le corps d’une femme, couvert seulement d’un drap si succinct que la forme de la tête, des seins, du ventre et des jambes, se prononçait très distinctement. J’ai envoyé aux informations. C’était le corps de cette pauvre femme, qui, selon la loi stricte qu’aucun mort ne peut rester dans le Château, venait d’être porté chez elle. »

La marquise avait demandé, par son testament, d’être enterrée auprès de sa fille Alexandrine, dans l’église des Capucines de la place Vendôme. Le cortège funèbre quitta l’hôtel de Versailles à six heures du soir, par un temps d’orage épouvantable.

À six heures, Louis XV était seul avec son valet de chambre Champlost dans le Cabinet intime, dont la fenêtre ouvrait juste en face de l’Avenue. Le Roi fit fermer la porte du Cabinet, prit Champlost par le bras et se mit, avec lui, sur le balcon.

En silence, il regarda le convoi défiler et se perdre au loin entre les arbres, dans le crépuscule tombant. La pluie flagellait sa tête nue et mouillait ses habits, mais il paraissait insensible à tout ce qui n’était pas sa douleur.

Quand il ne vit plus rien que l’orage et la nuit, Louis XV rentra dans le Cabinet. Deux grosses larmes coulaient encore sur ses joues, et Champlost l’entendit murmurer :

« Voilà les seuls devoirs que j’aie pu lui rendre… »