La Typographie/La composition

L. Boulanger (55p. 12-18).

LA COMPOSITION


On appelle composition, et le mot est très expressif, l’assemblage des caractères destinés à former les mots, les lignes et par extension, les pages qui composent un journal ou un volume.

Pour que l’ouvrier, qui prend tout naturellement le nom de compositeur, puisse faire ce travail avec méthode et surtout sans perte de temps, les caractères sont disposés par sortes dans un grand casier à compartiments qu’on appelle casse : chaque compartiment destiné à recevoir la lettre se nomme cassetin.

Bas de casse.

Haut de casse.

Casse en deux pièces.

Comme il faut un très grand nombre de cassetins pour qu’une casse soit complète, on la divise en deux parties séparées qu’on appelle casseaux et qui la rendent plus facilement transportable, sur l’espèce de pupitre que les imprimeurs appellent un rang, parce qu’ordinairement, et sauf les cas où la place manque, ils sont placés en file, à côté l’un de l’autre.

La partie supérieure de la casse, comprenant 98 cassetins, dans lesquels sont distribués les capitales grandes et petites, les lettres supérieures et la plupart des signes de ponctuation, s’appelle haut de casse.

La partie inférieure de 54 cassetins, contenant les lettres ordinaires, les chiffres et les espaces, s’appelle bas de casse, ce qui fait qu’on donne le nom de bas de casse aux caractères courants.

Comme on le pense bien, la disposition des casses n’est pas absolue et varie selon les imprimeries ; d’autant qu’on en fait maintenant beaucoup en une seule pièce, le modèle que nous en donnons, et qui est le système classique, suffira pour

Casse en une pièce.


faire comprendre que les lettres n’y sont pas réparties par ordre alphabétique, dans des cassetins symétriquement de même grandeur, mais bien placées le plus à portée de la main du compositeur, selon la fréquence de leur emploi.

La casse, ne pouvant contenir que pour environ une journée de travail d’un ouvrier, ne renferme naturellement pas toute la fonte d’un caractère, et les sortes qui n’y peuvent tenir sont déposées dans des tiroirs divisés comme les casses et qu’on appelle des bardeaux.

Ces tiroirs sont déposés le long des murs de l’imprimerie, au bas des rangs et dans les espèces d’établis qu’on appelle pieds de marbre et dont nous verrons l’emploi tout à l’heure.

L’ouvrier fait sa casse lui-même ; si le caractère est neuf, le travail est facile puisque, sortant de la fonte, les lettres sont assemblées par sortes ; s’il a déjà été employé, ce qui est le cas le plus ordinaire, il le prend par paquets, dans le caractère disponible que l’on appelle distribution, précisément parce qu’il s’agit de le distribuer, par sortes, dans les cassetins.

Pendant ce temps, le chef d’atelier, qu’on appelle prote, du grec protos, qui veut dire premier, a remis au chef de chaque équipe, qui se nomme le metteur en pages le texte à imprimer, appelé très improprement copie, que celui-ci distribue aux compositeurs.

S’il s’agit de la composition d’un journal, qui doit être terminée à heure fixe, la copie est divisée en portions très exiguës, de façon qu’un article entier puisse être fait et corrigé en peu de temps ; pour cela le metteur en pages cote les feuillets avec des chiffres et des lettres de repère, afin de pouvoir classer par ordre et très vite, les paquets de composition qui lui seront remis par les typographes.

S’il s’agit d’un long article de revue, d’un roman, d’un ouvrage de longue haleine, en un mot de ce qu’on appelle un labeur, la copie est donnée par portions plus considérables aux compositeurs, qui peuvent alors commencer le travail, et se mettent à lever la lettre.

