La Transylvanie et ses habitants/Chapitre 26


La Transylvanie et ses habitants
Imprimeurs-unis (Tome IIp. 201-215).
chapitre XXVI.
Keresd. — Une route dans les bois. — Darlócz. — Gogány. — Traditions daces.

Les églises fortifiées ne se retrouvent que dans le pays des Saxons. Dans les villages hongrois et valaques, les châteaux seigneuriaux faisaient l’office de citadelles. J’ai dit qu’ils consistaient d’ordinaire en un donjon flanqué de quatre tourelles, et entouré d’un large fossé. C’est presque toujours la forme qu’affectent les anciens édifices qui, restaurés et blanchis, servent aujourd’hui de maisons de plaisance à la noblesse transylvaine. Cependant il en est qui se distinguent par leur style. Quelques châteaux forts furent élevés sur des emplacements choisis pour couvrir une plus grande étendue de pays. Ils avaient une importance militaire, et exigeaient la présence d’une garnison. Ce n’était plus une résidence, mais une place forte. Tel était entre autres le château de Keresd.

Il fut construit en 1300 par Marc Bethlen, comme l’indiquait une inscription que l’on pouvait voir encore il y a peu d’années. Une autre inscription, qui se lit facilement, rappelle qu’il fut restauré par François Bethlen, et sa femme, Klara Károlyi. Ces deux dates composent la chronique particulière du château, dont l’histoire se confond avec celle du pays.

Rien de plus vénérable d’ailleurs que Keresd. Ce qui frappe tout d’abord, c’est une vieille tour percée de meurtrières, au toit luisant comme les écailles d’un dragon, et autour de laquelle sont sculptés dans la pierre de fiers Hongrois alternativement peints en vert et en rouge, le kalpag en tête, la lance au poing. Cette tour domine les murs, les bastions et le gros corps de bâtiment qui existent encore. Elle n’a souffert que du temps ; on n’y a rien ajouté depuis nombre d’années ; en sorte que vous retrouvez là, pour ainsi dire intactes, d’antiques salles aux arceaux gothiques, des portes sculptées ou peintes, et jusqu’à des meubles du temps. Le lit de noces d’un Bethlen porte la date de 1578. Bien qu’il soit fort simple, il fut, dit-on, apporté à grands frais de Hongrie. Malheureusement, tout cela menace ruine. La tour est lézardée, déjà même elle n’est plus entière ; le toit qui se voit aujourd’hui n’est que la base de l’ancienne toiture, qui s’élevait hardiment, et comme pour braver de loin l’ennemi.

Le reste du château est habité ; cependant on l’a respecté, même en le retouchant ; on n’a pas comblé les indispensables fossés qui longent des murs de dix pieds d’épaisseur. On peut voir les meurtrières, les niches des sentinelles ; on reconnaît le point où les assiégeants devaient porter leurs efforts. À l’intérieur, mêmes souvenirs : des chambres dorées avec des médaillons enchâssés dans la boiserie ; quelques portraits historiques, celui entre autres du prince Kemény, en dolman rouge, la barbe longue, la tête rasée, et la main sur l’épée. Le portrait de Kemény trouve naturellement ici sa place. Sa sœur, Catherine Bethlen, possédait Keresd. Ce fut elle qui envoya son mari chercher le corps du prince, sur le champ de bataille de Nagy Szöllös, et qui le fit ensevelir dans le parc. On montre la pierre qui recouvrait le tombeau.

La chapelle est curieuse. On y reconnaît le même style que dans les salles de la tour. Il reste une chaire en pierre sculptée, où les fleurs de lis se montrent à côté du serpent tordu des Bethlen. On voit les mêmes armoiries sous la voûte. Nul ornement du reste. Les colonnettes de marbre qui décoraient la chapelle se trouvent, je ne sais pourquoi, dans le jardin, mêlées à d’autres débris à demi oubliés. Parmi les pierres qui gisent ainsi sur le sol on remarque une longue colonne rapportée d’Enyed, suivant la tradition, par un ancien maître du château, et qui paraît dater de l’époque romaine.

