La Vérité sur l’Algérie/06/11

Librairie Universelle (p. 189-192).


CHAPITRE XI

L’orgueil et les dérivés de l’orgueil algérien.


Poursuivons notre analyse méthodique. Les faits moraux en suite de la guerre c’était la vaillance, le patriotisme. Nous avons vu. En suite de la victoire, c’est l’orgueil. Voyons.

Très vite on voit quand on séjourne en Algérie. L’orgueil s’étale, magnifique, et d’une inconsciente naïveté… qui désarme la critique.

L’orgueil est… depuis le Gaulois… essentiel du caractère français ; un orgueil déconcertant, que nous poussons au point de vouloir glorieuses nos plus honteuses défaites. Autant nous sommes durs au vaincu lorsque nous sommes les vainqueurs (væ victis !), autant nous sommes insultants au vainqueur lorsque nous sommes les vaincus (gloria victis !).

Nous croyons de bonne foi que la France est nécessaire à la rotation de la terre et que, si Dieu n’agissait per Francos, la mécanique céleste en serait détraquée.

La vieille France était la fille aînée de l’Église. La jeune France est la fille chérie de la civilisation. Tous nous avons l’orgueil excessif. Moi-même qui le sais et qui m’en voudrais garder, les instants où je ne veille point, j’y cède.

Le Français installé en Afrique par la victoire, l’Algérien, ne fait rien pour réagir contre notre orgueil national. Il s’en grise avec délice. Il est le victorieux.

« Nous, Français, qui avons bien des défauts, mais qui les rachetons par de sublimes qualités dont nous sommes fiers et qu’on ne foule pas impunément aux pieds… »

Cette phrase, que j’ai cueillie dans le Petit Algérien du 3 juillet 1884, résume l’orgueil algérien. C’est la note que vous entendez partout en Algérie. Leurs qualités sont sublimes…

Aussi, quand on les étudie, ne saurait-on faire autrement que d’admirer. Ils vous le disent. En belle naïveté.

« … Pendant ce temps un déjeuner était offert à la presse par M. Gieure, adjoint au maire d’Oran, qui a prononcé un discours au cours duquel il a prié les journalistes parisiens d’étudier le pays sans parti pris et les a conviés à admirer son œuvre… » (Nouvelles du 19 avril 1903.)

C’est leur conception. Dans leur esprit le mot étudier, si l’action d’étudier s’applique à eux, est devenu synonyme d’admirer. Leur orgueil ne supporte que l’admiration.

Le citoyen Hugolin nous dit en son ouvrage :

« … Comme j’ai vécu longtemps au milieu des colons et des Arabes, je sais un peu où le bât nous blesse[1]… Je puis dire des choses qu’ignorent forcément ceux qui traitent la question sans avoir quitté leur rond de cuir ou l’asphalte des trottoirs. »

Quand on n’admire point, c’est qu’on ne sait pas, ou qu’on est de mauvaise foi. Qui critique diffame. Un jour le directeur du laboratoire municipal de Paris constate que les gros vins d’Algérie sont trop riches en mannite, par conséquent dangereux pour la santé publique. Et il le dit. L’Algérien s’émeut… Contre les vignerons qui ne font pas bien leur vin ? Vous n’y êtes pas. Contre le savant. Des conseils municipaux demandent des poursuites contre le diffamateur !

Il en fut ainsi après les pillages et les vols de l’antisémitisme. L’Algérie s’émut non contre les pillards et les voleurs, mais contre les honnêtes gens qui signalaient les pillages et les vols.

L’orgueil algérien ne permet point qu’on parle de l’Algérie autrement que pour l’admirer. Dans la vie ordinaire cet orgueil dégénère en vanités puériles, en susceptibilités ridicules, en fatuités grotesques.

Une dame ne peut supporter la vie de Paris parce que sur le Boulevard on ne lui dit pas bonjour comme sur la place du Gouvernement. L’admiration quotidienne est nécessaire à la santé de l’Algérien.

Ainsi le véritable artiste algérien préfère-t-il les admirations d’Alger à « la réputation plus tapageuse » qu’il pourrait avoir à Paris.

Etc…, etc…

Encore un détail cependant. L’orgueil algérien est farouche sur le chapitre de ce qu’on nomme à Marseille les « bonnes manières ». Ainsi je lis dans le compte rendu des Délégations financières, 1er vol., 2, page 450 (1904) :

« M. Jacquiet. — Vous vous plaignez pour les employés des postes. L’année dernière nous avons accordé d’un coup 200 francs aux dames employées. Je ne crois pas qu’elles vous en aient remerciés. »

Pauvres dames employées ! Heureusement à l’orgueil de M. Jacquiet répondit la galanterie de M. Cuttoli (Paul) :


« — M. Jacquiet regrette que les dames des postes et télégraphes ne nous aient pas présenté des remerciements. Il me permettra de lui faire remarquer que lorsque, nous faisons quelque chose d’utile, ce n’est pas dans l’espoir d’avoir des félicitations. »


La vie algérienne est riche en détails semblables.

  1. Diable !!