La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle/Pièces justificatives/06


VI.

Procès-verbal de la torture subie durant vingt-neuf heures par Louis L…, accusé de meurtre, devant le tribunal
du Drossard de Brabant, le 2 et 3 juin 1758


À cinquante-trois minutes après dix heures du matin, fut prononcé au prisonnier notre décret cy dessus, lequel aiant été interpellé et sérieusement admonesté de nous avouer la vérité sur les faits luy proposés ce jour, et attendu qu’il persiste dans ses dénégations, fut ordonné qu’il seroit procédé à l’exécution de notre dit Decret, ce qui fut fait à l’instant ; et dix minutes après onze heures, il fut entièrement appliqué à la torture ; lorsqu’il a commencé à se plaindre, disant ; « Faut-il que je me trouve icy pour des canailles qui ont dit ce que je n’ay jamais fait » ? — ensuitte a demandé de la bierre qu’on luy a donné dans un goblet, disant de plus : « Voulez-vous, Messieurs, que je vous dise ce que je n’ay pas fait ? Je dirai que j’ai fait le voleur, si vous voulez ». Et aiant encore demandé de la petitte bière à boire, on luy en a donné derechef un goblet qu’il a avallé.

Dit quelques minuttes en après : « J’aime mieux de mourir par les mains de la justice que de m’avoir laisser tuer sans me deffendre ». Après quoy, il a prié qu’on prenderoit sa tabatière de sa poche et qu’on luy donneroit une prise de tabac, ce qui a été effectué, et, le Geolier étant entré, il luy a dit : « Sacredieu, monsieur Bart, me voila bien assi icy ; je voudroit qu’on me voudroit dire ce qu’on veut que je déclare ; je dirai ce que je n’ai pas fait » ; continuant à proférer quelques juremens, et soutenant toujours d’avoir commis le fait, comme il l’a déclaré. Et à onze heures et demi, dit le prisonnier : « Ah ! Messeigneurs, vous me faites bien souffrir icy pour ce que je n’ai pas fait et pour ce que je n’ay jamais songé ».

Dix minutes en après, le prisonnier aiant derechef demandé à boire, il luy fut donné de la petite bière comme devant. Et quarante-huit minutes après onze heures, le prisonnier a donné des marques qu’il commençoit à souffrir, se plaignant à basse voix.

Cinquante six minutes après onze heures, dit le prisonnier : « Dittes moi, Messieurs, ce que vous voulez que je vous dise ; je déclarerai ce que je n’ai pas fait, n’aiant jamais eu la pencée de tuer cet homme la ». Et disant : « Seigneur mon Dieu, ce que je dois souffrir pour ce que je n’ay pas fait ! Assistez moi, mon Dieu ! Je vouderoit que le Diable vienderoit chercher celuy qui m’a jetté cette hotée la ! Détachez moi, Messieurs, voulez vous que je vous dise ce que je n’ay jamais fait » ?

Ensuitte a demandé le secours du Ciel et l’assistance des âmes du purgatoire, demandant ensuitte à boire, ce qui a été fait comme devant.

Six minutes après douze heures à midi, le prisonnier dit : « Je ne sauroit pas souffrir tout cela ; faites moi donc mourir à tord ». Ensuitte dit le prisonnier qu’ils n’ont eu chez la veuve Bietmé que quattres pintes de bierre, dont la quatrième n’étoit pas bue, lorsque l’affaire est arrivé, et que luy prisonnier avoit payé dix liards pour sa part et qu’il avoit eu un petit morceau de viande dans la maison qu’il avoit rotti au feu sur la pointe de son couteau, mais qu’il ne l’a pas mangé, et qu’à la troisième pinte le prisonnier a voulu sortir de la maison, mais que le Jeanfoutre ne l’a pas voulu.

Demandant ensuitte qu’on luy relacheroit un peut les mains, ajoutant que, si les choses ne se sont pas passées ainsi qu’il l’a declaré, qu’il souhaite de ne voir jamais Dieu : « Je vouderoit que le Diable me vienderoit chercher, s’il n’est pas vrai qu’il étoit debout contre la porte, pointant toujours contre moy avec son couteau ».

Et après quelques plaintes il a demandé une goutte à boire, ce qu’il luy a été donné avec de la petitte bierre.