Un souvenir historique se rattache aux murs dépouillés de la chapelle. C’est là que Wolfgang Bethlen a imprimé son Histoire de Transylvanie, dans le courant du 17e siècle. Il était chancelier et conseiller intime du prince. Les charges qu’il avait remplies le mettaient à même de faire connaître l’histoire de son pays. À cette époque où les événements se succédaient si rapidement, il retraça pour ainsi dire jour par jour tous ceux dont il fut témoin. On dit même qu’il ne le fit pas sans danger. L’empereur, assure-t-on, et ceux des nobles transylvains qui avaient à craindre le jugement de la postérité, lui suscitèrent des obstacles, et ce fut pour terminer plus sûrement son œuvre qu’il imprima dans la chapelle sa précieuse chronique.

Ce souvenir littéraire donne un intérêt de plus au château de Keresd, lequel a vu d’ailleurs s’accomplir plus d’un drame douloureux. J’ai toujours contemplé avec un respect mélancolique les débris des forteresses hongroises, sentinelles perdues de la chrétienté, dont les défenseurs se faisaient tuer pour nous, qui ne nous en souvenons plus.

La situation de Keresd ne l’exposait pas aux premiers coups des Turcs ; il fallait que l’ennemi pût le trouver entre les montagnes boisées qui l’entourent. De là le nom qu’on lui donnait, Keresd, c’est-à-dire « Cherche-le ». À voir en effet les montagnes qui en défendent l’approche, on ne soupçonnerait pas qu’un château ait pu être élevé dans le voisinage. Rien ne devait égaler l’étonnement des Tatars lorsque, après avoir poursuivi de roche en roche les courageux paysans qui les avaient surpris dans le pillage, ils se trouvaient subitement en face d’une forteresse aux épais remparts. La garnison, du haut des murs, les décimait sans peine.

On arrive à Keresd par une route qui est assez bonne, comme toutes celles du pays, quand le ciel le permet. J’étais trop bien disposé à « chercher » le château pour me douter que ce chemin existât ; et d’ailleurs, venant d’Almakerék, j’aurais dû faire, pour l’aller rejoindre, un trop long circuit. Je m’engageai donc dans un sentier de chasseur, rassuré toutefois par deux ornières assez profondes, qui montraient qu’à la rigueur la voie pouvait être carrossable. Un cavalier valaque, venu exprès pour me guider, après avoir examiné dans tous les sens la calèche qui paraissait l’étonner beaucoup, partit en tête, la pipe à la bouche, avec tant d’aisance, que je ne doutai pas de notre heureuse arrivée à Keresd. D’abord le voyage s’annonça bien : nous montâmes pendant trois quarts d’heure, en suivant un chemin vert qui tournait toujours et traversait de jolis bois. Peu à peu le pittoresque diminua ; de grosses pierres se trouvaient insolemment au milieu du chemin, sur lesquelles devaient passer sans peine de petites voitures attelées de bœufs, mais qui nous arrêtaient court. Alors de braves bûcherons qui nous suivaient abattaient à la hâte de fortes branches d’arbres, en plaçaient un bout sous l’essieu, l’autre sur leurs épaules, et poussaient vigoureusement, tandis que nos cinq petits chevaux, qui venaient de reprendre haleine, tiraient de leur mieux. La voiture aurait infailliblement versé si, dans le même moment, quelques hommes ne s’étaient pendus, pour faire contre-poids, aux sièges et aux compas. Cette opération était à refaire toutes les cinq minutes. Il va sans dire qu’elle s’effectuait avec un concert de cris, poussés en plusieurs langues. Les Valaques, qui étaient fort nombreux, juraient d’abord dans leur propre idiome ; puis, voyant que les choses n’en allaient guère mieux, lançaient à la fin le classique teremtette hongrois, ce qui devait être bien plus efficace.

