La Vérité sur l’Algérie/08/19


CHAPITRE XIX

Comment les Algériens démontrent que le commerce de la colonie avec la métropole compense tous les sacrifices de la France pour l’Algérie.


Cette erreur, on la retrouve presque partout.

M. Muller écrivait en 1897 :


« Si les recettes du Trésor en Algérie n’atteignent pas encore le montant des dépenses, il ne faut pas en conclure que la colonie coûte plus qu’elle ne rapporte.

« Les centaines de millions de marchandises qu’elle achète à la France, de fret qu’elle assure à la marine marchande, de recettes qu’elle procure aux chemins de fer métropolitains, de dividendes que les établissements de crédit et les entreprises industrielles (chemins de fer, compagnies de navigation, etc.) payent à leurs actionnaires de France, accroissent dans une très large mesure les recettes du Trésor ; car les marchandises, transports, dividendes, etc., sont frappés par le fisc sous mille formes (impôt foncier, patentes, licences, taxes sur les revenus, impôt sur la grande vitesse, droits de transmission, droits de douanes sur les matières premières importées de l’étranger, puis manufacturées en France et exportées en Algérie, etc…)

« M. Foncin, dans l’ouvrage de M. Rambaud sur la France coloniale, évalue approximativement à deux cents millions le revenu annuel que l’Algérie ajoute au revenu national. »


Vous pensez que l’Algérien saute sur cette documentation, sur ces chiffres. Même il augmente de suite les chiffres.

Le 27 décembre 1898, M. Pierrard dit aux Délégations financières :


« Il est absolument faux de dire que l’Algérie est une charge pour la France ; il est même dangereux de le laisser croire. Car si le budget métropolitain vient combler pendant plusieurs années encore le déficit apparent de quelques millions du budget algérien, les statistiques les plus scrupuleusement établies ont prouvé que l’Algérie, par le seul fait de sa possession par la France, augmentait la fortune publique de la métropole de plus de 300 millions par an. »

Aux Délégations financières de cette année on n’a plus parlé de 300 millions. On s’est contenté de 30.

Ce fut à l’occasion d’une discussion de la « théorie dite du contingent » sur le propos de l’article 4 de la loi de remise des chemins de fer. M. Doumer avait, à la Chambre des députés, soutenu avec raison que, le jour où l’Algérie aurait assez de recettes, la France pourrait lui imposer les dépenses militaires. MM. de Soliers, Vinci, Ch. Joly protestèrent joliment.

Entre autres choses, ils dirent ceci :

« Sans doute si en Algérie la métropole pouvait cumuler, avec les revenus indirects déjà considérables qu’elle perçoit au moyen des échanges d’appréciables contingents, tout irait pour le mieux pour elle, mais il faut opter entre l’un ou l’autre, car ils s’excluent. »

En français plus clair cela veut dire : Nous Algériens nous n’acceptons l’union commerciale avec la métropole qu’aussi longtemps que la métropole paiera nos dépenses militaires. Le jour où nous n’aurions plus de subvention métropolitaine, où nous devrions payer toutes nos dépenses avec nos recettes, nous n’admettrions pas le privilège des produits français sur nos marchés, etc., etc. Relisez cette petite phrase de ces trois Algériens. J’ai omis de la mettre à sa vraie place en mon ouvrage. Elle devrait figurer en effet au chapitre sur le séparatisme.

M. de Soliers, qui est le grand compteur algérien, a chiffré les « revenus indirects déjà considérables que la France perçoit en Algérie au moyen des échanges » !


« Comme bonne cliente de la France placée au quatrième rang de ses comptes de fournitures, l’Algérie, en 1902, a reçu pour 269.200.000 francs de marchandises françaises ; sur ces 209.200.000 francs, le commerce et l’industrie ont réalisé le bénéfice d’usage qui est de 10 %, et c’est 27 millions que l’Algérie a payés de ce chef, dont la plus grande partie leur est définitivement restée et dont l’autre, par leur Intermédiaire, a passé au Trésor sous forme d’impôts. Comme les impôts qui frappent le commerce et l’industrie en France sont évalués à 13 %, on peut supputer que sur ces 27 millions, le commerce et l’industrie ont pris 23.500.000 francs et que 3.500.000 francs, sont allés à l’État.

« Ce n’est pas tout, les marchandises transportées pour cette même année 1902, de France en Algérie et vice versa, représentent une quantité de 1.656.690 tonnes qui ont fourni un fret moyen de 10 francs, droit d’embarquement et de débarquement déduits (un peu plus élevé pour le fret d’aller portant sur des marchandises manufacturées, un peu plus réduit sur le fret de retour portant sur des matières premières ou des produits agricoles), soit 10.500.900 francs. En admettant, comme la chose a lieu pour les chemins de fer, que les recettes provenant des voyageurs soient la moitié de celles provenant des marchandises, les recettes maritimes totales se sont élevées à 24.850.330 francs. Là-dessus, les armateurs comme les autres commerçants industriels ont prélevé un bénéfice de 10 %, soit 2.485.035 francs sur lesquels l’État, à son tour, a prélevé 13 %. La part des armateurs est donc restée à 2.161.981 francs et celle de l’État à 323.054 francs.

« Si nous récapitulons, nous trouvons :


« 1o Contingent versé par l’Algérie aux commerçants et aux industriels métropolitains 23.500.000 fr.
« 2o Contingent versé aux armateurs 2.161.981
« 3o Versement à l’État par l’intermédiaire des commerçants et industriels 3.500.000
« 4o Versement à l’État par l’intermédiaire des armateurs 323.654
29.485.035 fr.


« Près de 30 millions, c’est un joli chiffre ; et l’on voit combien les revenus indirects que la métropole tire du monopole qu’elle s’est réservé des échanges et des transports avec la colonie sont considérables, »


Pour que vous goûtiez entière la saveur de cette observation algérienne je vous prie de la rapprocher des pages qui établissent ce que coûte la colonie à la métropole.

M. de Soliers est un séparatiste dangereux, mais il nous est précieux en ce qu’il nous montre bien le sentiment algérien, Joli Chiffre ! Monopole qu’elle s’est réservé ! etc.

Vous voyez, grâce à cet homme, l’Algérie victime du monopole commercial de la France !