Dit le prisonnier que le dit Gerard B… est tombé roid mort la tête sur un chaudron, ne scachant point dire dans quel endroit ce chaudron étoit, mais qu’il n’étoit pas loin dudit B…

Alors il a commencé à se plaindre à hauttes voix.

Quarante et une minutes après midi, le prisonnier a demandé derechef à boire et on luy a donné de la petitte bierre dans un goblet, comme devant, qu’il a avallé.

À une heure et cinq minutes, s’est plaint en criant à hauttes voix, protestant de tems en temps qu’il est vrai qu’il a tué ledit B… dans la posture et avec les circonstances qu’il a détaillé, déniant qu’on lui ait donné d’autres coups, ny avant ny après que celuy du couteau qui luy a été porté par luy prisonnier.

À deux heures et douze minutes, le prisonnier aiant continué à Lamenter jusque alors, il a demandé encor à boire, en quoy on l’a satisfait comme précédemment.

À deux heures et trente-cinq minuttes, dit que dans le pays de Liége on dit bayonnette, lorsqu’on parle d’un couteau, mais que luy prisonnier ne s’est jamais servi ny porté de bayonnette.

Et, le quard avant cinq heures de l’après midi, le prisonnier étant reste assé tranquille jusqu’alors, il fut ordonné qu’on visiteroit si les cordes qui le tenoit lié, n’étoient pas relâchés ; aiant été trouvé que celles des mains l’étoient effectiveuient il fut ordonné de les remettre dans l’état précédent, ce qui fut à l’instant effectué ; pendant quel temps le prisonnier a jetté quelques cris, ensuitte a demandé à boire, qu’on luy a donné comme les fois précédentes.

À dix heures et demi du soir, le prisonnier après avoir demandé pour lacher l’eau, il a laché l’eau, étant assis sur la chaise.

Et à une heure et demie après minuit, les cordes aux pieds et aux mains du prisonnier aiant étés visités et trouvés qu’elles étoient relachées, il a été ordonné de les remettre en leut état précédent, ce qui fut exécuté sur le champ.

Et, un moment après, dit le prisonnier : « Relâché mois un peut le collier, il me presse trop fort », ce qui ne luy a pas été accordé, et tout de suitte a demandé à boire, ce qui a été effectué comme aux fois précédentes, continuant ensuitte a gémir et a se pleindre.

À sept heures et cinquante-deux minuttes, le matin du 5 du susdit mois de juin, dit le prisonnier : « Est-il permis de tenir un homme vingt-quatre heures dans les tourmens » ? Cinq minuttes après neuf heures, dit le prisonnier qu’aiant passé par chez la veuve Bietmé, le matin lorsqu’il ailoit à la fosse, il y trouva Gérard B… avec qui il ne voulu pas boire, mais qu’il luy promit de le venir retrouver au retour de la fosse, ce que le prisonnier fit effectivement, et burent alors ensemble ; qu’ils sortirent ensuitte de chez lade Bietmé à Cahottes, et furent a fontaine voir le cadavre du berger nommé Simon, qui avoit été tué la veille ; que de la ils furent chez la nommée Adrienne audit fontaine, d’où ils sortirent et retournèrent chez lade Bietmé à Cahottes, et que, chez lade Adrienne, Gérard B… dit au prisonnier qu’il luy donneroit des coups de bâton, a quoy le prisonnier repondit qu’il se foutoit de luy B…, et que s’il luy donnoit un coup de bâton, luy prisonnier luy donneroit un coup de fusil ; que cependant ils retournèrent chez lade Bietmé, ou le prisonnier coupa un petit morceau de viande qui pouvoit faire deux bouchées, et l’aiant approché du feu sur la pointe de son couteau pour le rôtir, ledit B… empoigna dans son couteau et ensuitte luy parla de cette fille, à qui ledit B… avoit fait un Enfant, pretendant que cette fille avoit parlé au prisonnier pour reporter L’enfant chez B…, que les parolles étant monté entre eux, ils sautèrent L’un contre L’autre, et ce fut alors que le prisonnier luy porta un coup de couteau, qu’on luy a dit avoir porté au chœur, et que ledit B… avoit aussy le couteau a la main, et que lade Bietmé et sa fille ont porte le corps sur le chemin, étant mort à ce qu’on a dit au prisonnier, deniant d’avoir été présent, lorsque le cadaver a été transporté. Ajoutant le prisonnier que ce qui marque que ledit B… étoit armé de son couteau, c’est que luy prisonnier a été blessé à la main, que le lendemain on a trouvé le cadaver sur le chemin, et quil a oui qu’on luy avoit pris les boucles d’argent et que lade Bietmé et sa fille en ont eu le nom, qu’ils ont été tout le long du jour ensemble, et qu’ils ne sont pas battus parmi le chemin.