Ces braves gens déployaient, dans leurs bons offices, un zèle incroyable. Quelquefois, pour soutenir la voiture, ils appuyaient leur épaule contre les panneaux, en marchant sur le talus, de sorte que leur corps était presque horizontal. Effrayé du danger qu’ils couraient, je volais de l’un à l’autre et leur faisais vainement signe de se retirer. Ils prenaient l’accent que je mettais à mes exclamations pour du mécontentement et redoublaient d’efforts. J’en étais réduit à finir en italien les phrases que j’essayais de commencer en valaque ; je n’étais compris ni au commencement ni à la fin. Si le moment n’avait pas été aussi sérieux, j’aurais ri de mes discours en souvenir de ce Français que je rencontrai un jour dans les rues de Vienne, lequel, pour demander son chemin aux passants, donnait un accent allemand à sa phrase, s’imaginant que, parce qu’il estropiait le français, il serait plus facilement compris des Autrichiens.

Nous mîmes trois heures à franchir une distance que les alouettes parcourent en dix minutes. En revanche, tout le monde fut content, et les bûcherons que je dus rappeler pour leur donner le pourboire qu’ils avaient bien gagné, et le charron de la ville voisine, qui faillit briser la calèche à coups de marteau, sous prétexte de la réparer.

Il eût été sans doute bien plus comfortable, comme disent les Anglais, de rencontrer un chemin uni et sablé ; mais, lors même que je me serais trouvé à plaindre, j’aurais dû reconnaître, avec la sagesse des nations, que « à quelque chose malheur est bon ». L’absence de route, dans la contrée qui avoisine Keresd, fut cause que je traversai par hasard un village dont je n’ai vu le nom nulle part, dont personne ne m’a parlé, et où je suis arrivé avec plaisir. Mon cocher fut bien surpris quand je le félicitai sérieusement de s’être égaré.

Il y avait une demi-journée que nous gravissions péniblement de hautes montagnes ; la solitude était complète : ni hommes ni habitations. Enfin, après avoir atteint le sommet d’une côte rapide, nous vîmes se développer, sur le versant que nous allions descendre, l’unique rue d’un grand village. Un torrent la séparait dans toute sa longueur, et de chaque côté s’élevait un rang de maisons blanches et spacieuses, ce qui indiquait un village saxon. Une église gothique se voyait à l’extrémité, encore ceinte d’une muraille crénelée, et défendue par une grosse tour. La position de cette église dans une vallée romantique, l’étendue qu’avaient eue autrefois les massives constructions qui l’environnaient, me firent présumer que j’avais sous les yeux les restes d’un ancien couvent. Les religieux en effet choisissaient toujours avec un goût d’artiste le lieu où ils établissaient leur résidence et fortifiaient les monastères. D’ailleurs, avant la réforme, les couvents abondaient dans le pays des Saxons.

J’espérais trouver là quelque chose de curieux. Je me présentai à la porte de l’église ; elle était fermée. Malgré mes cris et mes appels aux passants, il n’y eut pas moyen de la faire ouvrir ; force fut de m’en aller comme j’étais venu, le pasteur et son bedeau étant à leurs vendanges. Cependant, je remarquai que le site devenait plus pittoresque à mesure que j’avançais ; je présumai donc que je ne tarderais pas à trouver les restes d’un second couvent, dont l’accès serait sans doute moins difficile. Je ne me trompais pas.

Nous passâmes peu après devant une petite église de village, dont le portail montrait encore quelques sculptures. Six légères colonnettes, soutenant des feuillages, étaient seules conservées ; mais on pouvait voir, que toute la façade avait été décorée avec soin. On reconnaissait ça et là quelques restes de peinture, et en faisant le tour extérieur de l’édifice, je découvris plusieurs figures dont le coloris n’était pas sans éclat. Elles représentaient l’histoire de la Passion ; un saint Christophe se faisait également remarquer par son attitude et son costume, armé qu’il était d’une dague redoutable. Tout cela promettait beaucoup ; il était probable que l’intérieur de l’église offrirait encore plus d’intérêt. Je frappai donc à la porte, enhardi par l’odeur qui s’échappait des fenêtres de la maison voisine, dont le maître n’avait pas oublié l’heure de la soupe.

Dès mon entrée dans la petite église, je fus comme assailli par l’armée de saints qui couvrait les murs. Les parois et la voûte du chœur, tout était peint. Au dessus de l’autel, la cène, et autour les quatre évangélistes ; à droite et à gauche, des martyrs, des miracles, des figures de toutes grandeurs dominées par un Salomon et un David. Ailleurs, dans une niche gothique, le Christ, et au dessous, les deux rois saints de Hongrie, Étienne et Ladislas. Entre ces divins personnages sont jetées de fantastiques figures formées par quatre ailes, dont deux s’élèvent et deux s’abaissent, et portant, au point où elles se joignent, deux pieds et deux mains ouvertes. Ici les ailes sont complètement noires, là parfaitement blanches.