Pour cela, l’ouvrier assis sur un haut tabouret, mais plus généralement debout devant la casse, sur laquelle est fixée sa


Composteur, système à levier de MM. Fouché frères.


copie, a dans la main gauche son composteur, espèce de règle à rebords, munie d’une coulisse qu’il a fixée d’avance à la longueur exacte des lignes à composer (ce qu’on appelle justifier son composteur), dont le plan doit recevoir les lettres au fur et à mesure qu’il les lève des cassetins, avec une rapidité qui étonne les non initiés.

Chaque mot composé est séparé du suivant par une garniture qu’on appelle espace, et quand sa ligne est pleine, à quelques millimètres près, l’ouvrier la justifie, c’est-à-dire qu’il la force dans le composteur au moyen des espaces et qu’il règle ses divisions, lorsqu’un mot entier ne peut trouver


Composteur plein. — Système à vis de M. Berthier.


place dans la ligne, en portant la suite à la ligne suivante, et en terminant la première par un trait qu’on appelle division.

Une ligne qui finit un alinéa, mais qui laisse un vide, se complète par des garnitures qu’on appelle cadrats ; car tout doit être plein dans la composition, de façon à faire une masse compacte, dont aucun caractère ne bouge à l’impression.

Ce qui fait que lorsqu’on emploie, pour commencer un alinéa, une lettre de fantaisie plus haute que le corps du caractère, on est obligé de garnir le haut du restant de la ligne avec des interlignes coupées à la longueur voulue, c’est ce qu’on appelle parangonner.

PARANGONNAGE

On parangonne aussi, lorsque n’ayant pas des lettres supérieures du corps comme pour Mme ou Mlle, on emploie des lettres d’un corps plus petit ; autrement la composition ne serait pas solide et se mettrait en pâte au premier mouvement.

La ligne qui commence par un alinéa est précédée d’un petit lingot uniforme qu’on appelle cadratin.

S’il s’agit d’un journal, le compositeur met ses lignes l’une sur l’autre dans son composteur jusqu’à ce qu’il soit plein, en plaçant seulement sur chaque ligne terminée, un filet appelé porte-ligne, qui facilite le glissement de la lettre, et qu’il change de place à chaque ligne justifiée.

S’il s’agit de la composition d’un labeur, ou même d’un journal qui ne s’imprime pas en plein, les lignes sont séparées par des espaces horizontales qu’on appelle des interlignes et qui sont de l’épaisseur d’un point, de deux points, de trois points : selon qu’on veut donner plus ou moins de blanc pour l’écartement des lignes de l’ouvrage à composer.

Lorsque le composteur est plein, et cela arrive fréquemment, puisqu’il ne contient que cinq à huit lignes, suivant la force du caractère, l’ouvrier enlève sa composition et la dépose sur une espèce d’ais à rebords qu’on appelle galée, et quand cette galée est pleine, ou du moins renferme assez de

Galée violon. Galée.


matière pour faire une page ou un paquet, il l’entoure d’une ficelle qui la lie fortement ; la dépose sur une feuille de papier double qu’on appelle porte-page, et le met sous son rang en attendant qu’il ait assez de paquets pour en faire des épreuves.

Pour les impressions industrielles, qu’on appelle travaux de ville, la composition diffère en ce qu’elle n’est pas confiée à des ouvriers qui font vite, mais à des spécialistes qui s’attachent surtout à faire bien.

Dans ces sortes de travaux, la composition proprement dite, le lever de la lettre, est peu de chose, on n’emploie généralement que des caractères de fantaisie qu’il faut varier à chaque ligne ; c’est la disposition et l’ajustement, on peut même dire aussi l’ajustage des filets qui a toute l’importance ; aussi tout se fait-il à la fois, et compose-t-on par pages ou par tableaux.

Les filets qui jouent un si grand rôle dans ces sortes de travaux, et sont extraordinairement variés, sont fondus en lames de 90 centimètres de longueur et se coupent comme les interlignes.

Les vignettes, plus variées encore et qu’on emploie pour former des encadrements, sont fondues par blocs, exactement comme les caractères et s’emploient de même ; les lettres ornées entrent dans la catégorie des vignettes.