Dit encore que, lorsque le prisonnier vit que le di B… étoit tombé sur un chaudron, il prit la lampe qui brulloit et s’approcha de luy pour voir s’il étoit mort ou vivant, et aiant remarqué qu’il ne vivoit plus, le ptisonnier ramassa son fusil et se sauva ; dit qu’il a reçu le coup à la poitrinne qui a porté au choeur près de la gorge, et que, quant ils se sont pris de querelle pour le sujet cy dessus exprimé, ils étoient assis tous les deux, et que les parolles s’étant égris, ils se sont levés, ont sauté L’un contre L’autre, et se sont réciproquement et en même tems porté les coups, qu’il luy a porté les coup desous la gorge et qu’il est entré au choeur.

Dit encor qu’il a porté le coup audi B… près de la gorge, qui luy est entré dans le corps, avec le couteau de luy prisonnier, qui etoit du prix de quatorze Liards de Liége et que des pareils couteaux sont assez grands pour cela. Demandant si c’est peut-être avec quelque picquot qu’il a reçu les autres coups, ajoutant : « que c’est avec un picquot, mais je n’en sais rien, ce n’est pas moy qui luy a donné ces coups la, il faut que c’ay été les deux femmes, mais je ne l’ai pas vu » ; ajoutant : « faites moi quitter ces cordes la, je vous dirai tout ».

Dit encore que luy prisonnier n’avoit pas de baton, mais seulement son fusil, et que, si ledi B… a eu d’autres coups que celuy du couteau prémentionné, il faut qu’il les aij eu en après ou auparavant et qu’ils ont été ensemble avec ledi B… le jour qu’il fut tué, depuis vers les neuf heures du matin jusqu’à qu’il fut tué.

Dit a présent que c’est Marie bietmé qui a donné audi Gérard B… un coup d’un baton féré au bout, lequel batton appartenoit à son fils, ne scachant point dans qu’el endroit elle l’a addressé, ny si c’est devant ou après la mort dudi B… qu’il a reçu ce coup, puisque luy prisonnier n’y etoit pas present, ce qu’il scait par oui dire, par des gens du village, sans pouvoir les nommer.

Dit a présent qu’il n’a pas eu d’autres coups ce jour la que les coups de couteau, ne luy aiant pas vu cependant des coups pendant le jour qu’il fut tué ; ajoute encor que le di B… avoit déjà sa bayonnette sur son baton, lorsqu’ils sont entré ensemble chez la veuve bietmé et que ce soit alors vers les six heures, le soir, et que le prisonnier en est sorti à huit.

Dit ensuitte d’avoir apris île marie bietmé que c’étoit elle qui avoit donné le coup de baton à B…, ne lui aiant pas demande quand elle le lui avoit donné, et que B… étoit presque tous les jours chez cette veuve avant d’avoir été tué, que la justice aiant été le lendemain chez la ditte veuve, on a vu le sang sur la muraille, et qu’on vouloit que ce seroit la mère ou la fille, qui auroient eu tué ledit B… « Que voulé vous que je vous dise de plus ? faut-il dire qu’on luy a coupé la guele ? faut-il dire que les femmes luy ont coupé la guele ? il est mort d’un coup de couteau, a la poitrine tout près de la gorge ».

Ajoute qu’il faudroit être Diable pour dire qu’on luy a coupé la guele, tandis qu’il a été tué en se battant.

À onze heures et demi, dit le prisonnier : « Il a été tué dans la maison. Metté qu’on L’a meurtri, avec quoy vous me détacherai » ; qu’on ne peut pourtant pas écrire cela parcequ’il n’est pas vrai.

Qu’on a aussy dit que Marie Bietmé avoit pris L’argent dudit B…, mais que le prisonnier ne scavoit pas s’il en avoit.