Un des côtés du chœur est occupé par deux groupes significatifs. De petits moines à l’œil doux se dirigent saintement vers un Christ de grandeur naturelle, en compagnie de plusieurs religieuses ; rien n’est plus édifiant. Mais, tout près d’eux, et pour que le contraste soit plus frappant, sont représentés de véritables diables fort laids et fort méchants, lesquels, cela s’entend, sont occupé à conduire en enfer une troupe de laïques, reconnaissables à leur longue chevelure. Ce n’est pas la seule page où les religieux triomphent Entre les figures de diverses grandeurs qui sont peintes sur tous les murs, il y a toujours de très petits moines qui s’introduisent et semblent prendre possession de ce lieu.

Je néglige les sculptures, quoique plusieurs détails soient remarquables. Tous les arceaux du chœur aboutissent à une clef de voûte qui supporte une belle tête de Christ. Les fenêtres, les niches, les colonnes, sont d’une belle sculpture et d’une bonne proportion. Il y a dans tout l’ensemble une unité qui manque aux édifices que j’ai vus en Transylvanie, car on les retouchait souvent. Cette petite église, oubliée, et pour ainsi dire, perdue dans une vallée solitaire, accuse partout l’élégance et la légèreté de l’art gothique. Construite à une époque ignorée, préservée par hasard des maçons et des badigeonneurs, inconnue à tous et à peine conservée, elle montre qu’autrefois les artistes ne manquaient pas au pays. Ce ne sont pas les peintures qu’il faut vanter ; mais, quand, après avoir examiné les détails, on embrasse l’ensemble d’un coup d’œil, on reconnaît qu’une main intelligente a créé tout cela. C est une fleur qui a perdu de son éclat, mais dont on rencontre avec plaisir les dernières feuilles sur son chemin.

L’église est affectée au culte luthérien, car les habitants du village sont Saxons. J’appris avec plaisir du pasteur que le consistoire ne s’était jamais proposé de la faire repeindre, et il m’assura qu’il s’opposerait à toute tentative de ce genre. Il paraissait très fier de son église, et en faisait glorieusement remonter les peintures au commencement du 12e siècle, à cause de certains caractères qu’il montrait sur le mur, lesquels figuraient, selon lui, la date de 1101. Cette date me semblait très peu lisible, et d’ailleurs, eût-elle été clairement tracée, je me serais naturellement permis de n’y pas ajouter foi. En observant l’état des peintures et la forme des lettres placées à côté des sujets, car une explication accompagne chaque scène, on ne peut guère supposer qu’elles soient antérieures à la fin du 15e siècle.

Que cette église ait été d’abord la chapelle d’un monastère, c’est ce qui me paraissait évident d’après les peintures. Les moines ont tout à fait l’air de maîtres du logis. Nul seigneur n’aurait consenti à voir si piteusement représentés les laïques, et à assister au triomphe superbe des religieux. Quel artiste, persécuté peut-être par les hommes d’épée, s’était donc plu à exalter ainsi la vie monastique ? À voir la vivacité encore frappante des couleurs, l’attitude et l’ajustement des personnages, tous ces détails enfin qui constituent le caractère d’une peinture, on serait tenté de croire que c’est là un dernier reflet de l’art bysantin, l’œuvre de quelque pauvre fugitif de Constantinople, triste peintre inconnu chassé par les Barbares. À cette époque la plus grande partie des Grecs demandèrent une patrie à l’occident, où ils réveillèrent le goût des arts et des sciences. Mais un certain nombre des exilés se rappelèrent qu’au nord de Bysance vivait le peuple qui avait été le dernier rempart de l’empire, et ils vinrent chercher refuge en Hongrie.

