La Vérité sur l’Algérie/05/17


CHAPITRE XVII

La libération des juifs et l’action française au Maroc.


Il y a cependant une mission libératrice de haute humanité dans l’action où les forces d’affaires engagent notre pays au Maroc, avec une si remarquable logique dans le dessein, avec une si admirable ténacité dans l’effort et la merveilleuse souplesse de moyens que découvre l’événement. Cependant personne n’en parle[1]. On dit vaguement humanité. On ne précise pas. J’ai indiqué dans mon livre sur le Maroc que c’est le juif marocain dont l’Alliance israélite a entrepris la délivrance et qu’elle entend y employer toutes les forces de la France.

Je ne reviendrai donc pas sur cette question, mais je note que l’Alliance israélite a su réaliser l’union des antagonismes les plus irréductibles pour l’action contre le Maroc. Les gens d’affaires, qui sont plutôt philosémites, marchent pour le bénéfice d’affaires. Les antisémites, qui sont nationalistes, chauvins, belliqueux, ont marché pour l’honneur, pour le drapeau ; c’est eux qui servaient le mieux le dessein de l’alliance, car l’action militaire immédiate ne leur déplaisait point. Et cette action militaire est nécessaire pour le résultat que poursuit l’alliance. L’action « pacifique », acceptée par les humanitaires, est conduite de telle façon qu’elle prépare l’action militaire. Le juif a le secret de faire marcher les gens suivant leur tempérament et de faire servir sa cause par ceux-là mêmes qui s’en croient les ennemis. C’est une joie de considérer cela dans l’affaire marocaine.

La Revue franco-musulmane et saharienne a publié sur le propos une note fort suggestive et qui complète ce qu’on lira dans mon livre. C’est une étude de M. Carcassonne (septembre 1902). Il y est dit :

« Par la force des choses, détenant en grande partie l’argent et le négoce, ayant établi des magasins de vente dans les centres un peu populeux, faisant colporter leurs marchandises dans les villages les plus isolés, approvisionnant les caravanes et emportant les produits de l’industrie locale, ces relations, par suite, avec les indigènes de tout l’empire chérifien, les juifs marocains ont acquis une importance dont les nations européennes sont appelées à bénéficier pour peu qu’elles sachent le vouloir.

« La France, en particulier, qui s’est assuré par l’honnêteté et la bonne foi de ses négociants d’un côté, et, de l’autre, par sa politique exempte d’agression et de morgue une situation enviable au Maroc, qui est intéressée autant qu’un autre gouvernement étranger à l’extension de son action civilisatrice, doit être persuadée qu’elle doit compter avec eux et sur eux. »

Cela nous est dit par un israélite d’un comité présidé par M. Étienne ; dans sa mission civilisatrice au Maroc, la France doit compter avec les juifs et sur les juifs.

Je ne saurais être suspect de sentiments antisémites ; comme tous les honnêtes gens de mon pays en qui la passion religieuse ou politique n’a pas obscurci le sens critique, j’ai combattu pour la justice lors de la grande crise, et combattu de manière à ne recevoir que des coups, pas autre chose… Je n’ai pas changé d’opinion ; je n’en changerai jamais ; les vérités du droit humain sont comme les vérités mathématiques, on ne peut les admettre un jour, les rejeter ensuite. Autant que quiconque je souhaite que les juifs marocains soient libres ; de même, je souhaite que tous les hommes de tous les pays soient émancipés. Mais je trouve excessif que l’Alliance israélite se moque de nous, comme elle le fait dans cette question du Maroc, et veuille, ainsi qu’en témoignent les faits, malgré nous, que nous fassions la guerre au sultan, et rende cette guerre fatale.

D’autant plus que, puissante comme elle l’est, un moyen beaucoup plus simple s’offre à elle de réaliser l’émancipation désirée. Obtenir que nous en donnions l’exemple. Les musulmans d’Algérie sont des sujets, qu’elle agisse de toute sa force pour que nous en fassions des concitoyens. Alors, mais alors seulement nous aurons le droit de demander au sultan qu’il n’y ait plus chez lui de différence entre les juifs et les musulmans.

Récemment une note a couru les journaux disant que les banquiers juifs français consentiraient à lancer pour la Russie un emprunt de deux milliards à la condition que les israélites de Russie seraient émancipés. Cette note destinée à préparer l’opinion ne fut pas démentie. Aujourd’hui on dit que c’est fait, que les Rothschild s’allient au tsar.

La banque juive a donc quelque force.

Nous paierons de notre or, peut-être de notre sang, l’émancipation du juif marocain, du juif russe. Je ne dis pas que ce soit trop cher en pensant que la liberté des juifs marocains et russes puisse être pesée en regard d’argent prêté, de sang versé. Non. Mais je persiste à dire qu’il serait beaucoup plus simple, au moins en ce qui concerne le Maroc, de donner l’exemple… en libérant nos sujets musulmans algériens des servitudes que leur impose la fidélité à leur religion. Tant que nous n’aurons pas fait de nos sujets musulmans algériens des citoyens français — ce qui ne nous coûterait rien — je ne comprends pas que l’on puisse invoquer une considération de droit quelconque pour me demander en faveur de l’égalité de traitement pour les juifs et les musulmans du Maroc un effort qui me coûtera.

Cet effort, que M. Étienne annonçait le 18 juin 1903 au banquet de l’Union coloniale, comme une « œuvre de persuasion », c’est la guerre… et vous ferez la guerre… à moins que pour une fois les gens de raison comme moi… n’aient raison. Ce qui m’étonnerait. Car il y faut du temps. Et ceux qui criaient casse-cou, c’est généralement quand on se l’est cassé qu’on les croit.

  1. Ceci était écrit lorsqu’a paru dans le journal le Maroc français une très suggestive étude sur la question des juifs au Maroc, étude dont l’importance ne fut point appréciée comme il convenait par la presse quotidienne.