La Troisième République française et ce qu’elle vaut/11

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CHAPITRE XI.

J’allais oublier ceux qu’on pourrait appeler les Pélagiens et Semi-Pélagiens de la politique et j’en serais désolé ; il est vrai qu’au point de vue doctrinal, ils ne sont pas intéressants ; toutefois, ce sont des gens avec lesquels il faut compter, parce qu’ils ne laissent pas que d’être remarquables ne fût-ce que par leurs inconséquences. Ils auraient même quelque droit à se faire considérer comme constituant encore, malgré tout, la pâte dans laquelle la République pourrait encore, sous bien des réserves, pétrir quelque chose ressemblant de loin à son image.

Il existe des gens, épaves des différentes révolutions successivement effeuillées depuis 1789, lesquels ne croient plus ou ne croient qu’un peu, mais en tous cas, croient d’une manière insuffisante à ce qu’ils ont professé à un moment quelconque de leur vie. N’ayant pas eu ce qu’ils voulaient, ils se sont mis à détester ce qu’ils supposent le leur avoir pris. Ils ne tiennent compte ni des fautes de leur ancien parti, ni des impossibilités qui ont empêché l’établissement de leur système préféré. Ils s’en prennent de la chute de leurs théories à ce qui en a triomphé.

Que ne considèrent-ils pas cette vérité de fait qu’un parti ou un système politique n’est jamais rendu impotent que par lui-même ! Alors, ils comprendraient que les adversaires n’en viennent jamais à bout qu’à l’aide de ses propres défectuosités. Ou bien, il repose sur des bases qui n’en sont pas ou n’en sont plus ; ou bien, il se place de lui-même hors de l’équilibre de ces bases ; ou bien, il exagère ses doctrines de manière à en paralyser la partie usuelle et à en faire prédominer les côtés vicieux ou bien, par l’épuisement, l’insuffisance ou la rareté des hommes qu’il emploie il se rend la marche impossible.

Mais c’est là ce que la plupart des gens ne tiennent en aucune considération. C’est pourquoi tel légitimiste se fait républicain, plutôt que d’admettre les hommes de 1830, le libéral de cette dernière époque se dit républicain parce qu’il ne veut pas de l’Empire ; l’impérialiste désabusé ne voulant ni de la légitimité ni de la Branche d’Orléans, se fait républicain à son tour.

Ces zélateurs d’une croyance de pis-aller ont un symbole de leur foi uniquement composé de négations. Ils veulent la République, qu’ils ne veulent pas parce qu’ils ne veulent pas ceci et ne veulent pas cela. Ils soutiennent telle loi ou telle mesure républicaine ou soi-disant telle, en la déclarant détestable en soi, mais bonne par ce fait qu’elle fait échec à telle prétention ou à telle espérance de l’autre faction ; ils donnent la main au centre gauche, à la gauche républicaine, à l’extrême gauche, ils la donneraient au besoin à M. Raoul Rigault s’il vivait encore, parce qu’en agissant de la sorte, ils se figurent avec la plus intense satisfaction, le dépit et, s’il plaît au ciel, le désespoir des partisans de ce qu’ils repoussent.

Ce sont là des républicains quinteux, nécessairement inconséquents qui déserteraient en masse si l’ombre de leur ancienne église donnait signe de vie ou si seulement leur mauvaise humeur se tempérait. Ce qui s’est vu. Ce sont des déserteurs nés ; mais à tout prendre, et dans la pénurie évidente de républicains, ce sont encore des républicains, si on veut s’en contenter. Sans doute, encore une fois, ils feraient effort contre leur mariage de raison si l’ancienne passion retrouvait quelque chance d’un triomphe assuré. Mais, en attendant, on peut assez compter sur eux. Il ne faut pas cependant s’y méprendre : on peut surtout compter sur eux pour combattre ou honnir ; mais il y aurait imprudence à les tenir pour des croyants actifs et, en tous cas, ils ne sont guère habiles, ces Pélagiens ou Semi-Pélagiens auxquels la foi a manqué pour soutenir leurs dires indéfiniment dans les épreuves et que le ciel n’avait pas assez énergiquement trempés pour que le « credo quia absurdum » pût rester au fond de leurs cœurs ; ils n’ont pu devenir que de fort médiocres payens, id est, en cette rencontre, des républicains louches.