La Vérité sur l’Algérie/06/12

Librairie Universelle (p. 192-194).


CHAPITRE XII

L’esprit algérien féodal, aristocratique.


Un fait m’a frappé quand j’ai étudié l’Algérie : la persistance de l’Algérien à éloigner le juif de la possession de la terre. Il n’a pu l’empêcher de devenir propriétaire dans les villes, propriétaire de maisons. Mais il a manœuvré — inconsciemment ou consciemment, je ne sais — de telle sorte qu’il y a très peu de juifs propriétaires « de terre ». Également il est intolérable à l’Algérien qu’on ait laissé de la terre à l’indigène.

Et réfléchissez que la terre conquise anoblit.

C’est le droit français de la conquête franque des Gaules.

La possession de la terre du Gaulois vaincu a fait la noblesse, l’aristocratie française.

Et, dans l’âme obscure de l’Algérien que la conquête a mis en possession de la terre arabe, j’ai vu renaissant l’antique esprit…

Il faut qu’il soit bien évident, bien saisissant, car Clément Duvernois, le plus Algérien des écrivains algériens, le signalait en son livre de 1858 :


« Le Français, écrivait-il, se souvient trop que l’Algérie est une conquête française. Volontairement ou non, le plus souvent sans même s’en rendre compte, il y pose en conquérant. Il ne se plie pas de bon gré aux exigences de sa position ; il n’accepte pas d’emplois subalternes, il veut travailler pour son compte, être propriétaire. »


Être propriétaire ! Dès que le régime républicain et le suffrage universel ont donné à ce Français la souveraineté politique, l’électeur veut que l’élu fasse voter des lois qui lui permettent de devenir propriétaire aux dépens de l’Arabe.

Cet électeur, à force de poser au conquérant, est devenu le conquérant ; en a pris l’âme.

Récoltant du blé en France, au milieu de ses semblables, le paysan n’est qu’un paysan.

Récoltant du blé en Algérie au milieu des vaincus, le paysan devient un seigneur.

Nous avons déjà vu au cours de cet ouvrage comment le colon avoue qu’il est « meilleur », que, ce titre de colon opposé à la qualité de paysan, il le considère comme un titre de noblesse.

Voici mieux : Le colon veut être non seulement propriétaire à domestiques, mais seigneur à soldats. L’esprit féodal que l’on pouvait croire disparu de chez nous… surtout depuis les opérations révolutionnaires de 1792… nos paysans, nos prolétaires, nos bourgeois devenus propriétaires algériens le font revivre sur la terre prise à l’Arabe.

La preuve ?

J’ai plus que mes impressions…

Lisez les délibérations des Délégations financières, vol. 2, page 186. (Colons, 6e séance. — 1904) :


« M. Tandonnet dépose le vœu suivant :

« Le soussigné émet le vœu que la législation relative aux armes soit modifiée en ce sens que les propriétaires auront pour la garde de leurs propriétés le droit d’armer sous leur responsabilité civile les indigènes qui auront leur confiance.

« Il exprime le désir très pressant qu’en attendant cette modification si indispensable à la protection des récoltes des colons les magistrats du ministère public s’inspirent du présent vœu avant de commencer des poursuites. »


Ce vœu, qui paraît tout naturel en Algérie, fut adopté à l’unanimité, ainsi qu’un autre tendant à remplacer la gendarmerie par une police rurale.

Voilà qui marque nettement une des plus inquiétantes transformations de la mentalité française en Algérie. C’est d’ailleurs une des conséquences fatales de la « transplantation » par le moyen de la conquête. Les mêmes causes dans les mêmes conditions produisent toujours les mômes effets.