La Tyrannie socialiste/Livre 3/Chapitre 4

Ch. Delagrave (p. 133-135).
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Livre III


CHAPITRE IV

Le chômage forcé des accouchées.


Argument biblique. — Les ouvrières agricoles. — Inspecteurs du travail agricole. — L’indemnité. — Le budget. — Les travailleurs ne semblent pas contribuables à leurs amis.


La Chambre des députés a voté en première délibération (5 novembre 1892) une proposition de loi ayant pour objet d’interdire tout travail aux femmes pendant quatre semaines après leurs couches.

Cette proposition présentée, sous la législature de 1885, par MM. Richard Waddington et de Mun, a été reprise par le Dr Dron. Pour l’appuyer, M. le Dr Dron a trouvé un argument biblique. Le chapitre XII du Lévitique ne prescrit-il pas à la femme accouchée de garder la maison pendant quarante jours et Jésus ne fut-il pas porté au temple seulement après que sa mère eut accompli sa purification ? Et alors il s’écrie : — « On prétend que ce sont des choses qui ne se réglementent pas. » Vous voyez bien que les Juifs ont réglementé.

Et M. Dron nous donne un nouvel argument pour prouver que ces mesures, qu’on présente comme progressives à la démocratie française, ne sont que des régressions.

Toutes ces mesures étant empreintes d’un illogisme qui va jusqu’à la fantaisie, les ouvrières agricoles n’étaient pas comprises dans cette proposition de loi. Il paraît qu’une femme qui va piocher la terre n’avait pas besoin du repos auquel on voulait astreindre les autres. La Chambre, peut-être par ironie, adjoignit à la proposition de M. Dron les ouvrières agricoles. Il fallait voir l’indignation des partisans de la loi. Pour les usines, ateliers, l’application de la loi était remise aux commissions et aux inspecteurs déjà existants. Du moment qu’on y comprenait les ouvrières agricoles, il fallait nommer des inspecteurs du travail agricole. Comme première conséquence de la loi, on instituait des fonctionnaires qui iraient dire aux fermiers, aux propriétaires : « Vous avez une nouvelle accouchée ? vous la faites travailler ? Défense de travailler. — Mais c’est ma femme ! »

L’inspecteur aurait-il répondu : — Ah ! du moment que c’est votre femme, elle n’a ni le droit ni l’obligation du repos !

Dans la loi qui limite le travail des femmes on a complètement oublié — quoique je l’eusse rappelé à la tribune, — que si on empêche quelqu’un de travailler, il faut lui donner une indemnité de compensation. Plus logique, la commission, chargée de l’examen du projet de M. Dron proposait une indemnité de 0 fr. 75 à 2 francs par jour. M. Pablo Lafargue ne manqua pas de surenchérir et de proposer « de 3 à 6 francs selon le prix des vivres dans la localité où la citoyenne demeure. » Qui les payerait ? La commune ! alors les députés se rappelèrent que s’ils offraient ce cadeau à leurs communes, elles ne le leur pardonneraient pas. Les patrons ? Un nouvel impôt sur les patrons ! Pourquoi pas ? Ne doit-il pas être la bête de somme ? Mais on fit cette objection : c’est qu’employer ce système serait supprimer le travail aux femmes enceintes. Le patron les redoutant serait amené à se livrer aux investigations les plus indiscrètes et à mettre à la porte les femmes qui risqueraient de devenir pour lui une charge inutile. S’il n’y avait eu en jeu que les patrons de l’industrie, la Chambre aurait passé outre, mais il y avait aussi les petits propriétaires et les petits fermiers. Il était bien plus simple d’imposer la charge au budget général de l’État. Elle monterait de 8 à 10 millions. Qu’est-ce que cela sur un budget de 3 milliards ? Seulement comme on répète souvent : Qu’est-ce que cela ? le budget grossit à son tour, s’enfle et malheureusement n’accorde pas au contribuable le repos que les socialistes sont si disposés à accorder aux travailleurs aux dépens des contribuables, comme si les travailleurs n’étaient pas contribuables !