Le quard après douze heures, dit le prisonnier : « écrivez que je luy ai coupé la guele » ; dit que cela est vrai ; que ledit B… a eu le coup de couteau à la gorge ; « Mettez du droit coté, je ne saurois bonnement vous dire de quel coté » ; qu’il a eu aussi un coup de baton ferré, mais pas ce jour là par Marie Bietmé, a quoy luy prisonnier n’etoit pas présent, que c’est en pointant qu’il luy a donné ce coup a la gorge, de son couteau.

Et a une heure L’apres midy, fut autrefois ordonné qu’on luy resserreroit les bras davantage, a cause qu’il avoit été trouvé que les cordes étoient relachées.

Et le quard avant deux heures, le prisonnier a commencé à trambler et à se plaindre et gemir a plus haute voix que devant, et a deux heures et vingt cinq minuttes, le prisonnier a repris sa tranquilité.

À trois heures, le prisonnier repette qu’ils se sont battus, comme il a dit cy dessus, et que c’est dans ces circonstances qu’il a poussé le coup mortel au susdit Gérard B…, deniant absolument d’avoir donné audit B… d’autre coup que celuy de couteau, dont il a été renversé mort sur place, et qu’ils étoient alors dressé l’un et l’autre contre la table, et que ledi B… a eu le coup vite assez, aiant tombé sur un chaudron qui etoit dans le coin de la maison, et qu’il se pourroit bien qu’il auroit été blessé à la tête en tombant sur le chaudron, et que la veuve Marie Bietmé est venue pour mettre L’entre deux et les separer.

Et quant à Gille M…, dénie d’avoir jamais commis aucun vol ny crime avec luy ; ne croiant pas que ce soit ledit M… qui ait fait donné un Ecu au vicaire de Hannut, lorsqu’il revenoit des Vinnes, il y a quatre à cinq ans ; qu’au contraire deux hommes, L’un de Finnes, nommé G… et L’autre, nommé V… de Hannut, qui est mort, ont été soubçonnés d’avoir fait donner cet Ecu au vicaire, et que personne ne peut dire quil ait jamais fait tord à personne.

Ajoutant qu’il n’a point menassé ailleurs ledi B… le jour qu’il fut tué ; ne fut chez Adrienne à fontaine, lorsque ledit B… Luy dit qu’il luy donneroit des coups de baton, a quoy il repondit, que si cela arrivoit, qu’il luy donneroit un coup de fusil, ce qui s’est dit en badinnant, n’aiant point vu que ledi B… auroit été menassé par personne chez la veuve Bietmé, ne scachant point non plus pour quel sujet la veuve bietmé et ledit B… etoient en dispute ensemble le matin, puisque, lorsque luy prisonnier est entré chez cette veuve, leur dispute a cessé, deniant encore que personne L’ait assisté à tuer ledit B…, n’aiant point oui dire le prisonnier ce qu’on auroit trouvé auprès du cadavre dudit B…, lorsqu’il étoit gisant sur le chemin ou la veuve Bietmé et sa fille Jeanne L’avoient transporté, croiant qu’elles l’avoient mis hors de leur maison, afin de faire croire qu’il n’y avoit pas été tué, ajoutant qu’il a laissé tomber son fusil à terre, lorsqu’ils se furent un peut disputés et qu’ils se levèrent de leurs chaises pour s’attaquer, persistant encore que luy prisonnier n’a donné d’autre coup audit B… que le coup de couteau cy dessus mentionné.

Et cinquante minutes après trois heures de L’après mydy du même jour, fut ordonné que le prisonnier seroit détaché de la torture, ce qui a été d’abord effectué, et le prisonnier couché sur un mattelas auprès du feu.

Et cincq minuttes après six heures après midy du même Jour, le prisonnier, ayant pris une soupe à la bierre, étant entièrement rétabli au jugement du médecin, luy furent prélus, hors de la vue de la torture et de tous Liens, les presens aveus et confessions, auxquels le prisonnier a déclaré de persister contenans la pure vérité sans y vouloir rien ajouter, changer n’y diminuer ; et après avoir eu pareillement lecture de cette, il y a persisté et signé de sa marque.

xxxx Marque de Louis L…[1] xxxxxxxxxxxxxxx (S.) Comte Van der Stegen.
+ xxxxJ. J. de Hauregard.
xxxxL. F. Van Boom, greffier.

[Archives du Royaume à Bruxelles, Procès du Drossant de Brabant, année 1758, liasse n° 43.]


  1. Il fut gracié le 14 juillet 1758.