Il ne m’a pas été possible de trouver un fait, une date, qui jetât quelque lueur sur l’histoire de cet édifice, qui pût détruire ou confirmer mes hypothèses. Quand je demandai le nom du village, chacun me répondit en prononçant de son mieux à l’allemande, en sorte qu’il m’était assez difficile de retrouver la dénomination hongroise. Enfin, combinant toutes les variantes avec les noms que je voyais sur la carte et la position que j’assignais au village, j’en conclus qu’il s’appelait Darlócz.

Il a fallu, pour qu’un pareil monument subsistât en Transylvanie, qu’il fût caché dans une vallée reculée, loin des villes qui attiraient autrefois les pillards musulmans. Partout ailleurs on reconnaît les traces des Tatars, qui, à chaque invasion, prenaient régulièrement les mêmes routes, comme un torrent des montagnes, grossi par l’orage, s’échappe toujours par le même lit. Si j’oubliais les Turcs dans ces lieux tranquilles, ma pensée se reportait en échange à une époque bien plus reculée, et dont il reste peu de vestiges, au temps des Daces. Il semble que sur cette terre historique les souvenirs doivent surgir à chaque pas. La mémoire du voyageur le transporte sans cesse d’une période à l’autre.

Le lecteur me permettra de faire une courte citation classique. Il ne s’agit pas moins que de Strabon. L’auteur est bien ancien, je l’avoue ; mais il est question des Daces… C’est à propos d’un petit village nommé Gogány, situé dans ces vallées où le lecteur a bien voulu s’engager avec moi. Je pourrais lui dire que pogány, en hongrois, signifie « payen », et que le château qui dominait autrefois ce village servit jadis de rempart aux derniers ennemis du christianisme ; mais j’ai hâte d’en finir avec mon auteur grec, et j’arrive de suite à Strabon.

Il nous apprend[1] que les rois daces avaient pour confidents des devins ou prophètes attachés à leurs personnes, et dont la présence rehaussait la majesté du chef. Revêtus d’un caractère religieux, ils exerçaient sur les esprits un empire auquel nul ne cherchait à se soustraire. L’autorité du roi et celle du pontife se fortifiaient l’une par l’autre. Un de ces prophètes, nommé Zamolxis, se rendit en Grèce, étudia la philosophie sous Pythagore, parcourut ensuite l’Égypte, et se fit enseigner l’astronomie. Ce fut après avoir recueilli toutes les sciences cultivées dans les pays civilisés qu’il retourna dans sa patrie. L’ascendant qu’il exerça dès lors sur ses compatriotes fut tel, qu’on l’honorait à l’égal de la divinité. Pour faire croire à son immortalité, il se retira dans une caverne, sous une montagne nommée Cogéon. Après s’être tenu caché pendant trois ans, il se montra tout à coup aux siens, leur assurant que la mort n’était pas à craindre, et que, dans le monde des âmes d’où il revenait, on vivait en face de Dieu, au sein d’une félicité éternelle.

La plupart des écrivains qui se sont occupés de la Transylvanie ont placé à Gogány la caverne du prophète. On doit croire qu’une raison sérieuse leur a fait adopter cette opinion, et qu’ils n’en ont pas cru seulement la similitude qu’on pourrait établir entre le nom du village et le mot Cogéon. La ressemblance en effet ne serait pas frappante, et d’ailleurs le nom de Gogány peut s’expliquer différemment par l’histoire du château. Il est plus probable qu’une tradition perpétuée jusqu’à ce jour aura consacré la caverne que les érudits assignent pour retraite à Zamolxis.

Ce ne serait pas la seule tradition qui remonterait à cette époque. Près de Maros Vásárhely est une fontaine qu’on appelle encore Puits du Roi, et qui porte ce nom en l’honneur d’un chef des Daces. Un auteur digne de foi, Benkö, qui passa sa vie dans ce pays, dont il parlait toutes les langues, a recueilli lui-même ce fait au siècle dernier. « Là, dit-il, s’élevait une ville à la fois dace et romaine, ce qui est non seulement attesté par les vestiges de route, mais encore par le nom donné à cette fontaine, Király Kútja, « Puits du Roi », en souvenir d’un roi dace, ainsi que les premiers Sicules l’on appris des anciens habitants. »

  1. Liv. VII.