La Tourrière des Carmélites/01
LETTRE
de M. T..... à M. D…
NOn, Monſieur, la Tourriere
des Carmelites qui vous a
coûté tant de recherches inutiles,
n’eſt point un être de raiſon : cet
Ouvrage fait pour ſervir de Pendant
au P. des C., exiſte depuis
trois ou quatre ans ; mais n’eſt
point ſorti des mains de l’Auteur,
qui m’eſt fort connu. Il a pour
titre : Sainte Nitouche, ou la Tourriere
des Carmelites, Hiſtoire véritable,
écrite par elle même, & adreſſée
à la Sœur Geneviéve, Supérieure de
la Maiſon de Force, à la Salpêtriére.
Le Manuſcrit que j’ai vû peut faire un petit in-douze. L’Ouvrage
eſt écrit purement & plus ſoutenu
que Dom B. quoiqu’auſſi libertin
que ce dernier Livre ; puiſque
c’eſt proprement l’hiſtoire d’un
mauvais lieu, il n’y a pas un ſeul
mot obſcéne ou groſſier. Je ne
vous dirai rien de l’Auteur qui
eſt particuliérement mon ami, &
dont la perſonne & le nom ſont
un ſecret inviolable pour moi,
ſinon qu’il eſt fort au-deſſus de
cette miſére, comme il l’appelle.
C’eſt une petite débauche d’eſprit
qu’il a faite pour ſon propre amuſement,
& pour eſſayer, à ce qu’il
m’a dit, juſqu’où l’on pouvoit
porter la licence, ſans uſer de
termes licencieux : ce qui eſt faire,
à mon avis, la cenſure de
tous nos Sotiſiers modernes ; il
n’a donc jamais eu deſſein en compoſant cet Ouvrage, je ne dis
pas de le publier (ce qu’il eſt inutile
d’attendre) mais ſeulement ;
de le montrer ; car ce n’eſt pas
ſans beaucoup de peine qu’il m’en
a fait la confidence, & que j’en
ai obtenu la lecture. Il eſt vrai
que je l’ai lû chez lui tout à mon
aiſe, à deux ou trois repriſes ;
mais ce n’eſt que depuis un mois,
qu’à force de perſécutions, il m’a
permis d’en faire un Extrait, que
j’ai fait même ſous ſes yeux,
mais le plus ample que j’ai pû.
Comme il n’a rien exigé de moi
en m’abandonnant ce morceau, je
conſens à vous en faire part ; il
vous donnera du moins une idée
exacte de l’Ouvrage entier. Vous
en verrez le deſſein, le génie, la
conduite ; vous pourrez même juger
du ſtyle & de la maniére d’écrire de l’Auteur, par quelqu’uns
des principaux traits du Roman
que j’ai eu ſoin de repréſenter.
J’ai l’honneur, &c.